Souvenir d'ado

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J’avais dix-huit ans, Pauline quatorze. Paul et moi étions partis pour un week-end, un petit moment de répit loin de la maison, loin de la tension quotidienne, de cette atmosphère où chaque mot pouvait devenir une étincelle. Je me sentais légère, heureuse, amoureuse, oubliant presque que, de l’autre côté de la ville, la tempête familiale continuait de gronder.

Mais à la maison, les choses avaient pris une tournure que je n’avais pas anticipée. Pauline s’était chamaillée avec Lucas, mon petit frère. Les voix étaient montées, les mots avaient fusé. Ma mère, comme toujours, défendait ma sœur avec une ferveur aveugle. Mais cette fois, mon père intervint :

— Pauline, ça suffit ! Y en a marre maintenant ! Lucas n’a rien fait ! Il faut que tu comprennes que tu ne peux pas toujours gagner dans la vie. Tu n’es plus une enfant !

La colère de ma sœur éclata alors comme un feu soudain. Ses poings tremblaient, sa voix se brisait entre frustration et douleur. Elle s’enferma dans sa chambre, claquant la porte, laissant derrière elle un silence lourd et oppressant.

Quand nous sommes rentrés le dimanche soir, la maison semblait étrangement vide, mais l’air était chargé d’une tension sourde. Je sentais que quelque chose s’était cassé, et je devinais que Pauline avait dépassé les limites qu’elle-même ne contrôlait plus.
Un appel à ma mère a suffi à confirmer mes craintes. Pauline avait tenté de se faire du mal. Je n’étais pas là pour la retenir, pour la prendre dans mes bras et lui dire que je l’aimais malgré tout. Je me sentais si coupable.
La détresse, la colère, la jalousie accumulées depuis des années avaient trouvé une issue tragique.

Les jours suivants, nous l’avons emmenée chez le médecin, puis en consultations régulières. Les mots « fragilité psychologique », « suivi », « accompagnement » ont commencé à entrer dans notre quotidien. Mais aucun médicament, aucune séance ne pouvait effacer ce vide, cette douleur qu’elle traînait depuis l’enfance. Un vide, que nous même nous ne comprenions pas.

Je me tenais souvent devant sa chambre, frappant à peine la porte, écoutant ses soupirs et ses sanglots silencieux. Et chaque fois, je me souvenais de ce petit être qui avait voulu s’accaparer mon frère, de ses colères et de sa possessivité, de ces éclats qui avaient marqué notre enfance. C’était toujours la même Pauline : brûlée par ses émotions, incapable de se laisser aimer pleinement, détruite par une souffrance qu’elle seule connaissait.

Ce moment a changé notre famille. Il a marqué le début d’une prise de conscience, de nuits blanches, de tensions sourdes, mais aussi de mon rôle constant : rester là pour elle, malgré tout, malgré les blessures, malgré la peur et la colère. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’aimer quelqu’un comme Pauline nécessitait de tenir bon, même face à l’impossible.

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