Rencontre - Partie 1

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Le château reposait dans un silence profond, empreint de cette sérénité propre aux maisons familiales où le temps coule sans accroc. Dehors, l’air était froid mais pas mordant, juste un froid sec qui piquait légèrement les joues. Au-dessus de des parterres, le ciel étendait ses constellations, parsemé d’étoiles pâles comme des âmes lointaines. Xavier était assis au bord de la fontaine. Ses pas l’avaient guidé côté client… une échappée sans logique. Il aurait dû rester dans la partie privée, ne pas s’exposer ainsi, mais son insomnie l’avait guidé là sans vraiment lui demander son avis, comme si quelque chose, au fond, avait eu besoin de venir ici, d’apercevoir ces deux-là.

Enveloppé dans sa vieille veste en laine, il fumait en silence, sans plaisir. La cigarette tenue mollement entre les doigts, il avait les yeux perdus dans l’obscurité. Les mots d’Élise, prononcés plus tôt au dîner, tournaient encore dans sa tête, obsédants comme une ritournelle.

« Trop mignons tous les deux. »

Une phrase banale, un rien attendrie, jetée comme un sourire au milieu d’un repas, mais qui s’était plantée en lui avec une précision cruelle.

Lili et lui aussi, autrefois, on les avait trouvés “trop mignons”. Le genre de couple fusionnel qu’on aime commenter à voix basse, en souriant, avec une pointe d’envie… Mais cela n’avait rien empêché. Et aujourd’hui encore, il restait dans une certaine forme de stupéfaction. Il n’aurait su dire ce qu’il s’était passé exactement. Si ce n’est que l’amour seul ne suffisait pas.

Le gravier crissa soudain sous des pneus, tirant Xavier de ses pensées. Une voiture avançait lentement dans l’allée plus loin, ses phares découpant la grille d’entrée publique en ombres mouvantes. Deux portières claquèrent à quelques secondes d’intervalle. Des pas, légers et synchrones, remontaient le chemin. Justin et Susie marchaient main dans la main, visiblement portés par leur soirée à Mâcon, les visages détendus, encore baignés de ce bonheur tranquille de ceux qui partagent tout, ou presque.

— Bonsoir, lança Xavier, comme à regret, presque à voix basse.

Justin sursauta légèrement.

— Oh, bonsoir ! On ne vous avait pas vu. Désolé si on vous a dérangé…

— Non, non… pas du tout, répondit Xavier. C’est moi qui suis désolé de vous avoir surpris.

— Pas de soucis, ajouta Susie en souriant. Vous profitez de la soirée ? C’est sympa ici.

— Très, acquiesça Xavier. Je prenais l’air, oui. C’est agréable, ce soir.

Susie jeta un œil autour d’elle, bras toujours glissé sous celui de Justin.

— Oui, c’est vrai. C’est très calme, on s’y sent bien.

Un court silence s’installa. Justin observa Xavier à la dérobée, fronça légèrement les sourcils, comme intrigué. Il sembla hésiter, puis se lança :

— Vous êtes… le mari d’Élise ?

Xavier releva les yeux, un peu surpris. Un sourire discret, presque amusé, effleura ses lèvres.

— Non. Un ami de la famille.

— Ah, d’accord, fit Justin avec un hochement de tête. Nous, on est là pour un petit week-end… Une pause à deux. Ça faisait longtemps.

— Et vous avez bien fait, répondit Xavier. Son regard se perdit un court instant. Il marqua une pause, puis ajouta, comme malgré lui :
— Belle soirée ?

La lueur orangée de sa cigarette soulignait brièvement les creux de son visage.

Susie tourna la tête vers Justin. Leurs regards se croisèrent. Quelque chose dans la voix de l’homme, dans sa silhouette à contre-jour, dans ce timbre rauque et ce visage à demi-dérobé, éveilla un soupçon. Le doute passa dans les yeux de Justin ; Susie, elle, se figea très légèrement. Son sourire s’était affadi. Une tension imperceptible raidit ses épaules.

Elle mit une seconde de trop à répondre. Mais elle répondit, polie, mesurée :

— Oui… merci.

— Parfaite, ajouta Justin. Nous étions à Mâcon. Un bon resto, une petite balade le long des quais… c’était simple et chouette.

Xavier hocha lentement la tête.

— Profitez, dit-il d’une voix plus basse. On ne sait pas ce que l’avenir réserve.

Justin soupira, un peu trop fort, comme pour dissiper un malaise.

— Oui… ce satané Covid…

— Oui. Ça aussi.

Susie allait prendre congé quand des phares apparurent à l’autre bout de l’allée. Une deuxième voiture avançait dans le gravier du parking clients, et s’y gara. Les portières claquèrent, des rires éclatèrent, suivis d’échos de pas empressés.

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