Chapitre 9 : Est-ce un adieu ?

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Paris - Années 1980

La neige tombe à gros flocon sur les branches nues des arbres qui bordent l'allée de la demeure des Baird ou plus exactement des Brythes avec les siècles le nom avait changé. Une couche blanche recouvrant tout sur son passage, scintillant sous les rayons du soleil me donne envie de faire arrêter la limousine pour laisser l'instant m'imprégner. Inconsciemment, je sais que c'est la dernière fois que je vois la demeure. C'est jour de fête, l'un de mes apprentis se marie. Hank a trouvé l'amour, je devrais être ravie, mais c'est aussi le jour où le destin vint me rattraper et je ne sais pas comment le leur dire. Je serre la lettre que j'ai reçue ce matin dans ma main, les nouvelles ne sont pas bonnes. En fait, elles sont même extrêmes mauvaises.

La limousine noire s'arrête devant les portes du manoir d'où s'échappent de la musique et des rires. Un chauffeur descend de voiture et ouvre la porte pour me laisser descendre. Je suis vêtue d'un simple tailleur crème pour ne pas attirer trop l'attention sur moi. En fait, j'espère trouver Alan en premier pour lui parler et ne pas avoir à m'attarder. Je ne suis pas douée pour les mots de félicitations. Je ne suis pas douée du tout lorsqu'il faut parler et je préfère que la femme d'Hank ne me voit pas. Après tout, il ne lui a rien dit, ni sur ce qu'il est ni sur le cercle alors je n'ai pas réellement ma place ici.

Je me penche à l'oreille de mon chauffeur pour qu'il aille me chercher Alan pendant que j'attendrais dans un salon sans invité. Sans traîner plus, je rentre pour rejoindre la salle, tenant toujours dans ma main cette maudite lettre, la raison de mon départ. La guerre que j'ai tant redoutée est au point de non-retour. La porte s'ouvre enfin sur Alan en costume nœud papillon. Je ne peux m'empêcher de sourire alors que je m'approche pour remettre en place ce nœud qui tend à vouloir partir sur la gauche. Lui ne sourit pas, il a compris à mon regard que quelques choses se préparent.

-Je vais chercher Hank !

Je le retiens alors qu'il fait déjà demi-tour. Je ne veux pas qu'il gâche ce moment pour mon autre apprenti. Il a le droit à une journée normale, une journée sans magie. Je secoue la tête et je n'ai pas besoin de préciser ma pensée, comme toujours avec Alan. Il sait instinctivement, même s'il n'approuve pas, même si parfois, il me dit les choses que je n'ai pas nécessairement envie d'entendre. Pourtant, cette fois-ci, il ne me dit rien. Il se contente d'attendre que je prenne la parole. Je ne sais par où commencer alors je me contente de lui tendre la lettre. Il la parcourt rapidement avant de soupirer et de passer sa main dans ses cheveux.

-Quand ?
-Maintenant, je ne peux attendre, je ne suis même pas sur de ce que je vais trouver là-bas.
-Laissez-moi venir, je pourrais être une aide.

J'ai un pauvre sourire. Comme j'aurais voulu ne pas me séparer de mes apprentis. Le monde qui m'attend est dangereux même pour moi alors pour eux... Je ne peux risquer la vie d'aucuns. Je me déplace jusqu'à la fenêtre pour regarder la fête en contrebas. La mariée est magnifique, un visage radieux donne à son visage une beauté que je pourrais lui envier. Non, je ne peux risquer aucune vie, c'est ainsi et certainement ce qui est ma plus grande erreur, mais je l'assume, comme je l'ai toujours fait. Je me retourne pour offrir un dernier sourire chaleureux à ce grand gaillard que j'ai l'impression de regarder pour la dernière fois.

-Fais attention à toi et surveille-le... Alan, j'ai besoin que tu retournes là ou tout à commencé et que tu sois mes yeux... Viens me chercher quand l'heure sera venue.

Je fais un signe de tête désignant la silhouette d'Hank auprès de sa femme. Il est toujours sur le tranchant de la limite et je ne serais pas là pour surveiller qu'il ne la dépasse pas. C'est peut-être ma seule crainte en décidant de retourner sur l'Olympe. Je m'apprête à sortir, car je ne peux m'attarder, j'ai mon hôte à libérer et à qui je dois rendre une vie correcte avant de quitter les sphères terrestres. Je pose la main sur l'épaule de mon ami qui comme moi sent l'importance du moment. Aucun de nous ne prononce le moindre mot laissant filer les secondes avant que je ne me décide à quitter le petit salon. Les choses sont bien ainsi, C'est du moins ce que j'ai pensé alors que je traverse le hall pour rejoindre la limousine. Une voix dans mon dos m'arrête pourtant. Elle est familière et mon cœur se serre un instant alors que je me retourne pour faire face à ce regard bleu qui m'observe avec froideur.

-Tu ne restes pas ?
-Je ne peux pas, désolée Hank. C'est ta journée, retournes auprès de tes invités, on se revoit plus tard.

C'est la première fois que je mens et cela m'est venu avec une facilité déconcertante. Je devrais avoir honte de moi, mais, en fait, je suis soulagée de ne pas devoir soutenir son regard plus longtemps. Il hoche la tête et repart en sens inverse rejoindre sa jolie épouse. Peut-être que je n'ai pas totalement menti après tout, avec un peu de chance, je serais bientôt de retour, peut-être avant la naissance de son premier fils. C'est aussi le premier mensonge que je me fais, je ne reviendrais pas avant longtemps et le monde aura irrémédiablement changé entre-temps.

[...]

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