Chapitre 03.1

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Quelque chose, en périphérie de son regard attira son attention. Adad n’aurait su dire quoi.

Il regarda autour de lui, cherchant à percer la muraille mouvante des voyageurs et des autochtones. Il sentit une odeur de mort, comme si quelqu’un venait de mettre à nu les viscères d’un animal mort depuis des semaines… Ou d’un être pensant.

Ce fut bref, mais bien présent. Il ne se trompait pas.

Les crimes n’étaient pas rares dans les ports, sur la Terre. Un vol qui tournait mal, un règlement de compte entre marins un peu ivres… Un regard ou un simple geste qui conduisait à la mort de l’un des protagonistes.

C’était tellement courant que personne ne paniquait vraiment lorsqu’il ou elle tombait sur un cadavre.

Cela devait être pareil ici.

Il n’y avait aucun mouvement de panique.

Ou bien n’était-ce que l’odeur du plat, curieusement préféré, d‘un local que l’un des taverniers qui se trouvaient à quelques mètres d’eux venait de lui servir…

Il n’empêchait... Depuis qu’il était entré dans ce dôme du spatioport, il avait le sentiment constant d’être observé, épié, surveillé, et son instinct lui soufflait que cela n’avait rien à voir avec de la bienveillance.

Circé le tira par la manche.

— Il y a une odeur…, commença-t-elle.

— Je l’ai sentie, moi aussi. Bouche-toi le nez le temps que ça passe.

Elle avait perdu la vue, mais ses sens étaient plus aiguisés que quiconque. Elle devait sentir cette odeur avec encore plus de puissance que lui.

— C’est la même odeur, confirma-t-elle.

— La même odeur ? demanda-t-il distraitement.

— L’odeur de la Kèr. »

Il frissonna. Pourquoi n’y avait-il pas songé plus tôt ?

Cet évènement n’était pourtant pas si lointain dans sa mémoire, ni anodin.

Sur la Terre, cette créature avait essayé de les assassiner, leurs deux frères aînés, Circé et lui, alors qu’ils s’entraînaient dans la salle d’armes de l’un des palais de Darius.

Un des derniers qui lui restait.

Elle avait essayé de se faire passer pour une labirée, et, si le maître d’armes ne s’était pas étonné de son étrange "parfum", et de ne pas la reconnaître, ils seraient sûrement morts aujourd’hui, comme ce dernier et les nombreux labirés qui s’étaient interposés entre elle et eux au cours d’une lutte sans merci. Elle n’avait pris la fuite qu’à l’arrivée de nouveaux renforts.

Alerté par le vacarme, son père avait compris ce qui se passait et leur avait envoyé sa garde personnelle.

Il avait pris un gros risque, avait-il jugé par la suite. S’il y avait eu un autre assassin, sans sa garde, lui-même aurait pu être tué.

Ce qui était fait, était fait, et ne pouvait plus être défait, comme Baal l’Ancien le répétait souvent.

Circé avait raison.

La Kèr, ou une autre comme elle, était ici.

Mais comment pourrait-il la repérer dans un lieu aussi vaste ?

Le dôme était immense. Il s’étendait non seulement en largeur et en longueur, mais aussi en hauteur, autant vers le haut que vers le bas, sous ses pieds.

Il y avait des rampes, des escaliers, des tapis roulants, des ascenseurs qui menaient partout où l’on voulait se rendre, et des mini-navettes, probablement pour les courtes distances.

Il savait aussi qu’il n’y avait pas meilleur endroit qu’un port ou, en l’occurrence, un spatioport, pour passer inaperçu…

Sauf si votre visage s’affichait sur l’un des immenses écrans qu’il ne cessait de croiser depuis qu’il était dans ces lieux, et qui l’intriguaient beaucoup.

Il y avait aussi de nombreuses cachettes permettant d’observer sans être vu.

Adad se rendit compte que l’odeur avait disparu…

Était-ce juste une illusion olfactive ? Pourquoi en auraient-ils été victimes tous les deux ? Était-ce parce que Rhadamanthe parlait justement d’assassinat à Teutatès ?

Il avait associé un mot, que l’un des deux avait prononcé, à l’évènement et à l’odeur. Avec son ouïe fine, Circé en avait sûrement fait de même…

Cette explication ne le satisfaisait pas.

Il regarda de nouveau autour de lui sans rien voir de suspect. Il croisa le regard de Calliope qui le regardait fixement comme si elle était perdue dans ses pensées.

Il reporta à nouveau son attention sur la conversation de Rhadamanthe et Teutatès.

— S’il y existait des assassins pires que les Telchines, c'était bien les Kères, disait justement celui-ci.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Cette fois, Adad ne s’y était pas trompé. Il avait bien entendu prononcer ce nom funeste.

— Ces garces n’avaient ni dieux, ni maîtres, poursuivit Teutatès. Elles étaient des mercenaires. Nous les utilisions, autrefois, dans les combats à terre pour achever les blessés que laissaient nos ennemis sur les champs de batailles. Elles les dépeçaient pour leur faire peur. Nos adversaires… Et même les nôtres s’imaginaient qu’elles absorbaient le dernier souffle des mourants, qu’elles s’abreuvaient ensuite de leur sang et dévoraient leur chair.

Il fit une pause, le temps de chuchoter quelque chose à l’un de ses gardes qui s’éloigna aussitôt.

— Lors de la dernière guerre, elles étaient placées en première ligne, reprit-il. Elles s’infiltraient dans les vaisseaux. Elles les détruisaient de l’intérieur. Leurs exactions étaient si monstrueuses qu’elles pouvaient conduire à la folie celui qui en était le témoin. On raconte encore qu’aucune créature, dans l’univers connu, n’a jamais pu atteindre leur degré de perversité.

— Je connais ces récits, l’interrompit Rhadamanthe. On raconte aussi qu’elles étaient reconnaissables à leurs longues mains griffues, et surtout au manteau qu’elles portaient, fait de la peau de leurs ennemis et rougis par leur sang.

Adad devinait maintenant d’où venait cette odeur…

Quant aux griffes, il lui avait bien semblé remarquer que les mains de la créature qui les avait attaqués n’avaient rien d’humanoïde. Les marques qu’elles avaient laissées sur les cadavres le prouvaient.

Elles possédaient au moins cinq griffes ou cinq serres capables d’éviscérer un labiré. Si cela ne le tuait pas immédiatement, il finissait par mourir dans d’atroces souffrances, probablement à cause d’un poison dans lequel les ongles acérés avaient été trempées.

Sur le moment, dans sa peur, caché derrière ses frères prêts à les défendre si la Kèr arrivait à bout de tous les labirés, il n’y avait pas prêté attention. Maintenant, cela s’expliquait parfaitement.

Rhadamanthe eut un rire court, presque féroce tant l’amabilité qui devait normalement y être associée était absente.

— Il y en a même pour dire qu’elles n’ont pas toujours été ainsi, dit-il sans cacher son irritation. Qu’elles étaient issues d’une très très ancienne civilisation… Isolée des autres de crainte d’être contaminée par leurs tares...

— Elles étaient apparentées aux Telchines, poursuivait Teutatès. Elles pouvaient se faire passer pour elles. Si c’est l’une d’entre elles qui est derrière tout cela, cela expliquerait bien des choses. Les Kérès connaissaient parfaitement l’art de la guerre. Elles combattaient avec et contre des armées défendant des causes très diverses. Leurs connaissances dans l’art de la guerre en faisaient de redoutables stratèges. Certaines possedaient leurs propres armées…

Rhadamanthe voyait où son compagnon voulait en venir.

— Cela expliquerait la puissance des armées de cet Alexandre. Dans l'hypothèse où l'une d'entre elles existerait encore... Baal ne comprenait pas comment elles avaient pu battre celles de Darius et les siennes.

— Darius n’a jamais été un grand stratège sur les champs de bataille à ciel ouvert, nous le savons tous les deux.

— Je suis d’accord mais de là à se faire battre par une armée d’humains, commandée par un humain, s’emporta Rhadamanthe.

— Un humain que tous suivent, de grès ou de force… et qui a un talent certain pour la négociation de reddition, d’après ce que j’ai entendu dire.

— J’ai du mal à croire aux coïncidences.

— Sans compter que si une Kèr a pour mission… ou s’est donné pour mission d’éliminer Baal et sa famille, elle ne s’arrêtera pas avant d’en avoir fini avec eux. Quiconque se mettra en travers son chemin en subira les conséquences… funestes.

Les deux Drægans s’étaient arrêtés.

Rhadamanthe ne répondit pas. Son visage s’était assombri.

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