Chapitre 02.2

6 minutes de lecture

Tête baissée, Adad attendit un moment qui lui parut être une éternité.

Il ne se passa rien.

Bravant l’interdiction, Adad releva la tête et regarda le Drægan droit dans les yeux.

Des yeux dont la couleur était vraiment inhabituelle pour un hôte humain. On aurait dit que leurs iris étaient faits d’ambre. Même si sa barbe naissante et ses cheveux étaient aussi sombres que les siens, il constata que l’hôte de Teutatès ne ressemblait vraiment pas aux orientaux... mais un peu quand même.

Sa peau claire rougissait à cause de l’air glacé. Il avait des lèvres fines, bien dessinées. Ses traits étaient aussi très fins. Ses cheveux étaient assez longs et libres sur ses épaules. Ses origines étaient celtes comme l’indiquait son nom, plus précisément gauloises... avant les invasions nordiques.

L’ancienne divinité le regardait de la même manière, mais il ne montrait rien de ce qu’il pouvait penser, sauf une légère pointe de curiosité.

Adad sentait aussi le regard de Rhadamanthe sur lui. Il allait sûrement avoir droit à une bonne leçon de savoir-vivre lorsqu’ils se retrouveraient tous les deux, seuls, dans la même pièce. Du genre cinglant.

— Ainsi donc, voici la progéniture du Seigneur Baal. Ce vieux brigand a enfin daigné laisser un autre que lui s’en occuper, comme le veut l’une de nos traditions.

Il avait appuyé sur ces derniers mots, puis il jeta un regard en direction de Rhadamanthe et ajouta :

— Tradition que mon père a toujours considérée comme inadaptée à la pérennité de notre espèce. Je vous supposais en bons termes avec les Baal, Rhadamanthe.

— Et c’est le cas. Nous n’avons aucun contentieux en cours.

— Il est vrai qu’en tant que juge, vous ne pouvez être partie, c’est dans votre intérêt. Je m'étonne seulement que le Conseil ne vous ait autorisé à prendre que ces deux-là, et non l’ensemble de la couvée.

Adad sentit un frisson glacé lui parcourir le dos.

— Le conseil n'y est pour rien. Il nous était impossible de faire autrement.

—Je suppose, répondit froidement Teutatès.

Quel était donc ce fameux Conseil ? Qu’avait-il à voir dans leur présence en ces lieux ?

Adad n’appréciait pas non plus entendre parler de ses frères et sœurs, et lui compris, en ces termes.

Son estime naissante pour Teutatès disparut d’un coup.

Teutatès s’accroupit soudainement, au grand étonnement d’Adad, pour se mettre à la hauteur de sa sœur, puis il avança une main en direction de Circé.

Malgré lui Adad frémit tandis que sa sœur recula aussi vivement qu’une souris acculée dans un coin par le matou qui voulait la dévorer.

Elle savait que c’était vain, mais mue par son instinct de survie, elle ne pouvait faire autrement.

— Tu es donc Adad, poursuivit Teutatès en se redressant. Et cette toute petite créature est ta sœur, Circé.

Contre toute attente, le visage de Circé réapparut sous le bras de son frère. Elle regarda vers le Drægan qui sembla surpris que leurs regards ne rencontrent pas.

— Elle est aveugle, le prévint Rhadamanthe.

L’un des sourcils du Drægan se souleva légèrement, puis Teutatès eut ce même sourire dont il avait gratifié Ereshkigal.

— Dans ce cas, Adad, ne lâche pas la main de ta sœur. La passerelle sur laquelle nous nous trouvons est suffisamment large pour que deux navettes puissent s’y trouver côte à côte, mais pas pour qu’elles y atterrissent. Dans cette brume, il est difficile de savoir où l’on pose le pied. Les accidents ne sont pas rares. Si, par un miracle, que je ne pourrais expliquer, vous surviviez à une chute de plusieurs kilomètres, nous serions dans l’incapacité de nous rendre à la surface de Vi’veci pour vous porter secours.

Adad avait eu envie de lui répondre que même si c’était ce que tout le monde attendait, sa sœur et lui ne chuteraient pas d’un pouce. Les mots restèrent dans sa bouche, cependant. Comme disait son père : une seule bouche pour parler bien. Deux yeux pour voir et observer, deux fois plus et deux fois mieux que parler.

Teutatès les invita ensuite à le suivre.

Personne ne chercha à savoir où il les conduisait.

Inanna et Ereshkigal s’accrochèrent fermement aux bras de Calliope et suivirent Teutatès et Rhadamanthe de près.

Adad serra Circé contre lui tandis qu’Enki et le garde du corps marchaient dans leurs pas.

Les deux autres jeunes Drægans que Teutatès avait ostensiblement ignorés, quelque peu effrayés, fermaient la marche. Ils ne devaient songer qu’à une seule chose : se trouver dans un lieu plus sécurisé que cette piste située entre ciel et terre, supposa Adad.

L’atmosphère qui régnait sous le dôme principal du spatioport était nettement plus conforme aux attentes du jeune Adad.

Partout où il posait le regard, il y avait de la vie. Les odeurs, les sons, et tout ce qu’il voyait, s’agitant autour de lui correspondait exactement à l’idée qu’il se faisait d’un spatioport.

À la différence de la faune locale qu’il ne pouvait associer à celle des ports. Tout juste pouvait-il la comparer dans les grandes lignes.

Pour avancer, il fallait quasiment jouer des coudes. Les labirés de Teutatès avait beau repousser sans ménagement tous ceux qui s’approchaient trop près d’eux, ils étaient quand même constamment bousculés.

Il y avait des boutiques dans tous les coins.

Certaines proposaient à vendre des objets précieux qui auraient attiré l’œil de n’importe quel Drægan, d’autres des vêtements, ou des armures, une autre encore des bons pour acheter des armes qui se trouvaient dans un vaisseau en orbite de la planète…

On pouvait tout trouver, même de la nourriture et des boissons. Il y en avait pour tous les goûts.

S’il avait eu quelque argent local, il aurait pu acheter une friandise pour Circé, mais l’argent terrien n’avait sûrement pas cours ici.

Près de l’entrée des boutiques, il y avait souvent un ou deux mendiants, des bateleurs, des bonimenteurs, et même des créatures qui semblaient n’être là que pour aguicher les clients, les faire entrer dans les échoppes et consommer.

Sans cesser de suivre Teutatès, ils croisèrent des charriots remplis de caisses et de bagages, tirés par de drôles de petits véhicules, volant à quelques centimètres du sol, et des groupes pressés qui passaient devant eux sans même les remarquer.

Adad, lui, aurait eu du mal à ne pas remarquer certains des individus les composant. Jusqu’alors il n’avait eu l’occasion de ne croiser que des humains et des labirés.

Ici, la bipédie n’était pas une règle absolue, pas plus que le fait de regarder dans une seule direction à la fois, d’être vêtu, ou de parler la même langue.

Il y avait des créatures avec des poils, d’autres avec des écailles, ou avec un épiderme qu’il ne pouvait définir. Elles avaient entre deux et huit jambes, et parfois un nombre équivalent de bras et d’yeux.

Difficile de dire, pour certaines d'entre elles, si elles avaient une conscience ou si elles étaient pensantes, ou, tout simplement, réceptives et réactives.

La plupart devaient l’être puisqu’elles étaient ici. Même si elles avaient l’air gauche, ou un peu lent, dans leurs mouvements, elles avaient eu la capacité de voyager jusqu’ici.

Elles communiquaient aussi entre elles. Les sons qu’elles utilisaient étaient parfois très désagréables à ses oreilles.

Parmi ces extraterrestres, il en distingua tout de même qui s’apparentaient à des humanoïdes, même de très loin, comme ces êtres gris, aux membres inférieurs et supérieurs frêles et à tête de tortue avec de grands yeux noirs.

Nombre d’entre eux se trouvaient derrière des consoles situées à des points clés du spatioport.

À force de les observer, Adad avait fini par avoir la certitude que c’était elles, et non les Drægans qui géraient les lieux. D’ailleurs, ces derniers s’écartaient lorsqu’ils croisaient un de ces êtres, comme s’ils avaient peur qu’ils les touchent. Ils avaient à peine une tête de plus que Circé, pourtant.

À peu près de la même taille, il y avait ces semi-hommes dont le visage disparaissait sous une épaisse chevelure et une barbe qui l’était tout autant. Contrairement aux êtres gris, ils étaient vêtus mais, ce qui ne pouvait échapper aux regards, c’était leurs pieds et leurs mains qui paraissaient démesurés par rapport à leur taille, et contrairement aux "Gris", ils étaient particulièrement remuants et bruyants, dans la joie comme dans la colère.

Il n’était pas rare de les voir se battre les uns contre les autres, ou chercher querelle aux représentants d’une espèce étrangère, même deux fois plus grande qu’eux.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0