Enterrement
Le jour de l’enterrement, le ciel était bas, lourd, presque oppressant. La cérémonie était magnifique, digne, ponctuée de fleurs blanches et de chants doux qui semblaient flotter au-dessus de nos têtes. Les proches se pressaient autour du cercueil, déposant des bouquets, des souvenirs, des mots pleins de compassion.
Moi, je restais à l’écart, immobile. Chaque sourire, chaque geste d’empathie me paraissait irréel. Je me sentais vide, étrangère à ce moment pourtant intime. Mes parents étaient ensemble, comme un mur que je ne pouvais franchir. Mon frère à mes côtés, silencieux, et moi… seule dans mon désarroi.
Quand le cercueil fut mis en terre, un souffle glacé m’a traversée. La terre tombait sur elle, et le monde continuait de tourner comme si de rien n’était. Je restais figée, incapable de respirer correctement, incapable de pleurer de façon audible.
Et puis ma mère s’est approchée. Son visage était fermé, dur, impitoyable. Ses yeux lançaient des éclairs. La colère qu’ils contenaient était glaciale, tranchante, destructrice.
— Tu n’as rien fait pour elle ! hurla-t-elle, la voix tremblante de rage. Tu l’as laissée tomber, comme toujours ! Tu aurais dû être là, tu aurais dû la sauver !
Je restais figée, incapable de répondre. Chaque mot était un coup porté à mon cœur déjà brisé. Elle enchaîna, encore plus cruelle :
— Et tu oses venir ici ? Tu crois que tes larmes comptent ? Tu crois que ton chagrin est légitime ? Tu n’avais rien à faire là ! Tes pleurs me font rire, Louison, je me moque de ton soi-disant chagrin !
Puis elle porta le coup le plus insoutenable :
— Paul l’aimait vraiment. Il était là pour elle. Ils allaient se marier, ils allaient être heureux ensemble… Tu comprends ? Tu n’as jamais fait partie de ce bonheur-là !
Mes jambes fléchirent. Mon souffle se coupa. Chaque phrase était un poignard supplémentaire. Je voulais hurler, répondre, me défendre… mais aucun son ne sortait. J’étais paralysée par la douleur, par l’injustice, par le vertige de sa colère.
Mon regard se tourna vers Paul. Il était immobile, silencieux, le visage crispé par l’impuissance. Il voulait intervenir, mais il n’en avait pas le droit. Son silence, en cet instant, m’a frappée comme une seconde trahison.
Je restais là, au milieu des miens, invisible et anéantie. On venait d’enterrer ma sœur, et moi, vivante, je venais d’être ensevelie dans le jugement et la colère de ma propre mère. Le monde continuait autour de moi, mais pour moi, tout s’était arrêté.
Ma mère continuait ses hurlements, ses mots tranchants et cruels. Chaque phrase me frappait, me broyait, jusqu’à ce que je sente que j’allais m’effondrer.
Et puis, doucement, quelqu’un posa une main sur ma taille. Une présence calme, solide, qui me fit sursauter légèrement. C’était Gabriel. Sans un geste brusque, avec une tranquillité étonnante, il me guida doucement loin de ma mère, créant un espace autour de moi.
— Monsieur… commença ma mère, surprise, sa voix vacillant entre la colère et l’incompréhension.
Gabriel leva une main, juste assez pour calmer le geste, et dit, posément, avec une douceur qui contrastait avec la tempête de rage de ma mère :
— Madame… s’il vous plaît, laissez-la respirer. Ce n’est pas le moment pour ça.
Sa voix était calme, ferme mais respectueuse. Et pour la première fois depuis ce matin, j’ai senti que je pouvais respirer. Juste un peu. Gabriel restait à mes côtés, attentif, protecteur dans son silence posé, sans jamais franchir la limite. Je me suis accrochée à cette présence discrète, comme à une bouée dans un océan de douleur.
Pour la première fois depuis le début de cette journée, je me suis sentie un tout petit peu moins seule.
Ah, j’ai oublié de vous dire ! Gabriel est le gérant du restaurant juste en bas de chez moi. J’y passe souvent, et nous avons l’habitude d’échanger des petites choses du quotidien, des banalités qui font sourire....
Annotations
Versions