Rencontre - partie 3
Le bref silence qui suivit fut bientôt remplacé par des éclats de voix, assourdis, étouffés par la nuit, porteurs d’une légèreté qui lui semblait à la fois familière et définitivement perdue.
Il referma la porte du château sans bruit.
Dans le hall, seule une petite veilleuse dorée jetait un halo discret sur la console, créant une île de lumière vacillante dans l’obscurité. Xavier resta immobile quelques instants, les yeux clos, comme s’il cherchait à stabiliser quelque chose en lui. Il monta à l’étage sans presser le pas. Mais une fois arrivé, il ne rejoignit pas sa chambre.
Il dévia. Hésita.
Ses pas le reconduisirent en bas, dans le salon plongé dans une pénombre paisible. Il referma doucement la porte derrière lui, inspirant profondément l’odeur du bois ciré et des bouquets de fleurs. Il s’approcha du Steinway blanc, aux courbes laquées d’une lumière laiteuse. Un modèle O, avait précisé Élise avec retenue, comme si c’était trop beau pour elle.
Xavier se souvint de ce qu'elle lui avait dit, la veille, d’un ton nostalgique, en passant la main sur le couvercle :
« J’en ai rêvé toute ma jeunesse. Nous n'avions pas les moyens, à l'époque. J'avais un tout petit clavier numérique, tu sais du genre pour les enfants. Alors quand j’ai pu… »
Elle n’avait pas fini sa phrase. Elle s’était contentée de sourire, de caresser les touches comme on salue un vieil ami d'enfance.
Il s’assit sur le tabouret.
Ses doigts planèrent un instant au-dessus du clavier, hésitants, puis effleurèrent quelques notes, un accord timide, à peine formé. Il ne jouait pas vraiment. Il cherchait juste le toucher. Une sensation, un repère. Quelque chose qui dirait qu’il était encore vivant, malgré tout.
Mais les souvenirs revenaient avec la musique, aussi faible fusse-t-elle. Lili. Son rire. Sa présence entière, vivante, qui envahissait tout. Leur première rencontre, à un concert. Cette époque joyeuse, lumineuse, débordante... Comme un lointain passé qu'il peinait encore à croire perdu pour toujours.
Son esprit dévia sur ce couple dehors, cette main glissée dans l’autre, ce futur qu’ils construisaient à deux. Cette demande en mariage à venir.
« Trop mignons tous les deux. »
Il ne pouvait pas en vouloir à Élise. Ce n’étaient que des mots. Mais ces mots s’étaient logés en lui insidueusement, comme des minuscules pointes sous la peau, impossibles à extraire.
Il ne détestait qu’un seul homme dans cette pièce, et c’était lui. Lui, pour ce qu’il avait fait. Pour ce qu’il portait désormais à jamais. Il n’y avait pas d’excuse. Pas de circonstances. Pas d’oubli.
Le silence retomba, épais comme une condamnation.
Finalement, il se leva et ouvrit l’une des fenêtres. Le froid pénétra aussitôt, presque bienvenu. Il regarda le parc étendu devant lui, les arbres noirs découpés par la lumière discrète des étoiles. Là, juste à droite, la silhouette d’une balançoire, d’un toboggan… et cette impression sourde, persistante, que le monde tournait désormais sans lui.
Et c’était bien ainsi.
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