Chapitre 6 : La marche du destin

6 minutes de lecture

Londres - Années 1502

Confortablement installée contre la banquette de la calèche, je regarde le paysage défiler bien trop doucement à mon goût alors que Angus a le nez plongé dans un de mes carnets avec une mine concentrée. Mes doigts tracent des symboles sur la vitre pour tenter de me faire oublier où nous allons. Je n'aime pas Lord Baird, je n'aime pas son regard bleu acier et son sourire charmant qui cache une part sombre. Si cela ne dépendait que de moi, il n'aurait pas obtenu sa place dans le Cercle, mais la réalité de ce monde me fut durement rappelée par mon ami.

Il nous faut de l'argent pour que le Cercle prospère et cet argent, Lord Baird nous l'offre en échange d'un apprentissage en mon ordre. Il est un bon sorcier, je l'avoue à contrecoeur. Pourtant je crois l'avoir détesté au moment même où nos regards se sont croisés. J'ai pu lire en son âme, lire ce qui l'anime. Une soif de pouvoir, celle que j'ai fuit il y a déjà un millénaire en quittant l'olympe. Le monde n'est pas tout blanc ou tout noir et une guerre se prépare avec des alliances parfois étranges. Je soupire un peu plus fort, faisant relever la tête de Angus qui m'observe un instant en silence avant de fermer le carnet avec une moue.

- Hécate... Je sais bien ce que tu penses. Il est inutile d'avoir de nouveau cette discussion. Tu veux le sortir du cercle, c'est ton choix et je le respecte, mais tu devras attendre cette dernière visite. Dois-je te rappeler ce que ta diplomatie nous a coûté avec la maison de Dunkeld ?

Je me détourne de la fenêtre pour lui lancer un regard noir. Deux cent ans et l'on me reproche encore ma manière d'avoir parlé à cette sombre crétine sans aucune autre capacité que d'ouvrir les cuisses à tout va. Je secoue la tête en repensant à cette chasse aux sorcières qu'elle a lancé par la suite. Trente années de manipulation pour réussir à faire oublier le cercle et autant de sorts pour protéger nos membres. Je croise les doigts sur mes genoux le visage fermé. Je n'aime pas devoir avouer qu'il a raison et encore moins que j'ai très certainement fait une erreur... Néanmoins, je reste persuadée que nous n'en serions pas là aujourd'hui si je l'avais prise.

-Comme toujours Angus, Nous ferons comme tu le veux, mais à notre retour tu signeras sa radiation. Ce lord nous attirera des ennuis, je le sens. Nous avons d'autres mages du feu tout aussi bons... D'accord, pas aussi bon, mais je n'aime pas sa soif de pouvoir, s'il pouvait prendre ta place il le ferait, ne me dit pas le contraire.

Avant que nous puissions continuer cette conversation, le cocher arrête la calèche. Angus descend rapidement pour venir m'ouvrir de l'autre côté et m'offrant son bras pour que je puisse à mon tour sortir. Mon regard est tout de suite attiré par l'imposante maison de briques rouges où vivait Lord Baird, sa femme et leur fils. L'aura qui s'en dégage me donne envie de faire demi-tour, mais je tiens bon jusqu'au moment où des cris à l'intérieur me font bondir et jeter un regard inquiet à mon ami. L'on crie de nouveau de douleur cette fois et ma main s'agrippe au bras d'Angus alors que je sens le monde autour de moi tourner.

Nous n'avons ni l'un ni l'autre le temps de réagir que nous voyons sous nos yeux sortir en trombe une petite silhouette qui file tout droit vers la foret sans s'arrêter, me bousculant presque au passage. Mon souffle se bloque dans ma gorge et je ferme les yeux sous la force de l'aura de la frêle ombre. Mon univers s'étrécit soudainement pour ne plus rien percevoir que le petit garçon qui fuit. Je veux le suivre, mais la mains de Angus m'attrape pour me retenir. Je ne contrôle pas vraiment ma pensée lorsqu'il prend une décharge dans les doigts qui l'oblige à me relâcher tout de suite. Je suis obnubilée par lui, par cet enfant et mon corps sans s'en rendre compte laisse le Lord, sa femme et Angus sur place pour se diriger vers la forêt.

Marcher en forêt avec une robe de dame de l'époque est un exercice épuisant même pour une déesse et pourtant je n'en ai cure. Je laisse mes sens traverser le voile pour pister l'enfant que je retrouve finalement assis au pied d'un arbre les genoux repliés contre sa poitrine. Je crois un moment qu'il pleure, jusqu'à ce que je soit suffisamment proche pour l'entendre parler à lui même. Je ne peux m'arrêter, je ne peux faire demi-tour, je suis à un noeud du temps. Ce moment qu'il ne faut pas rater. Une branche craque sous ma bottine.

L'enfant relève un regard bleu saphir sur moi intense que je manque presque de voir cette trace violacée qui se forme sur sa joue. Je suis comme hypnotisée par ses yeux. Je connais ce regard et pourtant je ne sais pas où j'ai pu le croiser. Je finis par m'agenouiller face à lui et tendre ma main pour venir caresser cette peau martyrisée. Lorsque que le contact se fait lui comme moi ne pouvons que fermer les yeux sous la puissance du choc. Nos auras s'attirent un instant pour se repousser violemment au point que je finis assise à même le sol à chercher ma respiration. Je ne suis pas la seule, je l'entends lui aussi lutter pour reprendre son souffle avant qu'il ne se relève d'un bond pour me toiser comme un seigneur regardant un malandrin. Je souris de la situation, c'est bien la première fois que je me retrouve dans cette situation.

-Et comment se nomme le maître de ces lieux ?

C'est avec difficulté que j'arrive à aligner ces quelques mots. L'enfant est fort, plus fort que tout ceux que j'ai pu rencontrer dans ma longue existence. Je sens en lui une volonté presque inflexible, une soif d'apprendre et de comprendre presque palpable entre nous deux. Il m'observe encore un instant avant de tendre sa petite main pour m'aider à me relever.

-Hank de Baird déesse.

Il m'aide à me relever comme l'aurait fait un véritable gentleman sans que nos auras ne jouent de nouveaux tours. Il est aussi surpris que moi, je peux le ressentir sur ma langue et pourtant il n'en montre rien. Son visage marqué par les coups que son père venait de lui donner n'exprime qu'un parfait contrôle de ses émotions. Je comprends maintenant ce qu'a pu voir Aquileus sur mon propre visage, mais lui n'a que six ans. Je me penche pour le sonder un instant en silence. Il est aussi dangereux que son père et pourtant mon pouvoir l'a reconnu d'une manière différente, mais tout de même. Quelle place aura-t-il dans ce qui se prépare ? Je suis tirée de ma réflexion par sa voix d'enfant.

-Je serais le meilleur sorcier que vous ayez formé, le meilleur que cette terre ait porté.

Je n'ai pas envie de rire, encore moins de plaisanter sur les certitudes d'un enfant, car au fond de moi je suis aussi convaincue qu'il sera un puissant sorcier. Il faut pourtant que je le recadre tout de suite avant qu'il ne devienne comme son père. Je le relâche et me redresse avec un sourire en coin alos que je remet ma robe bien en place.

- Qui te dis que je te formerais ? Je n'ai formé personnellement que deux sorciers et tu n'es qu'un enfant.
- Il n'en sera pas toujours ainsi déesse.

Je baisse un regard étonnée sur ce garçon qui me renvoi un regard d'une assurance frisant l'arrogance. Il a raison, il sera mon apprenti et c'est grâce à lui que son père ne sera pas viré du cercle.

-Rentrons, je crois que ta famille m'attend.


[...]

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ivoire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0