Elle attendait là...

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Elle attendait là, sur le quai, en écoutant le ressac et les cornes de brume.

Elle attendait là, une cigarette éteinte entre ses lèvres peintes d'écarlate, le vent malmenant une chevelure bouclée, teintée d'auburn et de reflets mordorés qui s'agitaient malgré la grisaille et le temps maussade.

Son grand imperméable sombre battait bruyamment sous la bourrasque, jurant un peu avec la résille de ses mitaines et de ses bas, avec ses escarpins fatigués, comme elle sans doute. Une fatigue qu'elle dissimulait derrière des verres bruns, ou peut-être était-ce du chagrin...

Elle attendait là, et moi aussi j'attendais là, emmitouflé dans mon blouson, un bonnet vissé sur la tête. Et comme je n'avais rien d'autre à faire que de l’observer, mes yeux s'égaraient.

J'imaginais ce qu'elle devait porter sous cet imper' trop grand, trop masculin pour elle : une mini-jupe, un décolleté plongeant dissimulé sous un foulard de soie. Et puis dessous encore...

Elle attendait là, immobile, et puis, elle se mit à regarder sa montre-bracelet, à en contempler les aiguilles, hypnotiques, à la faire tourner autour de son poignet. Son bijou était trop clinquant, trop kitsch ; lui aussi dénotait. Comme les minutes ne s'écoulaient pas vite, elle devenait nerveuse, tripotait sa montre et jouait avec sa clope éteinte pour tuer le temps, comme si elle attendait quelque chose. Quelque chose ou quelqu'un.

Nous attendions là, tous les deux. Il faisait froid, humide, et on commençait sérieusement à se faire chier chacun de notre côté, comme ça, à attendre. Alors comme je ne portais pas de montre et qu'elle n'avait pas de feu, je décidai de briser la glace en lui tendant mon Zippo. En lui demandant l'heure aussi. Seulement, je ne me souviens plus vraiment de l'ordre des choses, parce qu'à ce moment précis, elle ôta ses lunettes et là... Là, je vis une flamme briller dans ses yeux. La cigarette peut-être... La cigarette, peut-être que je l'ai inventée, et peut-être que cette fille aussi. Mais ce baiser, non, impossible... Ce baiser, son baiser me brûle encore trente-cinq ans après ; il me réchauffe dans le froid de mes hivers les plus rudes, dans celui de ma trop longue solitude.

Je n'ai pas pris le ferry ce jour-là. Pourtant, je l'ai attendu avec elle.

Et je suis toujours là sur le quai, à l'attendre. Mais je ne saurai sans doute jamais qui, de l'impatience ou de la brume, me l'a dérobée.

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