DIX, DOUZE KILOS

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IMANE

Elle s’appelait Imane.
Ou plutôt dans le journal elle s’appelait Imane mais elle s’appelait en réalité M. et son nom était tu par pudeur ou par peur ou pour protéger l’intimité, la raison n’était pas claire, même pour le journal. On l’appellerait donc Imane, ici.
Imane c’était.

L’amour très fort, très beau, au ventre tout cogné, l’amour et puis. L’amour plein, vrai, tellement que l’angoisse — d’aimer ainsi, d’être aimé pour ce qu’on était ou qu’on était pas — l’amour et puis l’absence de cet amour.

Imane attrapait la main et tirait sur la piste de danse. D’ordinaire si timide, la main devant la bouche lorsqu’elle mangeait, toujours, la main pour, cacher-voiler-enfouir, la main qui tirait et alors. Alors son corps qui n’était plus son corps et qui s’ouvrait, éployé comme les ailes d’une phalène, d’un insecte saisi de lumière, liquide dans la bouche la lumière. L’horreur, aussi, des choses mouillées, comme le pain, le pain mouillépâteux et le bruit du pain entre la langue et le palais, écrasées les choses mouillées dans la bouche pâteuse, l’horreur-l’horreur-l’horreur. Mais. Le journal ne voulait pas raconter ça, pas raconter ce qu’il ne connaissait pas, n’avait qu’entraperçu. Raconter, plutôt, la lumière liquide sur la peau, la robe froissée et le khôl et la sueur et le parking de la salle communale avec ses lampadaires et ce visage noir bleu orange. Son corps soudain qui devenait son corps. La liberté, alors. Et comme ça le premier je t’aime, le premier et le suivant, je t’aime Imane, la phrase pas assez répétée, jamais assez, au fond de la gorge, la sécheresse de ce comment dire ce qu’on a jamais su dire. Je t’aime Imane et Imane qui dansait au milieu de la salle, ses mains dans des mains et son corps délié de ces chaines qu’on ne connaitrait jamais. Aimer, aimer plein et vrai et la bière froide et le corps qui ne pouvait pas toujours suivre Imane, seule la jointure des danses simples et des petits pas — le rire, pourtant, le rire de maladresse, de cette chaleur dans les orteils, serrés dans les chaussures et qui disaient je danse sur ce sol et tu danses sur ce sol et je veux battre le rythme de ton cœur et je veux. Les phrases rarement finies. Un jour, un jour j’ai vu la mort commençait le secret toujours tu sur le chemin du retour.
Plus tard son nom que le journal ne pourrait prononcer — la crainte, constante, honteuse, de ce qu’on a perdu et de ce qu’on a peur de perdre.
Imane.



LES GÉANTS

Longtemps et toujours le sommeil agité, les jambes tendues au fond du lit, les orteils qui vont loin comme par-delà la couverture et le corps tiré-tiré et les bras croisés sous l’oreiller. La tête quelque part au milieu, là sans être là. Les doigts qu’on entend gratter dans le matelas, creuser comme sous terre les chiens cachent leurs trésors. Et puis l’impression d’une petitesse, tout-tout-petit le rêve ou le cauchemar de poursuites, constantes comme les pluies d’automnes, l’eau en cordes nouées-serrées autour de. Le réveil en sueur. Dans le rêve des géants qui portent des pierres et dans le rêve aussi les pierres grandes sur le dos courbé, les pierres sur le dos comme au fond de l’estomac.
On ne voudrait jamais être géant mais un jour peut-être il faudrait.



PAPI

Papi mangeait les côtelettes et suçotait l’os. L’os des agneaux, les têtes des crevettes aussi. L’iode sur la langue et la langue tournée sur la tête vidée. Papi avait fait la guerre alors il finissait tout. Du reste, les souvenirs était épars. Il avait travaillé dans une usine de biscuits et on parlait de son odeur chaude mais ça le journal ne s’en souvenait pas. Ni l’odeur ni l’alcool qu’il buvait avec les amis de la guerre, des quantités extraordinaires, les amis de la guerre qui ne parlaient jamais de la guerre et qui sirotaient sous le soleil et demandaient à la grande d’aller chercher du rab’ de saucisses chez le boucher de l’aut’ côté de la rue. Chambon ? Non, Gibbon, oui, s’appelait Gibbon et faisait les meilleures saucisses mais le journal se rappelait si peu de cette enfance-là, morte depuis ce qui paraissait une éternité.



CUISINER

Le citron bergamote fraichement râpé.
Les quartiers de pomelo et le persil.
Aussi, les nectarines au four et les pâtes fêta-asperges.
Dans la tristesse, toujours, les plaisirs du ventre.
Étouffer la solitude de ceux qui sont partis.



IMANE

Je t’aime Imane dans la nudité et le lit froid, sous la mansarde, je t’aime tissé à la lumière crue des rues et aux peaux ensués et parcourues de ce mince filet d’air glacé, je t’aime plein comme la neige couvre les rues silencieuses, comme le matelas à même le sol, le parquet et les grincements du parquet sous les pieds nus. Comme le corps dévoilé et qui ne se regarde pas.
Une boucle, que tout ramène au même nœud.
Ainsi on ne fera plus jamais l’amour comme ça, ni dans cet appartement ni jamais ailleurs car ensuite toujours viendrait le départ, le train au petit matin et les je-reviendrais sur le quai venteux de cette gare de campagne et les yeux clos sur le siège resserré du TER — le demi-sommeil et le souvenir d’une peau contre une peau et d’un ventre à l’envers — et puis le néant, et ce qui succèderait au néant.



ÉCRITS DE JEUNESSE : LES FILMS POUR ADULTES

Quand grand-mère partait au marché, nous regardions les chaînes pour adultes — des films, aux plans saturés de corps : l’inspecteur plongé dans les entrailles d’un cadavre chiffon ; la femme fatale et ses cowboy killers ; de la fumée des ongles qui s’agrippent sur un costard froissé ; une bouche ouverte un drap déchiré un nudité énorme dressée au milieu d’un insert tordu — des scènes de violence que nous nous amusions à rejouer avec la tragédie des adolescents : les lignes de L. offertes au fauteuil d’osier, la cigarette de grand-mère grisant son maillot, ses mains roulées dans mes joues : oh, honey, babe, darling, je t’aime tant, mon amour, my love, je t’aime tant-tant-tant… un sourire : c’est ton tour maintenant ! alors me voilà à toute berzingue dans le couloir : chérie, tu m’as trahi… L. qui bondit, enjambe le canapé, glisse sous la table, mais ma gâchette rapide pan ! pan ! L. aplatiedésarticulée avec toute la tristesse du cinéma… jusqu’à ce qu’un gloussement émerge pour balayer sa dépouille.



LE CIMETIÈRE

On habitait à côté d’un cimetière, un cimetière à célébrités où on allait lire et flâner, des errances d’entre-tombes et des monuments qu’on ne considérait pas comme des tombes malgré les dates de naissance et de mort — sauf celles très rapprochées — celles des yeux fermés et des demi-tours, des os qu’on imaginait tous petits et resserrés dans leurs minuscules boîtes.
Imane aimait beaucoup y lire et pendant longtemps on n’irait plus et on n’y retournerait qu'avec le temps, la boule toujours un peu au ventre.



PAPI

L’autre Papi aussi avait fait la guerre, enfin, il avait été soldat et il avait vu le Pacifique et les champignons géants sur l’océan. Le cancer très jeune et son nom jamais prononcé. Lui, on ne l’avait même pas connu.



IMANE

Quand dans ton appartement soudain ton odeur. Le café et les épices.

Chez tes parents presque l’absence de ton odeur, recouverte et qu’il fallait creuser dans les interstices, sous le chat roulé et la couverture les draps tièdes de ton odeur. Ta chaleur dans la nuit. Ton corps, toujours chaud de sommeil. Et les réveils brusques dont on ne parlait jamais.



L’ÉTÉ

Le petit balcon sur la pinède avec ses séchoirs blancs et son linge parfois emporté par le vent, flottant du balcon à la pinède. Et derrière la pinède la mer, le vent qui amenait la mer quand les grands rouleaux à l’horizon et les sandales et les vélos sur les graviers et à l’intérieur le calme du crépi bleu clair, la constance rassurante d’une télévision jamais éteinte et de cette odeur de sel et d’huile-pour-soleil.
Grand-mère qui dormait dans la petite chambre, presqu’un cagibi, avec ses lits superposés et ses ronflements de grand-mère qui réveillaient au milieu de la nuit.
La petite fenêtre carrée, la lune, quelque chose de très resserré, éphémère comme les jeux de plage, ces règles qu’on sait inventées et dont on ne saisit pas encore le caractère si succinct. Plus tard, bien plus tard et pendant très longtemps, une sensation qu’on chasserait.
Aussi, la peur, car c’est là qu’on découvrirait pour la première fois la peur. La peur véritable.



ÉCRITS DE JEUNESSE : LES CIGARETTES

L. aimait les Marlboro rouges. Nous en glanions dans les paquets de grand-mère puis, quand il y en avait assez, nous nous cachions au cimetière municipal, derrière les murs de lierre et le caveau de la princesse Olga (1901-1933 / À mon grand amour / nénuphars, roseaux, un ange, au visage mal taillé). C’est ainsi que, malgré nous, nous assistâmes un jeudi de juillet à notre premier enterrement, un enterrement comme les autres — des pleurs, de la terre, des éloges dans le vent — mais revêtu d’un caractère sacré pour nous qui n’étions que des enfants. Les yeux de L. clos tandis que près des cœurs on déchirait des vêtements blancs — des fissures, qui devaient longtemps me rester, figées. Puis sa main sur la mienne, qu’elle avait trouvée dans l’obscurité. J’ai voulu dire tu pleures ? mais j’ai juste allumé une autre cigarette, de peur d’ouvrir le silence. Et quand tout a été rebouché, on est sortis de derrière le caveau et on est repartis par la grève, les épaules tapées du bout des poings.



SARAH

Elle portait des pantalons rayés et des grandes lunettes fumées, ce qu’on associerait toujours avec le style école d’art, noir-et-blanc, nouvelle-nouvelle-vague, un style qu’on fantasmait sur les blogs Tumblr avec les images grenées des mauvais téléphone — pellicule numérique, lumière pastel et phrases courtes et incisives des adolescents qui pensent redécouvrir le monde.

On écrirait à la craie sur les trottoirs.
La pluie balaierait tout.

Puis ce serait la première fois, une première fois sans amour mais avec une certaine tendresse, le rire, surtout, des doigts qui se cherchaient dans une chambre éclairée à la lune. La première fois, aussi, de la langue fond de gorge, épaisse, musculeuse, avec son goût de vanille. Les ongles un peu longs et qui venaient le long des hanches. L’électricité tout le corps. La gêne.

Trois fois dans la même soirée.
La main qui tâtonnait et trouvait la main. Une tristesse qu’on ne demandait pas quand elle serrait. Le silence qu’on regretterait plus tard.
Endormis dans les bras de l’autre le parfum de ses cheveux, comme de la lessive étendue, fraiche sur son fil, une odeur qu’on retrouverait partout et nulle part et qui inspirerait les premiers poèmes du journal, les draps blancs comme de la chaux ou quelque chose de ce genre, à propos des chambres d’hôtels et des odeurs qui surgissaient de très loin, de l’enfance, une image un peu plate mais qu’on chérissait sur le cœur, celle des fantômes étendus sur leurs séchoirs et des premiers ressassements.

Dans le journal on écrirait son nom, Sarah, parce qu’il n’y aurait pas de tristesse dans son nom.



L’ÉTÉ

En premier lieu on se souviendrait de sensations désagréables, les mollets desoleilbrûlés et les sandales qu’on aimait pas remettre après la baignade, à cause du frottement plastique-sable-sel — les pieds qu’on préféraient nus et douloureux, sur les graviers les épines de la pinède — parfois même le sang, quelques gouttes, et plus tard les croûtes grattées sous la douche.
Il faudrait que la mémoire appelle la mémoire pour que l’on retrouve les joies. Les glaces. Le banc de sable tout doux et recherché année après année, un peu plus près un peu plus loin. Le banc de sable été après été comme les amis qu’on retrouvait et ceux qu’on ne retrouvait pas. Les noms presque tous oubliés, emportés dans le vent d’Argelès-sur-Mer. Je me souviens, je me souviens… Jade, Rémi, Suzanne… je me souviens…
La mémoire qui appelait la joie et la mémoire qui appelait la peur aussi.



LE PETIT CHIEN

On avait grandi avec ce petit chien blanc et pour la première fois on pleurait, sans pouvoir s’arrêter, le petit chien qui tremblait dans les bras. La maladie très soudaine. Aveugle. Le chien qu’il fallait porter de l’autre côté de la rue, dans l’herbe. Le chien à qui il fallait donner sa gamelle tout devant. Le chien qui errait et qui glissait dans les escaliers alors qu’on avait tourné la tête un instant juste un instant. Les marches dévalées et le petit chien qui n’avait rien qui avait juste glissé sur le ventre ce n’était rien mais qui tremblait tellement dans nos bras.
Le lendemain le petit chien qui dormait doucement dans la salle froide du vétérinaire et qui dormait et ne dormait plus.
Parfois dans le lit tard on penserait aux géants et on penserait aux poussières des petits chiens blancs, où sont-elles, ces poussières-là, ces poussières d’os blanches comme l’écume ?



ÉCRITS DE JEUNESSE : LE CIMETIÈRE

Le cimetière dont j’avais gardé un souvenir plus petit, plus étriqué : les passages où se faufiler, les recoins où se blottir, les trous où enfoncer les mégots… il semblait que l’endroit s’était entre-temps nourri de mon absence, qu’il avait grandi, grossi, englouti les talus et les dunes… effacé les trous de souris, gravi les raidillons, rongé les collines…
Du temps avant de trouver la tombe de grand-mère ; toujours, la distance (ce jour-là, derrière les adultes, la peur de la voir).
La pierre était propre, lisse et dégagée, entretenue. Le vent battait les pins, griffait le jour, semblait porter les voix des morts et des entrailles de la terre.



LA BLANCHEUR DES OS

On lisait La Chouette Aveugle que Imane avait adoré. On n’était plus ensemble depuis un an mais on tenait tout de même à le lire. On refermait le livre et on tirait le téléphone de la poche de short et alors on apprenait la nouvelle, l’écran de téléphone comme très gros avec derrière un grand flou, les pieds dans l’eau et la piscine d’un bleu surréel et le mas en pierre que les parents louaient chaque été depuis dix ans maintenant. Un cocon isolé et d’où on ne recevait les nouvelles du monde que par téléphone. Un endroit de plusieurs siècles et où on aimait à croire que dans les épaisses pierres existait encore une version plus adolescente de soi, qui venait de rencontrer Sarah et flirtait maladroitement par messages, qui envoyait des selfies en short à Imane, avec la jolie lumière du Sud qui sculptait le ventre, ses réponses qu’on recevait tard dans la nuit, alors qu’on jouait aux cartes et qu’elle envoyait des baisers pour souhaiter bonne chance, ses mains portées à ses lèvres et ses baisers jetés et la vidéo qui coupait sur l’image fixe de son sourire. Et alors que qu’on refermait La Chouette Aveugle on recevait la nouvelle de la mort de E. Un mail professionnel envoyé à tout le corps enseignant de sa classe. Très sobre. Nous avons appris la mort soudaine de E. B. ce matin.
Il faudrait un instant pour se rappeler qui était vraiment E.
On enseignait depuis trois ans à la Sorbonne et E. avait été l’élève un peu timide cachée au fond de la salle. Ce qui énervait un peu parce que qu’on avait l’habitude de passer assidument dans les allées et de faire attention à ce que les étudiants faisaient ou ne faisaient pas et E. se cachait dans sa rangée reculée, derrière son écran, avec sa tête baissée et sa timidité et quand on se rappelait enfin à E. et qu’on venait voir E. n’avait pas beaucoup avancé et ça frustrait car il fallait passer du temps avec E. pour rattraper le retard et ce cours même qu’on finirait quinze minutes après la sonnerie. E. était dans la moyenne. Élève qu’on aurait probablement oublié comme les autres. Mais E. venait de mourir.
D’une mort solitaire.

D’après un minuscule article RTL E. randonnait dans les Pyrénées et ne retournait à son hébergement le dimanche soir. Deux jours plus tard, le mardi, un berger retrouvait son corps. Des conditions météos difficiles et de multiples traumatismes auxquels E. n’avait pas survécu. Quand on tape son nom aujourd’hui on trouve seul son avis de décès et une chaine YouTube qui contient une playlist avec des vidéos de Poisson Fécond vieilles de neuf ans.
Aujourd’hui c’est l’unique élève dont on se rappelle. On se rappelle ses cheveux bouclés et ses lunettes et son sourire un peu béat et maladroit de timidité.
On ne pense pas à sa mort avec tristesse, mais on n’y pense souvent. Un plan fixe, son corps qui bascule dans le vide et la caméra qui reste figée sur la montagne et le ciel bleu. Sa mort comme hors champ, comme finalement toutes les morts que qu’on a connues et qui se sont produites par des jours chauds et ensoleillées. Le petit chien dans la salle fermée du vétérinaire. Grand-mère qu’on n’avait plus revue depuis son AVC et les pompiers qui l’emportaient. Ce genre de mort qu’on ne faisait qu’imaginer avec les restes de présence.
Quand Imane avait demandé quelles sont tes peurs on lui avais parlé de nos petites peurs : que le bras se déchire dans le pli du coude et dévoile la chair… les dents qui tombent… puis le vertige, les avions, le polystyrène. Des choses qui saisissaient un peu le cœur mais sans plus. On n’avait pas dit : la Mort. On n’avait pas dit les corps sous terre, les os blancs et oubliés et les corps qui ne pesaient plus que dix, douze kilos et qu’il était désormais si faciles de porter. Que même un enfant auraient pu porter, ces corps qui n’étaient plus des corps mais des choses minuscules et recroquevillées dans des petites boites sous terre. Même un enfant.

On pense souvent à E., d’une pensée égoïste et qui évoque notre propre finalité, nos propres peurs, et toutes ces choses qu’on a perdu et qu’on ne retrouvera plus, plus jamais. On pense à E. avec le sentiment d’une trentaine qui voit mourir une vingtaine et on n’y pense toujours de manière soudaine, dans le lit avec le cœur serré et le monde qui apparait démesuré, immense, ce monde de géants qui écrase et qui serre encore un peu plus le cœur, boucle de pierres qui tombent et de cœurs qui se serrent.

Dix, douze kilos, c’est ce que pèsent les restes de E. et ceux de grand-mère aussi.
Des os d’une blancheur immaculée et qu’on a recouvert de terre.
Oui, dix, douze kilos. C’est rien, finalement. Deux packs d’eau, un cartons de livres ou un sac de golf avec ses clubs. Des choses qu’un enfant pourrait porter pendant des kilomètres.



L’ÉTÉ

Les piqures de grand-mère sur le doigt et le bipbip de l’appareil et la seringue dans le gras du ventre. Les repas auxquels il fallait faire attention. Le petit chien de grand-mère noir-et-blanc avec ses dents en avant et qui sautait sur tout. Oscar. Il s’appelait Oscar ce petit chien un peu moche et qu’on aimait fort quand il se roulait contre nous, sur le canapé, le petit chien si brusque et si délicat et qui mourrait après grand-mère encore, écrasé par une voiture.

Parfois on penserait au petit chien noir-et-blanc et au petit chien blanc qui s’étaient tous deux évadés du jardin et qu’on avait retrouvé côte à côte dans la rue, en train de se courir après et de s’amuser.



IMANE

On irait dans les caves du Chien Noir et on écouterait les poètes en herbe et on parlerait des vers qu’on aime et qu’on aime pas et parfois on se donnerait des petits coups de coude, pourquoi tu n’y vas pas, toi, ses poèmes qu’on admirait, à propos des figuiers et des ogresses, mais jamais elle n’irait et toujours on la ramènerait main dans la main, un peu ivre, et toujours on essaierait de lui dire ce qu’on arrivait pas à lui dire, un jour j’ai vu la mort, le corps qui n’était plus un corps mais une masse inerte sur le carrelage, le petit chien qui léchait le visage sans vie, la voix du téléphone si lointaine, a-t-elle des problèmes de santé ?, et toujours on serait incapable de finir l’histoire de même qu’on serait incapable de se rappeler l’âge précis, douze, treize ans, on ne sait pas, pourtant on se souviendrait si bien de ce soir-là, sur le canapé avec le chien noir-et-blanc, la série télé, l’acteur blond aux yeux bleus, l’arnaqueur en gros plan, et un an plus tard on se souviendrait parfaitement du retour du collège, la télévision comme motif, Roland Garros, la balle jaune sur l’écran, et Papa qui dirait ta grand-mère est morte, cette grand-mère que tu n’as jamais revu depuis son corps inerte sur le carrelage, depuis ce corps que tu tires de tes petits bras, la balle qui va et vient et tes bras si petits, où sont-ils tes bras des géants ? le pompier qui te demande c’est vous qui l’avez mis comme ça, mais comment lui dire que tu n’as pas réussi plus, comment lui dire toute la peur et ton corps si petit qui ne pouvait porter…



IMANE

Imane je voulais te dire…



ÉCRITS DE JEUNESSE : UNE NEIGE QUE LA PLUIE FERA FONDRE

sous la fenêtre les pneus les chiens la neige
le bol percé que tu m'as offert
ses oranges grosses comme des poings

que j'oublie de manger. c'est dimanche
et tu n'es plus là
pour faire bouillir les œufs

les écaler au-dessus de l'évier
le cliquetis de leurs fragments
qui dévoile la blancheur. tu crois

qu'on pourrait les recoller
à la poussière d'or ? qui sait
avec le temps. en ton absence

je mange les œufs au plat
je baisse le chauffage
et les dendrites d'humidités s'étendent

en de fines pattes d'araignées.
le chat cercle dans l'appartement
puis se pelote

d'or
sur le coussin d'or : ça y est
il pleut :

l'eau sur l'eau
l'air sur l'air
puis le vide, ou un résidu du vide

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