16 Octobre 1850 Messenjazu メッセンジャー ズ
C’est dans cette ambiance paisible que je sentis qu’il se passait quelque chose d’anormal. L’Arbre, tel un souffle vivant, semblait vouloir me transmettre un message. Je me mis alors en communion avec lui et ressentis la présence de deux jeunes âmes en péril, réfugiées dans un sanctuaire abandonné situé dans la préfecture d’Aomori.
Lorsque nous arrivâmes sur place, sous une pluie diluvienne qui noyait chaque son, je revêtis mon armure. Là, nous découvrîmes un homme et une femme, hurlant des prénoms à pleins poumons, leurs voix chargées de colère et de désespoir. Ils semblaient déchirés par l’angoisse.
La femme, haletante, se précipita vers nous pour demander si nous avions aperçu deux petites filles, mais nous restions silencieux, observant la scène avec méfiance. En fouillant les alentours, nous les trouvâmes enfin : deux enfants, priant, en pleurs, se cachant timidement.
Asuka s’approcha doucement et leur demanda leurs prénoms. Elles s’appelaient Yume et Ime, des jumelles d’une dizaine d’années, aux yeux vairons — l’un rouge, l’autre bleu. Leurs corps amaigris, couverts de haillons trempés, témoignaient d’une vie de privations et de maltraitances. Leurs prières étaient celles d’enfants désespérés, fuyant un passé douloureux.
En voyant leur fragilité et leur détresse, je compris immédiatement que leur prière était un appel au secours sincère, et que ces deux âmes méritaient protection et réconfort.
Asuka et moi décidâmes de cacher les jumelles à l’abri de la pluie, dans le Honden. Je mis en place une barrière de protection tout autour d’elles. Avec un sourire rassurant, Asuka leur dit de ne pas bouger et que nous allions revenir rapidement. Nous restâmes à proximité du Honden, veillant au moindre mouvement alentour.
Je demandai alors à Asuka quel était son souhait concernant les jumelles. Elle me répondit qu’elle serait prête à les recueillir, ce qui ne m’étonna pas venant de ma gardienne. Je lui fis savoir que j’étais du même avis.
La femme revint vers nous, nous ordonnant de quitter le sanctuaire si nous ne comptions rien faire. Je lui répondis fermement qu’il était impossible pour nous de partir dans de telles circonstances. Asuka ajouta que nous avions retrouvé les filles et qu’elles étaient désormais en sécurité.
Je lui demandai qui elle était, ainsi que l’identité de l’homme qui l’accompagnait. Il s’agissait des parents biologiques des jumelles. Je serrai les poings, gardant cependant un visage impassible.
La mère tenta de nous émouvoir avec de fausses larmes, cherchant à tromper notre vigilance, affirmant qu’ils les recherchaient désespérément depuis leur fuite, mais sans succès.
Asuka, d’un ton sec, le regard baissé et partiellement caché par ses mèches de cheveux, demanda pourquoi, puis ajouta que nous étions déjà au courant de ce que les petites demoiselles avaient subi.
L’homme arriva à ce moment-là, nous lançant que cela ne regardait pas nos affaires. Je sentis la tension monter rapidement chez Asuka, alors je posai ma main sur son épaule pour l’aider à se calmer. Je repris la parole, expliquant que les jumelles étaient désormais sous notre protection et que jamais plus ils ne les reverraient.
Le père, s’énervant de plus en plus, commença à nous menacer. Ne voyant aucune réaction de notre part, il tenta un assaut futile, lançant un coup de poing qui ne me fit ni chaud ni froid.
Asuka murmura, la tête toujours baissée, les actes de maltraitance et de malnutrition, avant de lever la voix pour demander au couple comment ils avaient osé commettre ce genre d’atrocités sur deux jeunes innocentes.
Le masque de la femme tomba lorsqu’elle éclata de rire. Elle nous dit que c’était ce qu’elles méritaient, étant nées impures à cause de leurs yeux vairons.
Sur ces mots, j’aperçus le poing d’Asuka partir et frapper la mâchoire de la femme, l’envoyant s’écraser au sol quelques mètres plus loin. Dans le regard de ma gardienne brûlait une colère froide.
Je stoppai l’homme qui s’apprêtait à s’en prendre à Asuka en l’attrapant fermement par le poignet et le projetai au sol.
Sous l’émotion de la colère, le duo nous demanda qui nous étions. Je leur répondis alors calmement que j’étais le Kami des Ombres, et qu’Asuka était ma gardienne.
J’ajoutai que nous avions décidé de recueillir Yume et Ime dans notre domaine pour qu’elles vivent sous notre protection, et que quiconque tenterait quoi que ce soit contre elles ou contre Asuka subirait ma colère sans la moindre retenue.
Pour appuyer mes mots, je fis apparaître des flammes d’ombres dans le creux de ma main, leur révélant ainsi l’étendue de ma puissance.
En entendant mes paroles, le couple prit la fuite sous l’effet de la peur. Asuka, les larmes aux yeux, retrouva son calme et, quand je lui demandai comment elle se sentait, sa seule réponse fut de me demander de vite rentrer au Konfuruento avec les filles. Nous étions arrivés de justesse: quelques minutes de plus, et la pluie aurait emporté leurs âmes. Je repris ma forme humaine et levai l’incantation de la barrière. Je m’accroupis alors devant elles tandis qu’Asuka caressait doucement les joues des jumelles, les larmes aux yeux.
Je retirai mon demi-masque de oni et leur demandai comment elles se sentaient. Yume s’était évanouie, tandis qu’Ime, à moitié consciente, me demanda si c’était vrai que j’avais juré de les protéger. Je la pris dans mes bras et lui répondis qu’un kami n’a qu’une parole, et que je ferai tout pour elles, pour leur bonheur, à elle, à sa sœur, et à Asuka.
Puis je lui demandai si elle avait faim et si elle souhaitait vivre dans un endroit plus beau, ne plus être seule. Elle m’assura que c’était son vœu, ainsi que celui de sa sœur, avant de s’évanouir à son tour, épuisée par la faim.
Asuka prit Yume dans ses bras et ensemble nous les emmenâmes jusqu’au Konfuruento. Je créai un portail torii dimensionnel, et ensemble, nous rentrâmes à la maison.
En traversant le Grand Torii du sanctuaire du Konfuruento, les deux jeunes filles inconscientes se transformèrent en esprits, devenant ainsi mes premières Messenjāzu (Messagères) sans que nous le sachions. Leurs vêtements se changèrent en magnifiques petits kimonos blancs.
Je me retournai et vis les parents biologiques nous observant au loin. Voyant les jumelles dans nos bras, le père courut en hurlant de rage vers le portail que je refermai aussitôt, l’empêchant d’entrer et coupant tout lien entre Yume et Ime et les responsables des atrocités qu’elles avaient subies.
Nous les emmenâmes dans notre manoir, sous le regard inquiet des prêtresses, et les plaçâmes dans nos futons (lit japonais) pour qu’elles se reposent. Asuka resta à leurs côtés durant toute leur convalescence, tandis que je préparais une bouillie de riz avec Dame Ayane.
Quand elles reprirent conscience, attirées par l’odeur dégagée par les bols, Asuka et moi leur expliquâmes la situation et leur servîmes le repas. En regardant ma gardienne, je vis qu’elle était soulagée de voir Yume et Ime dévorer leur nourriture.
C’est à ce moment-là qu’Amaterasu arriva en trombe avec sa joie intarissable, comme à son habitude, pour nous rendre visite. Quand elle vit les deux petites demoiselles, elle les prit dans ses bras toute joyeuse, pleurant de joie et s’exclamant qu’elles étaient toutes mignonnes. Asuka, Dame Ayane et moi-même n’étions plus du tout surpris par l’attitude maternelle de la déesse, mais les jumelles, submergées par tant d’affection d’un coup, esquissèrent de grands sourires.
Nous leur proposâmes de les adopter comme filles adoptives, mais elles craignaient que ce qu’elles avaient vécu ne recommence.
Amaterasu nous demanda alors de la laisser quelques minutes seule avec les filles, en nous faisant un clin d’œil. Après une conversation en privé où elle rassura les deux jeunes filles sur qui nous étions et nos intentions, elles prirent conscience que si nous étions mauvais, nous ne leur aurions jamais proposé de les adopter.
Je répétais alors ce que j’avais dit dans le sanctuaire abandonné : que je jurais de protéger les jumelles, ainsi qu’Asuka.
De toutes ces aventures émotionnelles, la petite Yume s’approcha de moi, me regarda avec une curiosité mêlée de larmes dans les yeux, et me demanda si je voulais être son papa. C’était bien la première fois qu’on me faisait une telle proposition, moi qui n’avais jamais envisagé, durant toute mon existence, de devenir père, et encore moins au milieu des conflits contre le Néant. Ime demanda à Asuka si elle pouvait l’appeler maman en même temps.
Nous nous sommes regardés à ce moment-là, sans dire un mot, mais nous nous comprenions dans le regard : nous acceptions les demandes des petites jumelles.
L’émotion fut grande. Moi qui, par habitude, ne montre que peu d’émotions, ce jour marqua aussi la première fois qu’Asuka, Amaterasu, Yume et Ime me virent ainsi. Encore aujourd’hui, même si Amaterasu pleurait de joie à chaudes larmes, la situation restait émouvante, d’autant plus lorsque les jumelles décidèrent d’appeler la grande déesse « Grand-mère ». Amaterasu ne cessait de protester en disant qu’elle n’était pas si vieille malgré son grand âge, ce qui nous amusait tous. Il fut donc décidé qu’elle serait appelée « Tata » à la place.
La nouvelle tante offrit aux petites jumelles des tenues de prêtresses assorties, qui leur allaient à ravir.
Quelques jours après cet événement, les jumelles s’habituaient doucement à leur nouvelle vie dans le Konfuruento et reprenaient des forces. Asuka leur fit découvrir les champs de fleurs et, ensemble, le reste de l’archipel. Nous reçûmes la visite de plusieurs kamis, car il ne fallut pas longtemps pour que la nouvelle de l’adoption des petites Messenjāzu se répande parmi eux, notamment grâce à « Tata Amaterasu ».
Parmi les kamis venus nous rendre visite, Izanagi lui-même vint à l’archipel pour découvrir ce lieu et nous rencontrer. Ensemble, nous partagions un verre de saké produit sur les terres du Konfuruento, et il nous accorda sa bénédiction dans la lutte contre le Néant. Je lui offris une bouteille de notre saké le plus pur en signe de gratitude.
Les filles, ayant du mal à prononcer le prénom du kami, virent ce dernier leur proposer avec amusement de l’appeler « Grand-père ».
Peu après son départ, ce fut au tour d’Inari de venir nous rendre visite. La déesse aux longues oreilles tomba immédiatement sous le charme de Yume et d’Ime lorsqu’elle les rencontra, leur offrant à toutes deux des masques de kitsune (renard). Une nouvelle passion s’ouvrit alors aux Messagères.
J’ai surpris Yume et Ime appeler certains kamis « Tata » ou « Tonton », ce qui les amusait beaucoup. Même s’il faut se montrer respectueux envers eux, cela leur faisait plaisir, et tous acceptèrent volontiers ces surnoms, sachant ce qu’elles avaient traversé. C’était une preuve que les jumelles reprenaient confiance en elles, et que la joie de vivre revenait sereinement grâce au soutien des kamis.
Un jour, les petites jumelles me demandèrent si elles pouvaient devenir aussi fortes qu’Asuka et moi, car elles voulaient nous aider dans la lutte contre le Néant. Asuka n’était pas rassurée au début, tout comme moi, mais Ime fit alors apparaître de petites flammes noires dans le creux de ses mains, nous disant que c’était leur façon de nous remercier.
C’est à ce moment-là que je compris que lorsqu’elles avaient été recueillies, elles étaient déjà devenues mes Messenjāzu et avaient été affiliées à l’Ether des Ombres. J’ai alors demandé l’aide d’Amaterasu, qui m’expliqua que les Messagers du kami sont liés au même titre qu’Asuka, et que par ce lien, elles étaient devenues immortelles.
Asuka et moi-même redoutions néanmoins une réaction traumatique si les petites jumelles étaient confrontées à l’horreur des champs de bataille. Amaterasu nous rassurait en affirmant que tant que nous serions à leurs côtés, rien ne pourrait les atteindre.
Les jumelles étaient mentalement plus fortes que ce que nous avions imaginé, surtout au vu de ce qu’elles avaient déjà traversé.
Après une longue réflexion avec Asuka, nous prîmes la décision de permettre aux petites jumelles de combattre à nos côtés, en espérant que les paroles d’Amaterasu se révéleraient justes. Je les entraînais au combat pour qu’elles puissent manipuler correctement l’Ether des Ombres, auquel elles étaient affiliées, mais en douceur afin de ne pas les brusquer. Asuka m’aidait beaucoup dans cette tâche, qui s’avérait plus ardue que d’entraîner des soldats de mon vivant, mais c’était un vrai plaisir de les voir développer leurs pouvoirs avec le sourire. Elles acquirent une puissance équivalente à vingt-cinq pour cent chacune. Trop petites pour manier des armes, je leur enseignai aussi le combat à mains nues, tandis qu’Asuka les formait à utiliser les glyphes d’Ether.
Ensemble, elles créèrent un style de combat synchronisé, efficace lors de nos entraînements.
En 1852, une faille de grande ampleur fut découverte dans la préfecture de Shizuoka. Ce fut l’occasion idéale pour que Yume et Ime fassent leurs premiers pas sur le champ de bataille. Un assaut composé d’U~ōkā, d’Heishi et de Ryoshu ravageait un village, acculant le shogun et anéantissant toute la population. À peine arrivés, un U~ōkā nous attaqua. Sans que nous eussions le temps de réagir, les jumelles l’attaquèrent ensemble, le purifiant sans difficulté. Elles virevoltaient dans les airs, ne touchant presque jamais le sol, passant d’une Créature à l’autre à une vitesse surprenante.
Notre assaut contre les Kokū no ikimono se conclut par une victoire écrasante et une fermeture rapide de la faille. Ime accourut vers moi, me demandant si nous avions vu tout ce qu’elles avaient accompli, mais n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle tomba de fatigue. Je la rattrapai avant qu’elle ne touche le sol et la pris dans mes bras.
Je retrouvai Asuka quelques mètres plus loin, avec Yume dans ses bras, dans le même état qu’Ime, endormies. Asuka me confia, en caressant la joue de Yume, qu’elle était rassurée de voir que les petites jumelles allaient bien. Les paroles d’Amaterasu se révélaient justes. J’étais heureux de voir que mes petites Messenjāzu sans égratignures. J’ajoutai qu’à l’avenir, il nous faudrait être plus prudents quant à leur endurance. Je préférais les voir joyeuses et pleines de vie plutôt que mortes de fatigue après chaque bataille. Asuka acquiesça, et nous décidâmes d’aider les filles à s’améliorer tout en veillant à ne pas les emmener constamment avec nous sur les champs de bataille.
C’est sur cette parole que nous rentrâmes au Konfuruento. Même si Asuka ne le montrait pas, je savais qu’elle était épuisée. À peine arrivées au manoir, Asuka s’allongea sur son futon, suivie de Yume et Ime, qui avaient enfilé leurs petits kimonos blancs pour dormir. Elles se blottirent contre elle et s’endormirent à leur tour. Doucement, je m’accroupis près de leurs têtes et caressai leurs cheveux, les félicitant pour tout ce qu’elles avaient accompli ce jour-là, un sourire aux lèvres. Puis je me relevai et m’installai sur la terrasse avec un livre, juste à côté d’elles, veillant sur leur sommeil.
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