28 Juin 1635 Fukkatsu 復 活

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Je suis né en 1605, dans la préfecture de Mie, durant une brève période de paix. Fils d’un samouraï nommé Jin et d’une prêtresse nommée Misaki, décédée peu après ma naissance, venant d’un sanctuaire dédié à la déesse Amaterasu. Mes parents s’étaient rencontrés enfants, dans un petit village voisin, et étaient tombés éperdument amoureux l’un de l’autre, malgré des vies très différentes à bien des égards. Mon père descendait d’une grande lignée de samouraïs, tous ayant combattu durant l’ère Sengoku aux côtés des Tokugawa et des Nobunaga. Ma mère, quant à elle, était une orpheline recueillie par le kannushi (maître-dieu) du sanctuaire.

 J’ai grandi dans le sanctuaire, en compagnie des mikos (enfants des kamis), qui m’apprirent les pratiques shinto, ainsi qu’à lire et à écrire, tandis que mon père devait remplir son rôle en partant combattre lors des sièges d’Osaka, en 1614.

Mon enfance fut simple et modeste. Je ne souhaitais qu’apprendre tout ce qui m’était accessible. Dès l’âge de dix ans, mon père revint et me prit sous son aile, au dojo du sanctuaire, afin de m’initier aux arts du bushido jusqu’à mes vingt-sept ans.

Durant toute cette période, je me suis entraîné sans relâche afin de devenir un samouraï et de me hisser à la hauteur de mon père, pour partir combattre à ses côtés. Mais en 1635, durant un combat contre des opposants au shogun (général), il perdit la vie sous les ordres du shogunat Tokugawa, malgré une grande victoire face aux rebelles.

C’est peu de temps après avoir repris le rôle de mon père que j’ai rencontré, pour la première fois, un ennemi bien plus redoutable que de simples rebelles. Durant une expédition nocturne dans ma préfecture natale, mon bataillon fit face à des créatures noires prenant les traits de loups des montagnes, d’une très grande taille, dotées de multiples yeux rouges, emplies d’une haine matérialisée par une fumée sombre. Tous sous le choc de découvrir que de telles créatures existaient, j’ordonnai à mes hommes de brandir leurs lames, afin de répondre à la menace que représentait le regard de ces monstres dont on ignorait tout. Un long combat s’engagea alors, durant lequel je vis mes camarades tomber les uns après les autres sous les coups de ces créatures, qui arrivaient par centaines.

Alors que nous n’étions qu’un bataillon de trente soldats, les rares survivants suppliaient les monstres de les épargner avant d’être sauvagement tués. Il ne restait plus que moi, tenant fermement mon sabre dans ma main, prêt à me sacrifier pour protéger mon pays, animé d’une détermination sans limites.

Au cœur de la bataille, je parvins à en vaincre certains, quand apparut une femme aux longs cheveux noirs, vêtue d’une tenue de prêtresse, sortant de la noirceur de la forêt environnante. Surpris de la voir, je lui ordonnai de se mettre à l’abri, tandis que je combattais les créatures. À ma grande stupeur, elle m’aida à remporter la victoire en usant d’une magie qui m’était inconnue : de simples gestes suffisaient à faire apparaître de longs rayons de lumière, sans qu’elle ne montre le moindre signe de difficulté.

Mais dans la lutte, je fus mortellement blessé par l’une des créatures. Agonisant, à moitié conscient, je la vis s’approcher de moi. Et de sa douce voix, semblable à la brise qui emportait ses cheveux sous la lune blanche, elle me dit :

« Toi qui es le premier homme à avoir vaincu les Kokū no ikimono (Créatures du Néant), accepterais-tu de renaître en tant que kami et de dédier ton existence à la préservation de l’équilibre entre l’Originel et le Néant ? »

En écoutant ses paroles empreintes de bienveillance, je pris la décision d’accepter sa proposition, tendant ma main vers elle avant de rendre mon dernier souffle. Quelques secondes plus tard — qui me semblèrent durer une éternité — je repris connaissance, sentant que quelque chose avait changé.

J’étais vêtu d’un kimono noir, sans la moindre armure. Un nouveau sabre était dans ma main, je portais un masque en forme de crâne noir, et je vis mon corps physique étendu au sol. Elle se présenta alors comme étant Amaterasu, la déesse du Soleil, tandis qu’un halo de lumière apparaissait derrière sa tête.

Elle m’expliqua avoir pris l’apparence d’une prêtresse afin de dissimuler son identité, et s’excusa de ne pas me l’avoir révélé plus tôt. Je lui répondis qu’elle n’avait pas à s’excuser, car le plus important était qu’elle allait bien et que les créatures avaient été anéanties. Ce fut en cette date du 28 juin 1635 que mon moi physique mourut, et que le kami naquit.

La déesse me déclara alors que j’étais devenu le Shadōkami (Kami des Ombres), et que le masque ainsi que le katana étaient nés de mon propre désir : celui de combattre et d’inspirer la peur dans le regard de mes adversaires. En découvrant mon nouvel équipement, je les nommai : Kage no Musuko (Masque des Ombres) et Hikari no Katana (Katana de la Lumière).

Elle m’expliqua également que mon rôle serait désormais de combattre les Kokū no ikimono, de les empêcher d’envahir l’Orijinaruwārudo (le Monde Originel) et de le détruire. Je lui demandai alors comment m’y prendre, car le monde est vaste, tout en acceptant son aide pour me relever.

Amaterasu me répondit que, pour cela, je devais vivre dans le Konfuruento (le Confluant), la fine frontière entre l’Orijinaruwārudo et le Mu no Sekai (le Monde du Néant), là où réside l’essence même de la Création, de l’Espace et du Temps, un lieu façonné au moment où les kamis Izanagi et Izanami donnèrent naissance au Monde.

 La déesse ajouta qu'il n’est ni le Takama no hara (la Haute Plaine du Paradis), ni le Yomi (le Monde Souterrain), mais une dimension située entre toutes.

D’un geste gracieux, elle fit apparaître un torii et ouvrit un passage vers le Konfuruento, m’invitant à la suivre à travers celui-ci. Avant d’y entrer, je me tournai une dernière fois pour contempler les corps de mes anciens camarades. En repensant à tout ce que nous avions vécu, à tout ce que je laissais derrière moi, la déesse m’accorda un moment de silence afin que je puisse prier pour leurs âmes, pour qu’elles accèdent au Takama no hara et reposent en paix.

Je fis également le deuil de mon ancien corps, gisant au sol. Je ramassai alors mon ancienne lame et la plantai dans la terre, au-dessus de ma tête, symbolisant qu’ici reposait la dernière demeure de mon enveloppe physique.

Puis vint le moment de dire adieu à ma précédente vie, pour embrasser celle qui m’avait été offerte. Je rejoignis Amaterasu, et ensemble, nous quittâmes l’Orijinaruwārudo pour le Konfuruento, curieux de découvrir ce monde dont la déesse m’avait parlé, et sur lequel aucun écrit n’existait. D’un pas léger et serein, prêt à affronter mon destin et tout ce qu’il impliquerait, je pris la main de la déesse, et ensemble, nous entrâmes dans le portail.

Je sentis mon corps flotter dans un long tunnel lumineux, où de longues traînées aux couleurs multiples défilaient plus vite que le plus rapide des chevaux, avant que je ne sois englouti dans une lumière pure, m’aveuglant totalement. Lorsque je recouvrai enfin la vue, je découvris un lieu plus magnifique encore que tout ce que j’aurais pu imaginer — si beau que j’eus du mal à croire en sa réalité. Nous étions arrivés dans le Konfuruento.

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