Chapitre 4: Le dernier héritier

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Ecosse - Années 1500

Mes doigts serrent le dossier de la chaise à s'en faire blanchir les jointures. Pourtant les traits de mon visage restent aussi lisses et figés que ceux d'une poupée de porcelaine, mais Angus peut ressentir toute la colère qui se dégage de moi. Bien qu'il reste assit profondément dans son siège, il n'en mène pas large. C'est la deuxième fois en plusieurs siècles que j'ai envie de tout casser, de faire voler en éclats chaque objet de la pièce. D'ailleurs ne sont-ils pas en train de trembler à l'instant ? Je le sais, pourtant, que ce jour devait arriver, mais j'avais espéré qu'il durerait au moins aussi longtemps qu'avec Aquileus. Pourtant, il ne lui avait pas fallu trois cents ans pour trouver Elizabeth et lui faire un enfant. Maintenant, il réclame lui aussi à m'abandonner.

Non, je n'y arriverais pas une seconde fois. J'entends le bruit du bois qui se craque sous mes doigts alors que mon regard ne le lâche pas. Il n'abandonnera pas son idée et je ne veux pas le perdre lui aussi. Pourquoi ne pas me demander de faire vivre éternellement sa femme et son fils ? Pourquoi vouloir mourir, s'ils savaient vraiment ce qui les attendait de l'autre côté, ils ne seraient aussi pressés d'y aller. Puis la douleur se fait bien trop forte et j'envoie la chaise de l'autre côté de la pièce avec une force que mon corps humain ne devrait pas avoir. Qu'importe les apparences et qu'importe les domestiques de ce manoir qui de toute manière murmurent déjà que je suis une sorcière.

- Tu ne peux pas me demander cela, je refuse.

Une fraction, il ne faut qu'une fraction de seconde pour qu'Angus soit debout et que de la même colère brûlante que la mienne, il ne vienne me saisir le bras pour me traîner de force jusqu'à la fenêtre. Il me maintient contre mon gré pour que je regarde dehors, pour que mes yeux se posent sur le petit garçon assis dans la cour. Il observe les flocons qui lui tombent autour avec fascination. Il est comme son père et son père avant lui, trop grand et sec, un air un peu bêta lorsqu'il sourit à la femme en blanc qui fait tomber sa neige juste pour lui alors même qu'il aura oublié la pauvre Chioné demain. Les enfants voient et oublient si vite... La voix colérique et pourtant calme d'Angus glisse à mon oreille avec une force de persuasion qu'il n'utilisait que très rarement.

-Dis-moi que ton pouvoir ne reconnaît pas le sien. Dis-moi qu'il n'est pas dans tes visions Hécate. Alan est mon fils et il sera ton prochain apprenti, tu le sais.

Je me dégage brutalement sans pour autant le regarder. Nous savons tout les deux qu'il a raison, que cet enfant est celui qui sera mon élève, le prochain dirigeant du cercle. Il n'a que six ans et pourtant il a en lui la force et la puissance. C'est lui qui emplit mes visions du futur au même titre que l'humaine et l'homme sans visage qui m'agresse. Chacun d'eux sont l'avenir de ce monde. Je refuse pourtant de perdre un nouvel ami. Je passe mes mains sur mon visage avec lassitude. Aquileus m'a pourtant prévenu que là ou j'allais personne ne pourrait me suivre. Je décide de quitter précipitamment la salle. J'irais n'importe où, du moment que c'est loin de la réalité et de cet avenir qui ne me laisse aucun répit. Alors pourquoi mes pas me mènent dans la cour juste devant cet enfant aux grands yeux mordorés qui me regarde comme si j'étais la personne la plus unique du monde ? Lentement je m'approche et Chioné disparaît d'elle même, la déesse de la neige n'a jamais aimé les dieux, nous estimant responsable de son sort, par ignorance.

Je m'agenouille pour me retrouver à hauteur de visage. Alan Danekis, me fixe alors que je tends la main vers lui et lorsque mes doigts frôlent sa joue, la chaleur de nos pouvoirs s'entremêle un instant. Mes lèvres entrouvertes laissent échapper un soupir résigné alors que mon regard se porte sur la fenêtre du premier étage. Angus n'a pas bougé, il a contemplé toute la scène avec un certain contentement. Comme toujours, je mettais de côté ce que je désire pour sauver un monde que j'ai appris à aimer à travers le regard de mon ami Aquileus. Je secoue légèrement la tête pour venir planter mon regard clair dans celui du futur sorcier. Non, du sorcier car au moment où je l'ai touché, les anciens serments avaient été renouvelés avec lui, me faisant perdre à tout jamais Angus. L'enfant ne sait rien encore, je lui souris donc avec tendresse avant de prendre la parole.

-Alan... Sais-tu qui je suis ?

Il secoue gaiement sa tignasse brune où percent un regard rieur et un sourire qui pourrait passer pour idiot si l'on ne connaissait pas sa famille comme je la connais maintenant.

-Oui, madame... Vous êtes la déesse de la magie, celle que ma famille sert.

Une nouvelle fois, une boule dans ma gorge se forme. Servir ! Comme je maudissais ce mot. Nous n'étions pas en Grèce, mais en Écosse, nous n'étions pas dans les temples des années neuf cent, mais en mille cinq cents et des poussières. Je pose mes deux mains sur ses épaules prenant un air encore plus sérieux qu'à mon habitude.

-Pas me servir Alan, nous servons tous la vie et c'est aussi ton combat aujourd'hui. Ne laisse jamais personne t'asservir, pas même et surtout pas dieu... Demain, nous commencerons ton apprentissage, je te veux ici aux premières lueurs du soleil.

[...]

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