Hôtes - Partie 4
Le dîner se déroulait dans la salle à manger "de tous les jours", attenante à la cuisine. Une lumière douce tombait du plafonnier, et l’odeur de soupe aux légumes flottait encore dans l’air. Ernestine l’avait préparée plus tôt, avec ce mélange d’attention et d'efficacité qui la caractérisait. Antonin, déjà installé, balançait doucement ses jambes sous la table en attendant que son père finisse de le servir.
— Alors, nos trois clients, qu’est-ce que tu en dis ? Ils ont l’air sympa, non ? demanda Roger à Élise une fois que chacun eut son assiette devant lui.
— Très différents des premiers, répondit-elle pensivement. Le couple, Susie et Justin, est adorable. Très amoureux, le genre week-end romantique parfait : déjeuner demain au Saint-Amour, et dimanche chez Georges Blanc.
— Si c’est encore ouvert, grommela Roger. À ce rythme-là, tout va fermer. On sent que ça chauffe.
Xavier releva la tête, surpris, comme s’il revenait à la réalité.
— À cause du virus ?
Roger acquiesça en découpant une tranche de pain.
— L’Allemagne parle de fermer ses frontières. En Italie, c’est déjà fait. Et ici, on attend. On dirait qu’on joue la montre. Je serais pas étonné qu’on fasse tout fermer d’un coup.
— Tu crois vraiment qu’on va en arriver là ? demanda Élise, le ton plus inquiet qu’elle ne l’aurait voulu. Parce que ce serait un peu gros quand même, on ne peut pas tout fermer comme ça.
— Entre les écoles qui ferment lundi et les rumeurs de confinement… ouais. A mon avis, on y aura droit plus tôt qu'on le pense.
Xavier écoutait, pensif. Son regard s’était un peu fermé, avec cette lassitude qu’il portait comme une ombre.
— Ça sent la mise à l’arrêt, oui, dit-il d’une voix basse. Ce pays carbure à l’angoisse.
Un silence s’installa une seconde, puis Élise reprit, presque trop vite, comme pour alléger l’atmosphère :
— Eh bien en tout cas, il faut que ça tienne jusqu'à dimanche. Il veut faire sa demande là-bas, à Vonnas. C’est adorable, vraiment. Ce serait trop dommage s'il ne pouvait pas, ils sont trop mignons tous les deux.
Elle souriait en disant cela, les yeux brillants. Mais elle ne vit pas le changement imperceptible chez Xavier.
Son dos s’était légèrement tendu. Une brume était passée sur son visage, comme un vieux souvenir revenu trop vite. Il prit son verre, mais resta suspendu avant de le porter à ses lèvres, comme s’il hésitait. Puis il but une gorgée de vin, presque machinalement.
— Il va lui demander quoi ? demanda Antonin, curieux.
— De l’épouser, mon cœur, répondit Élise en riant doucement.
— Comme des amoureux ?
Roger tendit la main pour lui ébouriffer tendrement les cheveux.
— Oui, voilà, comme des amoureux !
Xavier, lui, gardait les yeux fixés sur sa soupe. Il avait eu un mouvement si discret, si rapide, qu’il aurait pu passer inaperçu : un tressaillement au coin de la mâchoire, une légère crispation.
Il ne dit rien.
Antonin demanda s’il pouvait avoir du gruyère râpé. Roger se leva pour aller en chercher, et la conversation glissa naturellement vers des sujets plus légers, les activités du lendemain, le temps prévu ce week-end, la soupe d’Ernestine jugée "trop meilleure que celle de maman".
Mais Xavier, lui, ne parlait plus. Il hochait la tête par moments, distraitement. Son esprit était ailleurs, happé par quelque souvenir ancien.
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