Le Signe des Améfires

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A Guénith, les jeunes gens étaient nombreux, une chose surprenante pour un si petit village. Ils passaient le plus clair de leur temps en groupe, discutant au bord du lavoir lorsque les femmes n’y étaient pas, ou bien flânaient autour de la fontaine, sur la place du marché. Peu d’entre eux restaient seuls et, si cela arrivait, ce n’était pas par choix. Nacia était de ceux là.

La jeune fille attribuait sa solitude au mépris et à l’indifférence de ses semblables. Eux, trouvaient que sa présence rappelait celle des adultes : en décalage, ennuyeuse. Tout ce qu’ils souhaitaient éviter. Pourtant, elle ne souhaitait rien de plus que la compagnie d’amis ou d’amants de son age.

Souvent, lors de ses moments de liberté, elle se promenait dans les blanches ruelles et sentait son cœur se serrer lorsqu’elle entendait le rire cristallin d’amies partageant des plaisanteries, ou lorsqu’elle apercevait deux amoureux enlacés dans un baiser passionné. Elle ne ressentait pas de jalousie, seulement la crainte de ne jamais connaître de telles joies.

Ses seize ans marquèrent l’entrée dans sa première nuit d’Esclarmae. Couronnées d’Emytres blanches et vêtue de sa plus belle robe, elle espérait y trouver son époux d’un an. Ainsi parée, tous semblaient s’étonner de sa beauté. Les paroles admiratives et flatteuses des autres jeunes filles lui donnèrent du baume au cœur. Peut-être la chance lui sourirait-elle, au moins pour cette nuit.

Hélas, une apparence immaculée ne pouvait rien contre une réputation entachée. Nacia ne fut invitée par aucun garçon, pas plus qu’elle ne s’intéressa à ceux qui lui tendirent la main : la pitié suintante de leur regard était bien plus douloureuse que le plus affiché des rejets. Le changement tant espéré ne fut qu’une humiliation de plus.

Curieusement, la laissée pour compte d’Esclarmae n’avait pas pleuré. Les jours suivants montrèrent que la solitude lui évitait nombreux drames. Les couples nouvellement formés se déchiraient déjà, qui d’un amant trop pressé, qui de tromperies mal cachées… Nacia imaginait mal pouvoir supporter une telle désillusion.

L’amour lui paraissait trop beau et trop précieux pour être ainsi gâché par pur égoïsme. Elle voulait son amant honnête et tendre. Mieux valait être seule qu’avec un menteur brutal.

Les semaines passèrent et ceux qui avaient vu Nacia dans ses beaux atours étaient plus enclins à l’aborder en privé qu’en public. Les garçons les plus hardis tentaient de la séduire, se croyant en position de force face à celle qui ne pouvait pas de permettre de faire la fine bouche. Pourtant, leur laideur aussi bien morale que physique ne jouait pas en leur faveur. La jeune fille les rejeta les uns après les autres.

L’amour ne pouvait se commander et ne naîtrait jamais du désespoir ou de la pitié. Elle voulait de son amant un charme subtil et naturel. Mieux valait être seule qu’avec un lourdaud négligé.

Ses parents s’inquiétaient d’une telle inconstance. Désirait elle un compagnon ou bien une totale solitude ? Elle même ne semblait pas le savoir. Pourtant, le choix ne lui appartenait pas: Guénith était trop petit et isolé pour survivre à un manque de foyers. Il fallait du sang neuf pour labourer ses champs, élever son bétail et perdurer ses traditions.

Malgré elle, Nacia portait le poids de ce devoir imposé à coups de suggestions ou de remarques indiscrètes : tant que son corps pourrait porter la vie, il lui faudrait se marier.

La jeune fille ne refusait pas cette responsabilité, car on ne parlait de ceux qui la fuyaient qu’avec dédain. Elle aimait sa terre, son village, sa famille et ne voulait pour rien au monde devenir une paria.

Si Esclarmae n’avait pas porté ses fruits, la sagesse des anciens pourrait au moins en faire germer les graines ? Nacia consulta sa grand-mère Irène, qu’elle ne voyait jamais sans grand-tante Auléria et grand-tante Obélinde à ses cotés, collées les unes aux autres sur leur banc de pierre, comme des moineaux engourdis sur une branche.

 - S’il vous plaît, savez vous comment trouver l’amour ?

Les trois aïeules se regardèrent, l’air complice. La requête de la jeune fille ne les étonnaient guère. Heureusement pour elle, la réponse était toute trouvée, même si elles n’étaient pas d’accord sur les détails.

 - Il faut observer les signes, ma petite ! commença grand-tante Auléria. Le mien est apparu dans le reflet de l’eau du puits, à la pleine lune.

 - Oh, ma pauvre, ça ne veut rien dire ! S’esclaffa grand-tante Obélinde. Ton signe t’a apporté un grand nigaud avec qui tu ne t’es même pas mariée ! Non, ma douce, pour que ça marche, il fait regarder dans l’eau du lavoir, à la pleine lune.

 - Mais qu’est ce que vous avez avec votre eau, bande de bécasses ? S’emporta grand-mère Irène. Vous avez toutes les deux attiré des crétins ! Non, ma toute belle. Ton signe, tu l’auras dans tes rêves, à la pleine lune.

Grand-tante Auléria et grand-tante Obélinde levèrent les yeux au ciel. Grand-mère Irène n’avait, en effet, jamais connu un autre homme que son époux. Ils avaient tous deux coulé des jours heureux jusqu’à ce qu’il soit emporté par la faiblesse de l’âge.

La seule constance dans le discours des aïeules étant la pleine lune, Nacia guetta le ciel, nuit après nuit. Lorsqu’elle apparut enfin, pâle et fraîche dans le lourd crépuscule d’été, la jeune fille suivit le conseil de sa grand-mère et se mit aussitôt au lit. Le sommeil ne se fit jamais autant désirer que ce soir là.

Le lendemain, elle ne se souvenait d’aucun visage, pas même d’une silhouette permettant de connaître l’identité de son futur époux. Cependant, l’image d’une fleur d’un bleu vibrant lui revint en mémoire, si clairement qu’elle put la décrire sans mal à grand-mère Irène. Tout indice était bon à prendre.

L’aïeule n’eut pas besoin de réfléchir longtemps pour mettre un nom sur ce présage.

 - C’est une Améfire, sans aucun doute ! Leur origine est teintée de mystère, car elles vivent plus longtemps que n’importe quelle fleur et brillent en l’absence de soleil. Ah, mais bon courage pour en trouver, ma toute belle… Elles sont bien trop rares. Tu n’en trouvera aucune par ici, sois-en sûre.

La jeune fille espérait une réponse, mais se retrouvait avec davantage de questions. Peut être que l’eau du puits et du lavoir ne seraient pas de si mauvaises conseillères ? Hélas, à chaque pleine lune, aucune forme humaine ne se manifestait, hormis l’ombre de son propre reflet.

L’automne arriva et avec lui, un gel prématuré. Nacia connaissait son rôle : ramasser le bois mort à l’orée de la sombre et dense foret bordant Guénith. C’était une tâche ingrate et solitaire, mais si elle craignait cette solitude parmi ses semblables, elle l’appréciait parmi les arbres. Leur présence, certes intimidante, était étrangement réconfortante.

Un soir, alors que le soleil affaibli projetait ses derniers rayons, Nacia remarqua des petites taches bleues luisant parmi les feuilles mortes. En se rapprochant, la jeune fille découvrit tout un parterre de fleurs, similaires en tous points à celles de son rêve. Des Améfires.

Le souffle court, Nacia scruta nerveusement la foret environnante. Son aimé apparaîtrait-il ici ? Elle posa son tas de branches, épousseta ses vêtements et attendit quelques minutes, sans résultat. En prêtant une plus grande attention aux Améfires, Nacia remarqua qu’elles se dispersaient en plus grand nombre dans une seule et même direction. Un recoin sombre, peu accueillant où elle ne put s’empêcher de s’engouffrer.

Elle atteint bien vite un tunnel de végétation, comme une tonnelle laissée à l’état sauvage. Les Améfires y avaient grimpé, couvrant les branches roussies par l’automne d’une captivante lueur bleutée, éclairant le chemin plongé dans la pénombre.

Au bout, une impasse, où un pâle rayon de soleil éclairait un objet métallique. Nacia s’approcha avec prudence et vit un plastron à peine rouillé sur lequel du lierre tentait péniblement de s’accrocher. Parmi d’épaisses touffes d’herbes, la jeune fille put distinguer des lambeaux de cuir, de tissus et… un crâne.

Stupéfaite par cette macabre découverte, Nacia perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Un essaim de questions virevoltaient dans son esprit chamboulé. Une fois calmée, une seule persistait : « Est-ce là mon être aimé ? »

Un rire nerveux s’échappa de sa gorge. C’était stupide. Impossible ! Son être aimé ne pouvait pas être déjà mort. Ce serait à la fois ridicule et d’une tristesse absolue. Il devait sûrement s’agir d’une coïncidence malheureuse.

Pourtant, tous les signes pointaient vers ce défunt, tombé depuis si longtemps qu’il n’exhalait plus aucune odeur, hormis celle de l’herbe fraîche longuement nourrie de sa chair. Retrouvant son sérieux, Nacia se pencha pour scruter le crâne, gris et tâcheté de mousse, couronné d’Améfires grimpant sur son sommet.

Le dégoût dépassa rapidement la curiosité. Au bord de la nausée, la jeune fille se releva et rebroussa chemin. Elle n’eut pourtant de cesse de se retourner, croyant entendre dans son dos les feuilles craquer sous d’invisibles pas.

Nuit après nuit, jour après jour, cette même question l’obsédait : « Est ce là mon être aimé ? » Chaque fois qu’elle partait chercher du bois, le chemin d’Améfires l’attendait, sans rien perdre de sa splendeur. Nacia refusa tout d’abord de l’emprunter à nouveau, mais quel autre choix s’offrait à elle ? Les garçons de Guénith n’avaient pas changé entre temps : ils étaient toujours laids ou malhonnêtes, parfois les deux à la fois.

La jeune fille surmonta sa répulsion et passa davantage de temps auprès du défunt. Sa présence lui semblait infiniment sereine. Une joie intense la submergeait, mais ce sentiment n’était pas le sien. Il devait être heureux d’avoir de la compagnie, après tant d’années d’oubli. Nacia se présenta, passa outre le ridicule et poursuivit sa conversation a sens unique, persuadée que quelqu’un, quelque part, l’écoutait attentivement.

Elle ne quitta le tunnel que lorsqu’elle se rendit compte qu’il faisait nuit noire. La lumière des Améfires pâlissait, mais lui donnait un peu de sursis. En rentrant, ses parents inquiets la réprimandèrent sévèrement. Toutes ces mésaventures ,ne lui avaient pourtant pas ôté sa sérénité. L’attente serait longue jusqu’à la prochaine collecte de bois...

Dans ses rêves, endormie comme éveillée, Nacia s’imaginait à quoi avait pu ressembler son nouvel ami de son vivant. Son armure laissait à penser qu’il avait pu être un soldat, ou même un chevalier ! Il passait peu de personnages prestigieux à Guénith mais lorsque c’était le cas, ils s’inscrivaient durement dans la mémoire des villageois. Peut-être que grand-mère Irène en savait quelque chose ?

Nacia l’interrogea dans la chaumière qu’elle partageait avec grand-tante Auléria et grand-tante Obélinde. Toutes trois avaient déserté leur banc de pierre pour la chaleur de leur foyer.

 - S’il vous plaît, avez vous entendu parler d’un homme d’arme, de passage à Guénith ?

Toutes écarquillèrent les yeux. Le souvenir était flou, mais toujours bien présent depuis ces longues années.

 - Ah oui ! J’avais ton âge quand je l’ai vu passer, commença grand tante Auléria. Il était très gentil avec moi. Il m’a même donné une pièce d’or ! Par contre, il était laid comme un pou et sentait le bouc.

 - Mais tu délires, décidément ! S’esclaffa grand-tante Obélinde. Il était magnifique, oui ! Les cheveux noirs comme un corbeau et des yeux à vous percer le cœur… Par contre, c’était un sale type : il a essayé de me peloter quand mes parents avaient le dos tourné.

 - Oh, arrêtez ! Vous ne parlez pas du tout de la même personne ! S’énerva grand-mère Irène. Ma toute belle : on a vu bien des hommes d’armes passer dans notre vie. Ils étaient tous très différents. Pourquoi nous poses-tu cette question ? Si tu m’en dis davantage, je pourrai mieux t’aider.

Nacia resta silencieuse. On lui avait toujours dit que le monde des morts et celui des vivants ne devait jamais se rejoindre. Si on découvrait qu’un pont s’était formé, la jeune fille craignait d’être prise pour folle ou pire, maudite.

En l’absence de certitudes, elle choisit de prendre le meilleur de ces souvenirs. Ses visites secrètes servaient de méditation, de dialogues silencieux pour apprendre, laborieusement à connaître son cher ami. Les contours de son visage se dessinaient, couvrant son crâne desséché de traits harmonieux et d’un doux regard. Nacia aimait à croire qu’il fut courageux, sans doute trop têtu et téméraire, mais bienveillant et altruiste. Elle apprit à lire dans son silence et comprit que tout cela était vrai.

Chaque soir désormais, Nacia cherchait le moindre prétexte pour s’éclipser loin de la demeure familiale. Dans ce tunnel d’Améfires, en Sa compagnie, le temps n’avait pas de prise. Quelques fois, la jeune fille s’allongeait à Ses cotés, observant les fleurs scintiller parmi les feuilles sombres, telles des étoiles naissantes. Dans ces moments de quiétude parfaite, elle pouvait presque Le sentir reprendre vie. Sa respiration calme, les battements de Son cœur… Nacia en percevait les vibrations jusqu’au plus profond de son être.

C’était fou, c’était absurde, c’était grotesque mais elle l’aimait. Intensément, véritablement... Nacia n’imaginait pas ressentir une telle chose pour le moindre garçon de Guénith ou d’ailleurs. Cet amour ne pourrait, hélas, jamais être consommé. L’imagination pouvait beaucoup mais ne rendait pas aux ossements leur chair.

Nacia ne le déplora que peu de temps. C’était cette chair qui rendait les amants hypocrites. Ces imbéciles qui passaient leur temps à tenter de se faufiler sous ses jupes la dégoûtaient. Si tous les vivants se comportaient ainsi, la jeune fille préférait encore la compagnie des morts.

Il occupa bien vite toutes ses pensées, au point où les villageois s’étonnèrent de la voir si détachée de leur monde, le regard perpétuellement égaré, comme en transe. On la pensa ensorcelée.

Nacia, elle, se réjouissait de cet enchantement. Peu lui importait qu’il s’agisse d’une charme féerique ou d’une cruelle malédiction. Cet amour impossible était la plus belle chose qu’il lui avait été donnée de vivre. Quand elle fermait les jeux, Sa douce voix la flattait, l’encourageait, la cajolait.. malgré Sa mort, il était présent, là où les vivants s’étaient toujours absentés. Il était sa joie, sa douleur réconfortante, son bouclier et son arme. Son être aimé.

Nacia inquiéta particulièrement sa mère, qui décida de la suivre une nuit. La jeune fille fut surprise alors qu’elle posait sa main sur le plastron du défunt. Des cris s’ensuivirent, des pleurs… ce n’était pas le temps des explications, seulement de la honte et de la colère d’avoir vu son plus grand secret dévoilé.

Grand-mère Irène fut bien plus douce que ses parents, qui l’avaient enfermée dans sa chambre. Elle rejoint Nacia, tremblante de rage impuissante, et compris que ses conseils avaient été suivis avec bien trop de zèle. La jeune fille n’attendait plus qu’une chose : rejoindre ce défunt qui ne ferait que l’éloigner du monde des vivants. Déjà, son teint avait la pâleur des fantômes…

Il ne restait plus qu’une chose à faire... La famille donna son accord et l’aïeule annonça la douloureuse nouvelle à sa petite fille.

 - Nous l’avons enterré. Nous ne te dirons jamais où. Je suis désolée, ma toute belle, mais tu dois l’oublier.

Une atroce douleur transperça Nacia. Un poignard en plein coeur aurait été plus clément. De quel droit osaient ils les séparer? Les signes avaient parlé ! N’y croyaient-ils donc pas ? Ou bien seulement lorsqu’ils les arrangeaient ?

Même en ayant à nouveau le droit de quitter sa chambre, Nacia s’isolait encore davantage. Elle retourna dans le tunnel de verdure et éclata en sanglots. Grand-mêre Irène avait dit vrai : Il n’était plus là. Même les Améfires avaient perdu de leur éclat.
Par chance, Sa silhouette se dessinait encore sur l’herbe. La jeune fille s’allongea à l’intérieur, mouillant la terre de ses larmes. Elle entendait encore Sa voix, mais ce n’était rien d’autre qu’un lointain écho. Au désespoir, elle murmura sans cesse « Où es-tu ? »

D’écho, Sa voix devint silence. Perdue dans les profondeurs de sa solitude, le monde des vivants lui semblait plus étranger que jamais. Peut-être que sa vie entière n’était qu’une erreur, que sa naissance était advenue trop tard pour pouvoir vivre à Ses cotés ? De son vivant, avait-il attendu son aimée, prisonnière des temps futurs ?

Au désespoir, la jeune fille espérait que sa propre mort lui permette de Le rejoindre. Grelottant sur l’herbe givrée, il lui serait si simple de s’endormir et de disparaître, emportée par le froid mordant de l’hiver. Nacia voulait fondre à même la terre, laisser son corps à la merci des vers et des charognards. Avalée par la forêt, peut être finiraient-ils par ne faire qu’un ?

Alors qu’elle contemplait le vide, se demandant ce qu’il pouvait y avoir au fond, un vertige la prit. Il n’y avait aucune certitude de pouvoir Le retrouver, ni même d’exister à nouveau. Le doute était plus fort que la foi.

Nacia songea a ses parents, à grand-mère Irène… sa mélancolie leur causaient à tous du chagrin. Alors qu’elle ne pouvait pas passer une journée sans pleurs, ils tentaient maladroitement de la ramener dans leur monde avec de douces paroles et de bons repas. Ils auraient pu se contenter d’ignorer sa peine, de la laisser dépérir pour la punir de sa folie. Ce n’était pas le cas. Cela témoignait sans doute d’une sincère affection. Nacia ressentait toujours de la colère, mais ne souhaitait pas leur briser le cœur.

La jeune fille se releva et sécha ses larmes. Ce ne serait pas simple de retrouver sa vie d’antan. Son être aimé de l’autre monde demeura longtemps dans son cœur, un fragile rempart contre les heurts des liens avec autrui. Les gens de son âge pouvaient bien l’ignorer, se moquer d’elle, Nacia savait que quelqu’un l’attendait de l’autre coté.

Au fil des ans et des rencontres, Nacia accorda moins de crédit aux signes et davantage aux actes. De déceptions en déceptions, elle apprit à reconnaître les hommes pour ce qu’ils étaient vraiment, non pas comme les instruments d’une quelconque destinée. Rattrapée par la froide réalité, elle dut reconnaître ce qui lui avait semblé blasphématoire jadis : son être aimé de l’autre monde n’avait rien été d’autre qu’un mirage, une promesse incertaine pour éviter la cruauté des vivants. Devenue femme, ses rêves d’amour intemporel ne lui apporterait que davantage d’isolement. Une telle chose n’existait tout simplement pas.

Un beau jour, elle vit celui qui ralluma une flamme depuis longtemps éteinte. Par bonheur, un même feu brûlait en lui. Après tant d’épreuves, de larmes et de temps perdu à espérer l’affection là où se trouvait le mépris, entendre enfin « Je t’aime » de sa bouche suffit à la combler de bonheur… pour un temps.

Il était tout ce qu’elle avait toujours désiré : beau, loyal et tendre, mais ces qualités étaient ternies par une réalité imparfaite. Il vivait, avec tout ce que la vie apportait de laideur, de lâcheté et de banalité. Le plus souvent, Nacia pouvait le supporter. Parfois, une atroce amertume l’envahissait, au point de noircir son cœur d’une haine tenace.

Pour ne pas briser cette union si rare, elle exigeait alors une solitude totale, juste le temps de rêver à une impossible perfection. Ensuite, le calme revenait... jusqu’à la prochaine tempête.

Dans ces moments d’incertitude, Nacia marchait jusqu’à l’orée du bois où, jadis, elle ramassait les branches mortes. Elle s’arrêtait de longues minutes pour observer le tunnel de verdure, espérant voir une Améfire briller. Hélas, il n’y avait rien d’autre que la lumière crépusculaire se frayant un chemin entre les feuilles des arbres.

Alors Nacia rebroussait chemin, songeant en un soupir qu’il était bien plus simple d’aimer les morts.

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