Quinze jours après les funérailles, je me tenais à mon bureau, perdue dans les dossiers et les entretiens à venir, quand quelqu’un frappa doucement à la porte.
— Louison… est-ce que je peux entrer ?

Je levai les yeux. Paul. Mon Paul. Celui qui avait été mon premier amour. Mon cœur se contracta. Je n’étais pas prête à le voir. Pas maintenant.
— Paul… que fais-tu ici ? murmurai-je, en me levant à peine.

— Je… je voulais te parler. Je sais que ce n’est pas le lieu, mais c’était plus facile pour moi… je devais t’expliquer.

Je l’observai, tendue, les poings serrés sous la table. Ses yeux cherchaient les miens, sincères, mais chargés d’une anxiété que je connaissais trop bien.
— Alors parle, dis-je d’une voix à peine audible.

Il inspira profondément et commença :
— Quand tu es partie pour tes études… je n’ai pas compris au début. J’ai eu le cœur brisé… Tu avais besoin de respirer, de t’éloigner… et je respectais ça. Mais petit à petit… Pauline et moi… on s’est rapprochés, on comblait le vide que tu avais laissé. On était amis au départ, tu sais… on ne voulait pas te blesser. On a gardé notre amitié secrète… pendant cinq ans. Et puis… sans nous en rendre compte, c’est arrivé. On est tombés amoureux.

Un silence lourd s’installa dans la pièce. Je serrai mes mains, sentant une boule de colère et de chagrin se former dans ma poitrine.
— Tu es tombé amoureux d’elle…? murmurai-je.
Ma voix tremblait malgré moi.
— Quand j’ai su… tu sais ce que ça m’a coûté… chaque fois que j’y pensais… chaque fois que je l’imaginais…

— Je sais… je sais que je t’ai fait mal. Ce n’était pas prémédité, jamais. Et crois-moi, j’aurais voulu que ça se passe autrement… que tu comprennes. Mais c’était plus fort que nous…

Je secouai la tête. La douleur était vive, comme un coup de poignard. Mais je devais dire la vérité, la mienne, tout ce que j’avais gardé au fond de moi pendant toutes ces années.
— Paul… écoute-moi. Je suis partie, oui. Pour souffler. Pour m’éloigner de la détresse de ma sœur, qui grandissait de jour en jour et que je n’arrivais plus à protéger. Pour m’éloigner de la terreur de cette vie, cette sensation que, quoi que je fasse, je ne pourrais jamais l’aider. La relation avec ma mère devenait trop dure à vivre… j’étais arrivée au bout de mes limites. Je devais me protéger, avant de finir complètement détruite. Tu n’as pas voulu me suivre, je l’ai accepté, mais je ne pouvais plus rester ici…

Je sentis les larmes monter, mais je les refoulai, respirant lentement.
— Ça m’a arraché le cœur, tu comprends ? J’avais mal, tellement mal… et je devais survivre. Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Je n’ai jamais aimé un autre homme comme toi. Tout me ramenait à toi. Tout… Et quand j’ai voulu te parler… il était trop tard. Tu étais avec elle.

Ses yeux se remplirent de regrets et de peine. Il baissa la tête, incapable de soutenir mon regard.
— Louison… je suis désolé. Je ne voulais pas que ça se termine ainsi. Je n’ai jamais voulu te faire souffrir… jamais.

Je fermai les yeux un instant, sentant la colère et la tristesse se mêler à la résilience. Les souvenirs de mes nuits à pleurer seule, des appels silencieux, des moments où je me sentais abandonnée… tout revenait en même temps. Mais j’étais toujours debout.
— Peut-être que tu ne pouvais pas faire autrement… dis-je enfin. Mais sache une chose : j’ai survécu. Je suis ici, debout. Et je continuerai à vivre, malgré tout. Comme je l’ai toujours fait.

Un silence lourd s’installa, apaisant et douloureux à la fois. Paul hocha la tête, respectant enfin l’espace que je lui laissais. Nous étions séparés, mais nos vérités avaient été dites. Et pour la première fois depuis longtemps, un souffle léger passa entre nous, fragile, mais réel.

J’avais envie de lui demander comment il allait, après ce drame… Mais il fit demi-tour et quitta mon bureau, me laissant seule avec mes pensées....