Café (titre provisoire)

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La maison était calme, baignée de la lumière pâle du matin. Élise passait un chiffon sur le plan de travail de la cuisine quand Ernestine, la soixantaine passée, apparut dans l’embrasure de la porte, un trousseau de clés à la main.

— J’ai ouvert la suite Dombes. Tout est propre. Il me reste plus qu’à redonner un petit coup dans la salle de bain, et ensuite j’irai faire la poussière dans l’espace commun.

Élise leva les yeux vers elle avec un léger sourire.

— Parfait, comme ça, ce sera tout prêt pour ce soir. Du coup moi, après le café, j’irai jeter un œil à la déco de la Saint-Amour. Il faut encore que je mette les bouquets de fleurs et les pétales de roses, comme demandé par le client. Je veux que ce soit parfait pour nos deux petits amoureux.

Ernestine hocha la tête en s’approchant. Dans un geste automatique, elle attrapa la boîte à café et en versa dans le filtre de la cafetière.

— Oui, c’est amusant, ça. Fêter la Saint-Valentin un mois après… C’est mignon. Et bonne idée, la privatisation du jacuzzi. Ils vont apprécier l'intention, c'est sur.

— On va leur faire un séjour aux petits oignons. Le groupe des trois copains sera dans la suite Dombes, au rez-de-chaussée. Nos amoureux seront bien tranquilles à l’étage.

— Deux chambres de louées en mars, c’est pas mal, observa Ernestine en lançant la cafetière. Ça sent le printemps. Ça redémarre tout doucement, mais on sent que les gens ont envie de ressortir.

— Oui et c'est tant mieux, répondit Élise. Ça fait du bien, ce rythme encore un peu doux avant la grosse saison.

La machine à café gronda doucement tandis qu’Ernestine préparait trois tasses. Le silence s’installa un instant, léger, complice, seulement rompu par le bruit du café qui coulait et les pas de l’une et de l’autre.

Puis on sonna à la porte. Les deux femmes se regardèrent aussitôt, elles savaient déjà. Élise s’essuya les mains sur un torchon et quitta la cuisine sans se presser. À travers le hall, elle aperçut la silhouette familière de sa mère derrière le vitrage. Elle ouvrit.

— Salut, Maman.

— Bonjour, ‘Lise. Je ne fais que passer aujourd’hui.

Elle entra comme chez elle, avec ce naturel propre aux habitudes bien ancrées. Elle ôta son manteau, le posa sur la patère près de l’entrée et suivit sa fille jusqu’à la cuisine, où Ernestine avait déjà aligné les trois tasses sur la table.

— Bonjour, Ernestine, fit la nouvelle venue en s’installant.

— Bonjour, Jeanne.

Elles prirent place, comme presque tous les matins, autour de l’îlot central de la cuisine. Élise l’avait voulu moderne et pratique, avec ses tabourets hauts pour les repas pris « sur le fil », quand la maison ne recevait pas.

— Le voyage s’est bien passé, avec ton cousin ? demanda Jeanne en saisissant sa tasse.

— Oui, ça a bien roulé, pas de bouchons. Et Antonin ?

Jeanne sourit, au souvenir de son petit-fils.

— Oh, Antonin a été sage. Il a regardé les infos avec son papi, alors il s’est couché un peu tard. Mais bon, chez Mamie on a le droit, hein !

Élise eut un sourire, puis :

— Merci encore de l’avoir gardé avant-hier soir. Je ne sais pas ce qu’on aurait fait sans toi.

Jeanne balaya l’air de la main, comme pour dire que ce n’était rien. Puis elle posa un regard plus grave sur sa fille, comme un signal silencieux. Élise connaissait bien cette expression sur le visage de sa mère, celle qui est sur le point d’annoncer des choses graves. Elle releva la tête, intriguée.

— Quoi ? demanda-t-elle.

Jeanne prit une gorgée de café, puis reposa sa tasse sans un mot. Elle fixa sa fille.

— Tu as vu les infos, ce matin ?

— Les écoles qui ferment lundi, à cause de ce virus ? Oui, j’ai vu. Et de toute façon, c’était le sujet à l’école ce matin. Difficile de passer à côté…

— Oui, ça aussi. Mais non. Je ne parlais pas de ça.

Un blanc s’installa. Élise plissa les yeux, attendit, et comme cela ne venait pas, elle dut insister. Cette manie de sa mère, cette façon de maintenir le suspense parfois, l’avait toujours agacée.

— De quoi, alors ?

Jeanne se racla doucement la gorge.

— J’ai vu aux infos, reprit-elle. Ils ont parlé de votre ami… enfin, celui de Roger, plutôt. Xavier Devry, c’est bien ça ? Le chanteur de Pyrrhus ?

Élise resta immobile, les yeux fixés sur sa tasse à moitié pleine.

— Oui, c’est lui.

— Ils ont dit qu’il était sorti de prison. Et il y avait même des images. Une aire d’autoroute, entre Clermont-Ferrand et Lyon, ils ont dit.

Élise fronça les sourcils, laissant l’information glisser dans son esprit avant de savoir qu’en faire. Puis elle hocha lentement la tête.

— L’aire de la Loire, oui. Mince, alors.

— Tu penses qu’ils vous suivaient ? Les journalistes ? demanda Jeanne.

— Non, bien sûr que non… Il n'y avait personne quand on l'a récupéré. Non, ça doit être des clients qui l’ont reconnu quand on s'est arrêté manger. Je ne vois pas comment, sinon.

— Ils n’ont pas dit où il allait ? demanda Ernestine, tout en sirotant sa boisson.

— Non, répondit Jeanne. Juste qu’il a été aperçu sur l’autoroute, loin de Bordeaux. C’est tout.

Elle se tourna de nouveau vers Élise :

— Sur les images, on voit qu’il n’était pas seul. Il y avait d’autres personnes, mais on ne distingue pas vos visages. L’image s’arrête juste avant.

Élise baissa la voix, comme pour marquer le secret.
— Il faut que ça reste comme ça. Il ne faut surtout rien dire, personne.

— Bien sûr que non, répondit Ernestine aussitôt. Personne dira rien. Ici, on sait tenir sa langue, même ceux qu’en pensent pas moins.

— Évidemment, dit Jeanne. Même ta sœur a dit qu’elle garderait le secret, bien qu’elle désapprouve, comme tu le sais. Mais franchement, ce n’était pas très malin de s’arrêter en route. Et sur une aire fréquentée, en plus.

— Mais il n’y avait quasiment personne, soupira Élise, même si elle reconnaissait la justesse des paroles de sa mère. Ils auraient mieux fait de ne pas s’arrêter du tout. Ou alors juste pour changer de conducteur, et éviter à son cousin de faire tout le trajet d’une seule traite.

— Et moi qui ne pensais pas qu’il était connu à ce point, ajouta Ernestine. J’me souvenais même pas du nom de son groupe. Pyrrhus, c’est ça ? C’est du rock, non ?

Élise haussa les épaules, sans répondre, songeuse.

— Et alors, il est avec Roger, là ? demanda Jeanne après un instant. D’ailleurs, comment ça s’est passé, hier, à son arrivée ?

— Il a été très discret. Il n’a pas pris de dîner. Et ce matin, il n’est pas descendu pour le petit-déjeuner… Enfin, pas que je sache… sauf s’il est venu pendant que j’emmenais Antonin à l’école ?
Elle interrogea Ernestine du regard.
— Non, confirma celle-ci. Il n’a pas bougé. Je ne l’ai pas vu.

Jeanne hocha la tête, pensive, mais ne commenta pas. Puis, après une courte reflexion :
— Mais donc… il n’est pas avec Roger ?

Elle laissa passer une seconde.
— Où est Roger, d’ailleurs ?

— À Mâcon, répondit Élise sans vraiment y penser. Il travaille.

Un silence plus lourd s’installa. Jeanne pencha légèrement la tête, surprise.
— Attends… vous êtes toutes les deux seules avec lui ?

Élise ne répondit pas tout de suite. Elle sentit la chaleur du café lui remonter dans la gorge, amère. Ou alors c’était le jugement sous-entendu. Elle posa les yeux dans ceux de sa mère et répondit, un peu trop vite, d’une voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.

— Oui. Pourquoi ?

Jeanne hésita, puis reprit une gorgée de café. Elle reposa la tasse sans bruit et dit simplement :
— Pour rien.

Elle fronça les sourcils, mais n’ajouta rien. Elise soupira, elle préféra ne pas insister, elle voyait bien la suite venir. Ce fut Ernestine qui prit les devants, déviant la discussion sur un sujet moins clivant :
— Tout de même, aussi… ce virus… Ça n’apportera rien de bon, c’t’histoire, j'y vois pas beau...

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