Chapitre 02.1

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Les ombres se rapprochaient et devinaient distinctement des bipèdes.

— Mae Ko-Etna, mes amis. Tolo mentě.

Des formules de bienvenue, dans la langue diplomatique.

La voix lui était familière. Adad l’avait déjà entendue, il n’y avait pas si longtemps, avec celle de son père.

C’était peu de temps après la deuxième tentative d’assassinat…

Ce Drægan avait exhorté Baal l’Ancien à quitter la Terre et à venir se réfugier dans l’un de ses domaines.

Baal avait refusé.

Ce jour là, Adad n’avait pas pu voir à qui appartenait cette voix. C’était l’un des inconvénients de l’espionnage de premier niveau.

Aujourd’hui, la voix avait une incarnation qu’il distingua plus nettement lorsque celui-ci s’arrêta devant Rhadamanthe.

C’était un humanoïde mâle, en apparence de l'âge d'Enki, s’étonna Adad. Pourtant, il y avait tellement d’assurance en lui…

Il n’était pas d’une taille ou d’une corpulence exceptionnelle, comparé à Rhadamanthe dont la tenue guerrière avec sa couleur majeure bleu azur rehaussait la prestance.

À l’opposé, le Drægan portait une tenue d’apparat, dans un camaïeu de vert rehaussé d’or, qui laissait entrevoir un rang élevé. Mais elle ne disait rien de plus à son sujet, si ce n’était qu’il avait un goût pour les vêtements confortables et pratiques.

Les hôtes des deux Drægans étaient très différents.

Comme celui de Baal l’Ancien, de Circé ou de lui-même, l’hôte de Rhadamanthe était un humain né en Orient.

L’hôte de celui qui les accueillait venait d’une terre étrangère, sans doute moins aride, plus verdoyante, et d’une civilisation différente.

Sa peau était claire, ses cheveux sombres et bouclés et ses yeux étaient d’un étonnant vert mordoré.

Adad doutait qu’il soit né sur la Terre. Probablement était-il issu de l’une de ces civilisations qui en avaient été importée après les révoltes des humains contre les Dieux et qui, en s’adaptant aux conditions de vie de sa nouvelle planète, avait poursuivi sa propre évolution biologique.

Rhadamanthe salua le nouveau venu avec respect, en courbant légèrement le dos. Un signe de soumission qui devait être rare chez lui.

Sans doute, s’agissait-il d’une forme de politesse indiquant qu’aucun litige n’avait cours entre eux.

— Teutatès, mon ami.

La voix avait enfin un nom.

— Rhadamanthe lui répondit Teutatès sur le même ton. Mon père, Toutatis, sera heureux de vous revoir, sain et sauf, en ces temps troublés.

Adad sentit une légère tension dans sa voix. Il supposa que Rhadamanthe était bien plus l’ami du père que du fils.

— Je vois que vous n’êtes pas venu seul, ajouta Teutatès en se plantant devant Inanna.

Il la détailla impunément des pieds à la tête tandis qu’elle gardait la tête baissée, comme on le lui avait appris.

La coutume était la même sur Terre lorsque l’on rencontrait quelqu’un dont le rang et l’influence n’étaient pas négligeables. Il n’avait pourtant jamais vu son père baisser l’échine devant qui que ce soit. Il n’y avait donc aucune raison pour que lui ou Circé se montrent aussi dociles qu’Inanna. Il remarqua néanmoins qu’Ereshkigal, Enki, Calliope et les autres Drægans qui avaient fait le voyage avec eux regardaient aussi leurs pieds.

Seul le garde du corps de Rhadamanthe n’avait pas courbé la nuque. Il regardait partout, toujours sur ses gardes, sauf dans la direction de Teutatès.

Un autre garde qui était arrivé avec Teutatès inspectait un groupe de Drægans qui avaient profité du vaisseau du Juge pour voyager.

Rhadamanthe fit une rapide présentation de ses compagnons de voyage. Des noms que, pour la plupart, Adad ne connaissait pas. Il savait seulement qu’il s’agissait de Drægans mineurs, sans grande importance sur l’échiquier politique.

Tous ne venaient pas de la Terre. Certains voyageaient déjà depuis plusieurs semaines lorsque Circé et lui avaient embarqué. Ils semblaient avoir emmené avec eux tout ce qu’ils possédaient. Assez peu de choses finalement. Aucun n’affichait cet air de supériorité si familier à ceux de son espèce.

Ce qui le confortait dans son jugement concernant leur importance.

Teutatès donna des ordres aux labirés qui l’accompagnaient avant de s’adresser au goupe d'expatriés.

— Mes labirés vont prendre vos effets personnels et vous conduire à l’intérieur du spatioport. De là, vous pourrez vous rendre où vous le souhaitez. Je vous rappelle néanmoins qu’aucune arme n’est admise dans l’enceinte. Si vous en portez une, vous devrez la laisser aux officiers ici présents, ou å ceux qui se trouvent à la sortie de la piste sur laquelle nous nous trouvons actuellement. Si vous comptez la conserver, ce sera à vos risques et périls.

Il y eut quelques mouvements de protestations, mais les voyageurs obtempérèrent aussitôt qu’ils virent Rhadamanthe et son garde du corps remettre leurs propres armes à l’un des labirés de Teutatès.

Adad se demanda ce qu’ils pouvaient bien risquer à porter des armes en ces lieux. En tous les cas, c’était suffisamment important pour inciter Rhadamanthe à s’en délester.

Leur groupe se divisa en deux, et celui auquel il appartenait se résumait désormais à Rhadamanthe, son garde, Calliope, Circė, Inanna, Ereshkigal, Enki et deux autres jeunes Drægans dont il ne connaissait que les noms : Freyr et Lara.

Il n’aimait pas beaucoup Inanna qu’il jugeait trop prétentieuse, mais ces deux- là lui inspiraient encore moins confiance.

Il regarda, un instant, les autres voyageurs et la plupart des labirés qui avaient accompagné Teutatès disparaître à travers les nuages.

Teutatès s’écarta d’Inanna qu’il n’avait pas quitté des yeux durant ces quelques instants et s’approcha d’Ereshkigal dont il souleva doucement le menton, la forçant ainsi à relever la tête pour le regarder droit dans les yeux. Il lui sourit aimablement. Un sourire franc auquel elle répondit timidement.

Le regard du maître des lieux revint se poser sur Inanna.

— Elles feront bientôt, j’en suis certain, de magnifiques divinités…

Adad vit Inanna esquisser un léger sourire qui s’effaça lorsque Teutatès poursuivit tout en adressant un clin d’œil à Ereshkigal avant que celle-ci baisse de nouveau la tête :

— … et de fécondes génitrices. Elles nous donneront de nombreux petits Drægans qui assureront la pérennité de notre espèce.

Adad se retint d'éclater de rire. II avait senti la pointe d’ironie dans la voix de Teutatès.

Connaissant Inanna, qui ne cachait pas qu’elle se voyait plus en reine guerrière à la tête de ses propres armées, plutôt qu’en mère porteuse de l’avenir de leur espèce, elle devait fulminer.

Il éprouva de la sympathie pour Teutatès.

D’ailleurs, on n’avait jamais vu une femelle à la tête d’une armée de Drægans, songea-t-il. Sauf d’une armée de femelles, comme les amazones ou les walkyries. Encore qu’il n’avait jamais vu les unes ou les autres jusqu’à présent. Ce genre de concept devait relever du folklore.

Il reçut un coup derrière la tête. Pas suffisamment fort pour l’assommer, bien que douloureux, mais assez pour la lui faire baisser. Il voulut la redresser.

"Essaie, et je te la dévisse sur le champ, même si je dois en payer le prix."

Il entendit ces paroles aussi clairement que si elles avaient été prononcées. Calliope savait se faire convaincante.

Il fut étonné qu’elle soit capable d’utiliser un tel procédé pour communiquer. Jusqu’à présent, seul son père en avait usé avec lui. Généralement lorsqu’il avait des remontrances à faire sur son comportement en public.

Calliope avait dû lire ses pensées, et elle n’avait pas dû aimer.

En ce qui le concernait, il n’appréciait pas du tout qu’elle entre dans sa tête comme bon lui semblait. Il le lui ferait savoir le moment venu. Elle n’était rien pour lui. Elle n’avait aucun ordre à lui donner.

À moins d’en avoir reçu un, tacite, de Rhadamanthe...

Il sentit la colère monter en lui. Il fit de son mieux pour la ravaler, et la réserver pour plus tard.

En tous les cas, aussi rapide qu’il l’avait été, le geste n’avait sûrement pas échappé à Teutatès qui marqua un bref temps d’arrêt avant de se placer devant Enki.

— On vous dit excellent lutteur, si ce n’est le meilleur, lui dit-il. Nous aurons l’occasion de le vérifier si vous restez suffisamment longtemps parmi nous. À l’occasion, j’apprécie moi aussi quelques joutes, surtout si l’adversaire est aussi bon qu’on le dit.

Sans attendre de réponse de la part du jeune Drægan, Teutatès se planta devant Adad et Circé qui semblait vouloir se fondre dans les replis des vêtements de son frère tellement elle s’était collée à lui.

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