Chapitre 01.1

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Station suborbitale de la planète Vi'veci. Date stellaire inconnue.

Le spectacle était extraordinaire.

Jamais Adad n’en avait vu de pareils. Les nuages se mouvaient autour du vaisseau telles les vagues d’une mer en furie.

Fasciné, il ne pouvait les lâcher du regard. De la même manière, il avait observé l’espace, sombre et infini.

Un observateur humain ignorant sa véritable nature aurait pu trouver normal qu’un adolescent de treize ou quatorze ans vivant sur la Terre, au troisième siècle avant J.-C. réagisse avec un enthousiasme non contenu devant pareil spectacle.

Au contraire d’un Drægan comme Rhadamanthe qui trouvait insensé qu’à un peu plus de cent années terriennes passées dans la chair de son hôte, Adad n’ait jamais quitté la Terre, et encore moins sa famille.

Il n’était pas d’usage pour les Drægans d’élever leur progéniture. On laissait cela à des familles, généralement ennemies. Une manière de s’assurer la paix entre les nombreuses maisons afin que tous les Drægans ne s’entre-tuent pas. Sans cette loi, leur espèce serait en voie de disparition depuis longtemps. Quoique, d’une certaine manière, c’était le cas de certains d’entre eux.

Adad connaissait le sort funeste des Dragons, une espèce dræganne considérée comme étant en marge de leur société et qui refusait de se plier aux règles du plus grand nombre.

Malgré les avertissements de son père à propos des jugements hâtifs, il ne pouvait s’empêcher de penser que les dragons avaient cherché ce qui leur était arrivé. Un peu de bon sens et moins d’impulsivité auraient pu sauver cette branche de l’extermination.

Les règles n’étaient pas si terribles que cela, et plus on s’éloignait du pouvoir, comme l’avaient fait Baal l’Ancien et quelques autres qui étaient restés sur la Terre après les révoltes des humains contre les Divins, et la guerre des dieux, plus on bénéficiait d’une certaine liberté.

Si on lui avait donné le choix, il serait resté. Il ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi la majorité d’entre eux avaient préféré quitter la Terre en embarquant dans le vaisseau de Rhadamanthe. Sur la Terre, ils avaient un titre, des biens, même des amis… Ici, ou ailleurs, ils ne seraient rien de plus que des réfugiés, des déchus, des bannis…

Malgré cela, Rhadamanthe les avait accueillis sur son vaisseau comme des invités de marque.

D’un autre côté, la Terre, ce n’était pas mal pour y vivre tranquille, mais elle était un peu trop petite à son goût.

Adad, lui, rêvait de vastes espaces. Il avait soif de liberté.

Avant que son père se décide à les envoyer, sa plus jeune sœur, Circé, et lui, chez Rhadamanthe, il avait pressenti qu’il existait un monde différent de celui sur lequel ils vivaient.

Baal l'Ancien avait beau tempérer ses ardeurs, rien ne lui plaisait plus que d’étudier le ciel et ses constellations, ainsi que toutes les sciences que les philosophes humains pouvaient lui enseigner.

Adad se plaisait à imaginer des moyens de quitter la terre ferme, de voler dans les cieux, et au-delà, si c’était possible.

Il sentait que C’était possible.

Pour une raison dont il ignorait tout, Baal l’Ancien ne lui permettait pas l’accès au savoir des Drægans.

Il disait lui en avoir appris suffisamment sur ses origines, sur son espèce.

À part son père, ses frères et ses sœurs, il ne connaissait pas d’êtres de son espèce.

Les quelques généraux qui les suivaient et les protégeaient étaient des labirés. De même que la plupart des compagnes de son père. Les autres étaient des terriennes. Chacune avait enfanté au moins un hôte auquel avait été attribué un « partenaire » drægan.

Chez les Baal, l’hôte était considéré comme définitif. Ce qui était une première entorse au règlement.

Cependant, depuis la Guerre des Dieux, cette pratique s’était plus ou moins généralisée, car les hôtes comme les Drægans étant très jeunes lors de la greffe, les séparer après quelques années revenait à les tuer l’un et l’autre.

Il pouvait arriver que le Drægan survive à l’oblitération de son hôte. Notamment lorsque l’hôte était blessé ou malade. L’inverse était rare.

L’hôte n’était alors rien de plus qu’une coquille vide, sans âme.

Adad avait essayé de se renseigner sur son monde d’origine auprès des labirés, en vain.

Baal l’Ancien les avait menacés de mort s’ils lui racontaient quoi que ce soit sur le sujet. Aucun ne craignait vraiment de perdre la vie. Pour eux, c'était moins pire que de perdre leur place auprès des Baal.

Ils étaient une trentaine de labirés, que la rumeur populaire chez les Humains multipliait par dix, à entourer et protéger Baal L’Ancien et sa famille.

Même s’il les avait toujours tenus pour des êtres distincts des Humains et des Drægans, Adad savait maintenant que les labirés venaient de planètes autres que la Terre, mais que leurs origines étaient sûrement identiques à celles des Humains.

Les Humains, eux, les considéraient comme des Immortels, inférieurs aux Dieux, toutefois. Ils étaient donc plus accessibles que les Dieux, et les Hommes les respectaient.

Il avait fallu un événement qui avait failli leur coûter la vie, à sa sœur et lui, pour que Baal l’Ancien fasse appel à Rhadamanthe, et lui confie une partie de sa progéniture.

Rhadamanthe n’avait jamais caché que les deux jeunes Drægans seraient un surplus de bagages sur son vaisseau. Il avait déjà en charge l’éducation de trois autres jeunes Drægans…

Baal l’Ancien était néanmoins parvenu à le convaincre de les prendre à son bord.

Adad et Circé avaient fait la connaissance des trois pupilles de Rhadamanthe : Inanna- Ishtar la prétentieuse, Ereshkigal l'ambitieuse et Enki le sage.

Il aurait aussi pu le surnommer : le mage à cause de ses tours de magie et de son goût prononcé pour le secret. Adad n’arrivait pas à cerner ce personnage au caractère volubile.

Enki se faisait régulièrement reprendre par Rhadamanthe et rabrouer par ses sœurs, pour autant qu’ils aient pu être frère et sœurs, mais cela ne semblait avoir aucune prise sur lui.

L’hôte d’Enki était le plus âgé d’entre eux.

D’un point de vue humain, il pouvait avoir entre dix-huit et vingt ans.

Celui d’Inanna devait avoir deux ou trois ans de moins. Ereshkigal donnait l’impression d’avoir onze ou douze ans, le double de l’âge de l’hôte de Circé.

En réalité, les trois étaient du même âge et avaient une cinquantaine d'années humaines de plus que sa sœur et lui. Ils le leur rappelaient régulièrement.

Il n’y avait d’ailleurs pas que cela.

Leur expérience de l’espace, leur connaissance de leur monde et de leur civilisation leur donnait de sérieux avantages dont ils profitaient largement en les rabaissant, volontairement ou non.

La seule chose que Circé et lui savaient mieux faire qu’eux, c’était se battre. Même aveugle, Circé était supérieure à Ereshkigal à la lance, qu’elle s’en serve comme une arme défensive, que les Humains comparaient à un bâton, ou comme une arme d’attaque maîtrisant, ce que les Humains, une fois encore, appelaient la « main des dieux ».

Quant à lui, il ne lui avait fallu que quelques leçons pour apprendre quelques petites choses sur la lutte à Enki qui se targuait, pourtant, d’en être un champion.

Il se souvenait avec nostalgie de leur départ de la Terre.

Ce départ dont il avait tellement rêvé sans vraiment l’espérer et qui s’était réalisé au-delà de toutes ses espérances était la promesse d’une vie nouvelle, pleine d’aventures et de découvertes.

Longtemps, il avait haï son père de lui avoir caché ce qu’ils étaient et ce qu’ils pouvaient faire de leur vie. Le quitter fut pourtant un déchirement profond.

Il y avait quelque chose chez lui qu’il ne retrouverait jamais chez un autre Drægan, et surtout, il avait ce sentiment que jamais plus il ne le reverrait.

Pour oublier sa tristesse, et surtout pour ne pas la montrer, il s’était concentré sur le bien être sa sœur.

Il ressentait sa souffrance, à elle aussi. Il était resté auprès d’elle lorsqu’ils avaient quitté la Terre.

Malgré tous ses efforts pour la rassurer et détourner son attention de ce moment pénible, elle avait refusé de détacher son regard du hublot. Elle avait observé la Terre s’éloigner, puis disparaître dans l’obscurité spatiale. Des larmes coulaient sur ses joues. Ses pleurs restèrent silencieux tout au long de leur voyage.

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