Chapitre 01.2

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Il n’avait jamais imaginé que quitter la Terre lui causerait une tristesse moins profonde que celle de quitter son père. Alors qu’il en avait rêvé…

Il sentait qu’il reverrait cette planète un jour, car pour ce qu’il en savait alors, les planètes ne disparaissaient pas aussi facilement, aussi rapidement, que les êtres vivants.

Ils avaient voyagé des jours durant en vitesse supra luminique.

Adad ignorait où ils se rendaient. Il avait essayé de le savoir auprès d’Enki.

Celui-ci avait prétendu ne pas le savoir.

À son sourire énigmatique, Baal avait deviné qu’il n’en était rien.

Tous les cinq étaient consignés dans leurs quartiers.

Ils ne virent Rhadamanthe qu’une seule fois, lorsqu’il était venu leur expliquer les règles en vigueur sur son vaisseau.

En fait, il n’y en avait qu’une seule : ne pas quitter leurs quartiers. Évidemment, il avait voulu savoir pourquoi il n’avait pas le droit de visiter le vaisseau comme il l’aurait souhaité. La réponse était venue d’Inanna :

— Dommage, ils auraient pu tomber sur la mauvaise porte.

Cette idée lui avait d’abord paru absurde.

— Et alors ? avait-il rétorqué sèchement.

— Si elle ouvre sur l’espace, lui avait expliqué Ereshkigal, tu seras aspiré à l’extérieur du vaisseau, ton hôte mourra instantanément de froid, vos organes seront gelés et tu finiras aussi par mourir, dans d’atroce souffrances.

— Sans compter que tu nous mettrais tous en danger à cause de la dépressurisation, ajouta Enki.

Il n’avait jamais eu l'occasion de réfléchir aux conséquences d'un mauvais choix dans un vaisseau en pleine traversée spatiale.

— C’est tout à fait exact, ajouta Inanna d’un air hautain. Enfin j’imagine que Rhadamanthe a prévu des mesures de sécurité contre cela. Bref, tous les Drægans normalement constitués savent qu’on ne se promène jamais dans les vaisseaux que l’on ne connaît pas .

Il ne releva pas la pique. Elle avait raison.

Cela faisait partie des choses qu’il aurait dû savoir.

Ils avaient donc passé tout le voyage sans bouger de leurs quartiers.

La seule « étrangère » qu’il voyait était la suivante que se partageaient Inanna et Ereshkigal, Calliope.

C’était une Dræganne, elle aussi, mais d’un rang mineur, lui avait expliqué Circé entre deux crises de larmes.

Circé lui recommanda toutefois de garder cette information pour lui.

Les deux sœurs, comme tous les autres Drægans du vaisseau, la prenaient pour une simple labirée.

Calliope ne les avait jamais détrompés.

Elle ignorait que Circé avait percé son secret et persuadé son frère de n’en parler à personne.

Il avait une confiance absolue dans le jugement de sa jeune sœur, et si celle-ci lui demandait de garder un secret, c’était pour une bonne raison. Elle voyait souvent des choses que nul ne pouvait percevoir. Ces choses se révélaient toujours justes. Il s’était bien sûr demandé quelle raison, autre que celle d'être d'un rang inférieur, pouvait pousser une Dræganne à se cacher des siens. Il n'en trouva aucune.

Toutefois, cette histoire de castes l’intrigua suffisamment pour qu’il essaie d’en savoir plus sur le sujet.

Grâce aux deux sœurs, il avait eu un cours sur la hiérarchie dræganne. La société dræganne ressemblait beaucoup à certaines de celles que les humains avaient mises en place sur la Terre.

Chaque Drægan portait le nom d’une divinité et avait été pris pour telle dans le monde où il avait élu domicile. Certains étaient même toujours considérés comme des divinités.

Les Drægans les plus puissants régnaient sur les plus faibles, sur une cour de partisans et de courtisans, bien que la différence entre les uns et les autres ne fut pas toujours aisée, et sur une armée de labirés qui portaient des uniformes aux couleurs symboliques de leur seigneur.

Lorsqu’un Drægan, suffisamment puissant, avait des vues sur les territoires d’un plus faible, il n’hésitait pas à l’attaquer pour les lui prendre, ainsi que tous ses biens.

Tout cela, Baal l’Ancien le lui avait déjà enseigné, quoique d’une manière détournée, mais la leçon n’en était pas moins gravée dans un coin de son cerveau, accompagné d’un précepte sans appel : ne jamais faire confiance à un Drægan. Ce que son père ne lui avait pas raconté, c’était le sort réservé aux déchus.

Après la Guerre des Dieux, beaucoup de famille drægannes mineures avaient payé au prix fort leur allégeance aux perdants. La plupart de leurs membres avaient été exécutés. Ceux qui avaient survécu, étaient parvenus à s’enfuir hors des territoires connus de la galaxie ou bien avaient été réduits en esclavage. Quant à ceux qui avaient refusé de prendre parti, pour un camp ou un autre, ils avaient été disgraciés, condamnés à l’exil, envoyés sur des terres hostiles dont aucun seigneur drægan ne voulait. Ils n’entretenaient pas le moindre espoir d’approcher de nouveau le pouvoir avant de longues décennies, parfois même plusieurs générations.

Si une nouvelle guerre éclatait entre les Dieux, ils étaient désormais condamnés à se battre, en première ligne, sur le champ de bataille spatial ou sur les territoires planétaires à conquérir.

Adad avait alors compris ce qu’avait voulu dire son père au sujet de leur propre disgrâce.

Loin d’être un havre de paix et de tranquillité, la Terre était une sorte de purgatoire pour les Drægans renégats depuis que la plupart d’entre eux en avaient été chassés par les Êtres humains.

C’était pour cette raison que son père avait préféré le statut de conseiller auprès de Darius, plutôt que celui de dieu dans un monde qui rejetait ces derniers.

Leur arrivée en vue de Vi'veci, une planète qui, de l’espace, paraissait énorme et d’un blanc immaculé, fut un soulagement pour les passagers du vaisseau, et pour Adad, l’impression que sa vie commençait enfin.

Il regarda Circé la trouvant plus pâle que d’habitude.

Elle cachait tant bien que mal son inquiétude.

Lui aussi éprouvait de l’appréhension. Il ignorait ce qui les attendait sur cette planète inconnue.

Ce devait être pire pour une petite fille qui ne pouvait rien voir.

Personne ne savait d’où lui venait cette infirmité.

Certainement pas de l’hôte, ou plutôt des hôtes, car elle en avait eu deux,exceptionnellement. Ils avaient tous deux été des voyants, et étaient devenus aveugles quelques jours après la symbiose. Le premier avait commencé à dépérir à la suite d’un empoisonnement. Il avait fallu le séparer de Circé.

Cette amputation avait failli la tuer. Heureusement pour elle, une nouvelle implantation avait été possible. Lorsqu’elle perdit de nouveau la vue, il devint clair que l’hôte n’était pas en cause. Circé refusa une nouvelle tentative d'implantation. Lacpremière avait été trop éprouvante. Elle avait même considéré qu'elle avait eu de la chance d'y survivre. Quelques mois plus tard qu’elle se découvrit une autre manière de voir.

Après de longues minutes de vol dans la mer de nuages, le vaisseau de Rhadamanthe arriva en vue du spatioport qui se trouvait dans le ciel de Vi’veci. Ils croisèrent des vaisseaux qui le quittaient.

Calliope leur conseilla de prendre les affaires dont ils avaient besoin pour un séjour d’une dizaine de jours terrestres, et de se vêtir chaudement.

Elle les prévint aussi qu’ils n’iraient pas sur la planète, trop hostile à la vie humanoïde. Leur séjour se passerait sur le spatioport qui se trouvait en moyenne altitude, dans la mer de nuages.

La température y était assez fraîche dans la journée, et la nuit elle descendait pour devenir carrément glacées.

Dans la station, ils trouveraient de nombreuses auberges où passer quelques nuits.

Inanna se plaignit de l’inconfort de tels lieux.

Calliope lui répondit qu’ils en trouveraient bien une lui offrant tout le confort dont elle avait besoin.

La jeune Dræganne se préparait à lui faire une réponse de son cru, mais un avertissement bref d’Enki coupa net son élan.

Elle referma la bouche aussi vite qu’elle l’avait ouverte.

À la hauteur où il se trouvait, caché par les nuages, le spatioport semblait être à l’abri de toute attaque provenant de la planète.

Adad s’était demandé quels pouvaient être leurs ennemis, ici.

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