Mon frère et sa réalité

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Trois jours avaient passé depuis l’enterrement.

Trois jours où chaque heure m’avait semblé se dérouler sous une cloche de verre, étouffante et irréelle.
Chaque matin, Gabriel sonnait à ma porte. Toujours avec le même rituel : un café noir et un croissant. Nous échangions quelques mots, rien de plus, mais ce simple geste m’apportait un réconfort discret, une présence stable dans le chaos.

Ce soir-là, une autre présence se présenta. Lucas.
Je fus surprise en le voyant, un peu hésitant sur le seuil de ma porte. Ses épaules semblaient plus lourdes que d’ordinaire. Je l’invitai à entrer, et il s’effondra presque sur le canapé, attrapant un coussin qu’il serra contre lui. Ses cheveux en bataille, ses yeux cernés me firent mal au cœur.

— Tu dors pas beaucoup, je me trompe ? demandai-je doucement.
— Toi non plus, réplique-t-il sans me regarder.

Il n’avait pas tort. Les nuits étaient longues, agitées, pleines de souvenirs qui s’imposaient à moi sans prévenir. Je m’assis à côté de lui, attentive.

Lucas fixa le plafond, puis sa voix se brisa légèrement :
— Tu sais ce qui me rend dingue ?
— Dis toujours.
— Tout le monde parle de Pauline comme si elle avait été parfaite. Comme si elle n’avait jamais crié, jamais blessé personne. Moi, j’arrête pas de penser à ses colères, à la façon dont elle me rentrait dedans pour rien. Ça me hante. Et je me demande si c’est normal.

Je posai une main sur son bras, mes propres souvenirs affluant.
— Bien sûr que c’est normal. Elle était ça, Pauline. Lumineuse, mais imprévisible. On peut pas gommer les orages juste parce qu’elle n’est plus là.

Il détourna le regard, la mâchoire serrée.
— Ouais mais… ça me fait peur, Lou. Peur de me souvenir d’elle comme ça. Comme si j’avais moins d’amour à lui donner que toi.

Ses mots me serrèrent la gorge. Je pris sa main dans la mienne.
— Tu l’as aimée à ta façon, Lucas. Avec ton rôle de petit frère, avec tes armes à toi. C’est pas une compétition. Et crois-moi, elle le savait.

Un silence s’installa. Dehors, la vie suivait son cours, indifférente à notre chaos intérieur. On entendait les rires d’enfants, une portière claquer, le brouhaha d’un quotidien qui semblait désormais nous appartenir à moitié.

Lucas souffla, presque honteux :
— Chez maman, on n’a pas le droit de parler de ça. Elle fait comme si Pauline n’avait jamais eu de failles. Comme si la douleur n’existait pas.

Je serrai un peu plus sa main.
— Alors viens ici, quand tu veux. On parlera. On se rappellera Pauline comme elle était vraiment. Avec ses éclats de rire, ses câlins étouffants, ses cris, ses crises insupportables. Toute entière.

Il hocha la tête, les yeux humides. À cet instant, je réalisai que nous n’étions pas seulement frère et sœur, mais deux rescapés de la même tempête.

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