Chapitre 01.3

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Sur la Terre, les ennemis portaient des noms.

Le dernier en date se nommait Alexandre le Grand.

Cela faisait plusieurs années qu’il cherchait à provoquer Baal l’Ancien et, surtout, Darius. Il n’était qu’un simple humain, mais Baal le craignait suffisamment pour éloigner ses deux plus jeunes enfants. Surtout depuis qu’il soupçonnait le macédonien de leur avoir envoyé cet assassin.

Baal l’Ancien n’avait pas seulement voulu que ses enfants quittent la terre natale de leurs hôtes, la Phénicie, ou ce qu’il en restait après le passage des armées de cet Alexandre, mais la planète elle-même.

Pour la première fois de sa vie, Adad avait alors compris que le temps où son père avait été un souverain et un conseiller divin et avait eu une autorité légitime était très loin, oublié des humains.

Il lui aurait été aussi simple de quitter la Terre avec toute sa famille. Cependant, il n’avait pu se résoudre à quitter une planète qu’il avait apprise à aimer bien plus que la sienne.

C’était, du moins, ce que croyait Adad au moment de leur départ.

Avec Darius, Baal l’Ancien avait délimité son territoire. Il avait régenté la Phénicie et, avec son aide, Darius s’était concentré sur le reste de la Perse qu’il était parvenu à unifier sous son autorité.

À eux deux, ils avaient maintenu la paix et la prospérité sur la région durant de longues années…

Jusqu’à l’arrivée d’Alexandre le Grand.

Cet homme qui se prenait pour un dieu vivant avait pillé toutes les richesses du pays et, Adad s’en rendait compte maintenant, réduit leur vie à néant.

Une fois encore, l’Humain, petite créature d’apparence chétive, avait fait preuve de capacités hors du commun, notamment celle de détruire en quelques jours ce que d’autres avaient mis des siècles à bâtir.

Adad avait d’agréables souvenirs de la Terre, et de sa vie auprès de son père, même s’il avait toujours rêvé de les quitter.

En fait, les événements en dehors de la Phénicie avaient pris une tournure désagréable bien avant qu’Alexandre le Grand ne vienne semer le trouble sur le territoire perse.

Depuis quelques années, Adad craignait Darius.

Celui-ci était devenu sujet à des humeurs changeantes qui, pourtant, ne semblaient pas inquiéter Baal l’Ancien.

Darius pouvait ordonner la mise à mort immédiate, sans procès, de l’un de ses généraux ou d’une concubine qui lui avait déplu.

Chaque fois que Baal lui suggérait de commuer leur peine, ou de vérifier les faits afin d’obtenir la certitude de leur culpabilité, Darius entrait dans une colère sans nom et rien, sauf la patience du seigneur phénicien, ne pouvait le faire revenir à la raison.

Adad se disait qu’inévitablement, un jour, cette patience ne suffirait plus et que Darius finirait par s’en prendre à son père, et même à toute leur famille. Cela avait peut-être fini par arriver…

Ce n’était sûrement pas seulement à cause du risque que représentait Alexandre que leur père les avait éloignés, Circé et lui.

L’annonce de l’atterrissage du vaisseau sur l’une des pistes du spatioport avait permis à Adad d’oublier, un temps, ses inquiétudes.

La première sensation qu’il éprouva en sortant de la navette fut le froid glacial et humide.

Rien à voir avec une nuit en plein désert perse.

Il n’était, pourtant, ni de nature ni de constitution fragiles. Il avait pris les recommandations de Calliope à la légère, et force lui était de constater qu’il avait eu tort de penser mieux résister aux températures de Vi’veci qu’à celles de la plus glaciale des nuits terriennes.

Son regard croisa celui de la fausse labirée. Il fut surpris de n’y trouver aucune moquerie. Elle avait pourtant une étrange façon de le regarder. Son regard était fixe et aucune expression ne se lisait sur son visage. Il avait la désagréable impression qu’elle lisait en lui comme une de ces oracles dont il avait entendu parler… Il détestait cela.

Même Circé ne l’avait jamais regardé ainsi. Il préféra baisser les yeux.

Il la remercia timidement lorsqu’elle lui mit un manteau sur les épaules.

À la première, se substitua une seconde sensation aussitôt qu’il mit les pieds sur le sol du spatioport : le trouble des sens.

La piste d’atterrissage était envahie de brume, ou plus exactement de nuages. Il voyait à peine ses pieds.

Descendre les quelques marches de la navette avait été instinctif, mais marcher sans savoir trop où et sur quoi, en imaginant que les pistes étaient suspendues au-dessus d’un vide abyssal…

— Gaffe à la marche ! lui avait vicieusement chuchoté Inanna lorsqu’elle était passée à côté de lui.

Le ton qu’elle avait employé, quelque peu grinçant, laissait présager que rien ne lui ferait plus plaisir que sa disparition, juste après l’avoir vu s’écraser la figure sur le sol.

Il ignorait pourquoi elle le détestait dans la mesure où il ne la connaissait guère plus qu’elle ne le connaissait et que leurs relations s’étaient limitées à quelques échanges verbaux polis durant le voyage.

Il balaya l’horizon d’un regard. C’était beaucoup dire, car essayer de distinguer quelque chose autour d’eux était inutile. À peine pouvaient-ils percevoir de vagues formes sombres à travers les nuages. Par contre, l’humidité commençait à transpercer leurs vêtements qui devenaient aussi lourds qu’une armure dræganne.

La décompression lui donnait l’impression que son cerveau servait de caisse de résonance à son cœur, et le silence, bien réel, qui régnait autour d’eux avait quelque chose d’effrayant.

Il sentit la petite main humide et glacée de Circé se glisser dans la sienne. Il la serra autant pour la tranquilliser que pour se rassurer lui-même. Il était là, près d’elle, et il la protégerait de tout ce qui pourrait sortir de ce brouillard.

L’air était saturé d’odeurs : celles de la moisissure, de la rouille, et celle, lourde et entêtante, du tserarenium, qui supplantait l’ensemble à tel point qu’il avait l’impression que cela imprégnait tout son être.

Il commençait à éprouver une sorte de vertige. Il devait se ressaisir.

C’était donc cela un spatioport ?

Il était déçu. Il s’attendait à un lieu coloré, grouillant de monde, comme les ports sur la Terre, mais avec des populations plus atypiques, et du bruit, beaucoup de bruits… Des odeurs plus variées et agréables…

Et le goût de l’aventure.

Circé se serra un peu plus contre lui en lui tirant la manche.

Il se baissa pour écouter ce qu’elle voulait lui dire.

Elle avait peu parlé depuis leur départ de la Terre, et ne s’était jamais exprimée à voix haute en présence des autres qui s’étaient demandé si, en plus d’être aveugle, elle n’était pas muette.

— Les Terrans… Ils arrivent.

Un frisson parcourut son échine. Il aurait voulu lui demander qui étaient les Terrans, mais des ombres apparurent soudain autour d’eux. Son cœur se mit à battre très fort. Il refusa de céder à la panique. Il lui fallut un court instant pour se calmer et reprendre le contrôle de ses sens. Il n’avait pas d’arme à portée de main. Il allait devoir mettre ses cours de combat à mains nues en pratique.

Il jeta un bref coup d’œil en direction d’Enki.

Le jeune Drægan était disposé, lui aussi, à se battre, cela ne faisait aucun doute. Il s’était ostensiblement rapproché de ses sœurs.

Adad remarqua que, pour une fois, Inanna n’en menait pas large. Ereshkigal avait adopté une position défensive.

Rhadamanthe, quant à lui, semblait d’un calme à toute épreuve, mais sa main droite était posée sur la dague qu’il portait contre sa hanche, et le labiré qui les accompagnait, même s’il faisait tout pour le cacher, était lui aussi en alerte.

Adad sentit la présence d’un Drægan… Et de plusieurs labirés.

— Calme, les enfants ! leur ordonna Rhadamanthe à mi-voix.

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