Cajun
Il fallait que je parte.
Je n'en pouvais plus de t'attendre,
Seul sous notre chêne comme lors de notre première nuit,
Un soir de septembre dans une autre vie.
Ça me rendait malade à en taquiner l'eau de vie,
Jusqu’à dégueuler mon existence
Sur les draps bleus froissés de notre lit.
Alors je mis les voiles,
Je débarquai outre-Atlantique, en pays Cajun.
J'errais comme ça, une semaine durant,
Cherchant une improbable raison à ma déplorable fuite,
À ce pèlerinage en terre Louisiane,
Là où nous n'avions aucun souvenir commun.
J'écumais et me perdais dans les méandres inextricables des bayous
Pour y enfouir ma peine, mon chagrin d'amour fou,
Celui qui gangrène mon cœur et mon âme en les mettant à genoux.
Et quand la nuit tombait jusqu'à se fondre
Et se confondre sur les rives du Mississipi,
Je me cramais le crâne, m'explosais le ciboulot
À coup de tord-boyaux infâme arrosé de tabasco.
Puis je cuvais dans mes vapeurs d'alcool,
Les dégobillais, ruinant ma chambre en vase clos,
Esseulé dans un motel à moitié déglingué, limite crado,
Dans une contrée éloignée, oubliée de tes atolls.
Ce fut mon dernier jour,
Ce fut mon Yom Kippour,
A Saint-Martinville, comme l'exilée.
Là où il y avait eu ces amants qui s'aiment,
Evangeline avait attendu Gabriel sous un chêne ;
Ils s'étaient retrouvés.
Mais l’Evangeline, son cœur saigne,
Son amour s'était marié ; elle ne l'avait pas supporté.
Notre amour s'étant fané, j'allais moi aussi en crever
Là où mon spleen m'entraîne ;
Mais avant de mourir, je voulais à mon tour te blesser,
T'anéantir de ma peine en me coupant les veines,
Et dans un dernier souffle, m’enchaîner à ce chêne ;
C’est là que, défunt, je t’attendrais
Puisque c'est toi, mon amour, qui m'a tué.
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