Les Capuches Rouges (polyptyque)

15 minutes de lecture

récit co-écrit avec ma fille VicNb, alors âgée de onze ans

Prologue : Amélie

La nuit était tombée. Je préparais mon poulet à rôtir, coupais mes pommes de terre en rondelles, éminçais oignons et carottes, puis les fis mijoter dans ma poêle. Tout à coup, mon four s’éteignit, je n’entendais plus crépiter mes légumes, l'obscurité avait subitement gagné la pièce. Une coupure d’électricité ? Je l'ignorais, mais la saison printanière qui s'ouvrait s'annonçait plutôt douce, avec un mois d'avril particulièrement clément ; rien ne pouvait justifier une quelconque surconsommation conduisant à ce soudain pétage de plombs. Tâtonnant en vain à la recherche d'une quelconque source de lumière, je fus surprise par une jeune fille brandissant l'un des trophées issus de mon passé sportif trônant dans mon salon...

***

I. Didier Vogier

Nous étions début janvier et la neige tombait à gros flocons, les bourrasques les fouettant contre les murs en bois de mon chalet. Il devait être dans les trois heures du mat', mais je n’arrivais plus à dormir. Il fallait que je m’occupe. J’allumai ma lampe de chevet et me saisis d’un bouquin qui traînait au pied de mon lit – un vieil Agatha Christie au format Poche, écorné, que j’essayais vainement de relire depuis plusieurs jours. Après quelques lignes, je me rendis compte que je ne captais rien aux phrases qui dansaient devant mes yeux. Agacé, je refermai rageusement le livre et me levai pour rehausser la température du thermostat de chauffage. En ouvrant le clapet du programmateur, une étincelle se produisit et l’ampoule de ma lampe de chevet se mit à clignoter. Brièvement.

― Qu’est-ce c’est que ce bordel ? m’écriai-je en frissonnant, autant de stupeur que de froid.

J’attrapai mon antique robe de chambre effilochée accrochée à la patère murale et l’enfilai avant de descendre au rez-de-chaussée pour vérifier le tableau électrique. Au-dehors, la tempête de neige ne faiblissait pas, rendant chaque plainte des murs extérieurs sous son joug plus inquiétante les unes que les autres. À mesure que mes pieds nus foulaient l’escalier grinçant, l’applique lumineuse se fit elle aussi de plus en plus agonisante, comme si son ampoule allait claquer d’une minute à l’autre. Je parvins enfin jusqu’au salon ; le luminaire qui éclairait la pièce ne montra quant à lui aucune faiblesse. Ouf ! La cuisine américaine, un néon qui s’illuminait parfaitement sous l’impulsion de mes doigts sur l’interrupteur. Rien à signaler à cet étage, tant mieux ! Avant d’aller vérifier le tableau électrique, je décidai de lancer ma théière Riviera & Bar pour me préparer une infusion Mariage Frères. Le bip sonore m’indiqua qu’il était temps de verser mon breuvage dans mon mug dont le contenu se fit ambré et fumant. Deux carrés de sucre plus tard, je sursautai en apercevant la silhouette d’une fille encapuchonnée de rouge satiné se reflétant dans l'inox de mon frigo high tech. Je me retournai d’un seul coup pour vérifier que ce n’était pas le fruit de mon imagination qui me jouait des tours, mais la fille était toujours là. Ou plutôt son hologramme clignotant.

― Qu… Qui êtes-vous et qu… Que faites-vous chez… Chez moi ? bredouillai-je.

Un grand éclat de rire quasi satanique. De belles dents très blanches, des lèvres peintes d’écarlate, de grandes mèches d’un blond platine s’échappant d’une capuche trop grande qui mangeait presque tout le haut du visage diaphane de la fille, masquant ainsi la couleur et l’expression de ses yeux.

― Qui êtes-vous ? tonnai-je d’une voix plus assurée.

La silhouette clignotait toujours devant moi, une image très pixelisée, comme issue d’un vieux film ou d’une série US des eighties.

― Je… Suis… Moiiiiii… souffla-t-elle en me projetant en pleine face cette étrange poussière dorée qui, au contact de ma peau, me pulsa de puissantes décharges électriques.

Je perdis connaissance. À mon réveil, seule la tasse brisée et l’infusion répandue sur le sol pouvaient témoigner de ma visite nocturne et de l’effroi qu’elle avait provoqué. Les flics passèrent ma demeure au peigne fin, mais il ne subsistait rien, aucun indice attestant d’une éventuelle effraction. Ils crurent même que j’avais bu ou fumé quelque chose d'illicite, ingurgité un médoc provocant des hallucinations peut-être… Mais moi, je savais. Je savais que cette présence spectrale avait été bien réelle.

***

II. Commissaire Blendel

― Il est pas net, le gars ! s’exclama l’inspecteur stagiaire qui me secondait dans cette enquête, en s’installant sur le siège passager de mon break Focus.

Je m’allumai une cigarette, démarrai la voiture et quittai en marche arrière l’allée qui conduisait au chalet de la victime.

― Je crois pas qu’il soit totalement taré, finis-je par lâcher en inhalant la fumée de ma clope. La description de cette fille… Elle me dit quelque chose. Mais faut que je vérifie dans les archives. Parce que si mes souvenirs sont exacts, cette nana est censée être morte noyée… Depuis cinq ans !

― C’est qui ?

― Elodie Priest, une gamine - enfin, façon de parler puisqu’elle avait dans les dix-huit balais au moment des faits – qui, à l’époque, terrorisait la ville avec sa bande de potes. On avait fini par les loger dans un squat, sauf qu’on n’a jamais pu les arrêter. Ils avaient préféré sauter tous les quatre du haut de la Falaise des Tilleuls plutôt que de se retrouver derrière les barreaux.

― C’est ce que je vous disais, Commissaire, ça ne tient pas debout, l’histoire de notre type, de cette apparition spectrale qui l’électrise !

― Et si cette bande – Les Capuches Rouges – ne s’était jamais vraiment éteinte, si cette meuf était toujours vivante ?

― Vous n’aviez pas retrouvé les corps noyés dans le torrent du Seigle ?

― Non. Leur disparition a toujours été un mystère. Mais la technologie d’aujourd’hui pourrait leur permettre d’être encore plus sadiques et cruels envers leurs victimes qu’hier. Il faut qu’on suive ça de près, Higier, de très près !

― Pourtant, vous avez laissé entendre à ce pauvre gus – Didier Vogier, précisa mon stagiaire en vérifiant ses notes – que tout ceci n’était que le fruit de son imagination.

― Vous croyez aux fantômes, Higier ? Moi non ! Donc tant qu’on n’a pas de vraie piste, on évite d’affoler inutilement la population. C’est clair ?

― Très clair, Commissaire…

***

III. Emily Boulamon

Nous étions mi-février. Le temps commençait doucement à se réchauffer ; j’avais troqué mes vieux pulls et mes pantalons d'hiver pour de jolis chemisiers chamarrés, des jupes un poil plus courtes et des collants noirs. Je vivais seule en compagnie de mon petit chien, sobrement baptisé Médor. Il avait de longs poils d’une couleur assez rare, un roux tirant presque sur l’ambre, d’une douceur qu’on ne pouvait que choyer ; son regard était si attendrissant qu’on ne en pouvait détourner le nôtre, sa charmante queue touffue et sa silhouette élancée.

Jusqu'ici, j'avais toujours mené une vie paisible, occupant à mi-temps un poste de secrétaire au sein d'un cabinet dentaire. Mais ce jour-là, au moment où je m'apprêtais à rentrer chez moi, aux alentours de 14 heures, on m’assomma avec le chandelier doré qui trônait dans le vestibule. Profitant de ma semi-conscience, on me traîna ensuite jusqu’à la salle de bain, remplit d'eau ma baignoire pour m'y jeter toute habillée ; me sortant ainsi brièvement de ma torpeur. Un étrange jeune homme, vêtu d'un jean déchiré et d'un sweat à capuche rouge, se tenait devant moi, le regard menaçant, d'un bleu océan, hypnotique. Des couleurs fanées, presque aussi délavées que celles de son jean, lui donnaient un air inquiétant, quasi spectral. A moitié sonnée, je ne réalisai pas qu'il brandissait toujours le chandelier, prêt à me frapper à nouveau. Dans un sursaut de lucidité, j'esquivai son geste mais il empoigna ma chevelure et tenta de me plonger la tête sous l'eau à plusieurs reprises. Par instinct de survie, je me débattis, hurlai, luttai à bout de forces. Jusqu'à ce que son image s'efface. Qu'il abandonne ?

Encore tétanisée par les faits, je sortis de la baignoire, détrempée et les yeux hagards. Sur mes gardes, je descendis prudemment les escaliers de ma maison. A proximité de la cheminée, mon petit chien gisait dans une mare de sang. Je m'agenouillai à ses côtés pour caresser son pelage, et me laissai aller à ces sanglots que je ne retenais plus. Il fallait que je prévienne les flics, que je porte plainte. Que je parte d'ici. Je refusai de rester seule, vulnérable.

Je n'avais touché à rien, pleurais encore Médor quand la police débarqua enfin. On m'interrogea longuement, mais mes interlocuteurs semblaient sceptiques : aucun indice ne permettait de valider la récente présence d'un hypothétique agresseur. Ils le furent encore davantage lorsque je leur décrivis l’étrange apparence du jeune homme.

Deux agressions en deux mois dans le même quartier, pourtant réputé sans histoire jusqu'alors, et aucune trace d’effraction, pas la moindre empreinte exploitable ! S’agissait-il d'un seul et même individu ? Probablement pas, car la police écarta rapidement tout lien entre les deux affaires, le premier agresseur étant une fille encapuchonnée de rouge. Encapuchonnée de rouge ? La similarité avec mon agresseur était frappante seulement, on l’éluda. Peut-être ne me prenaient-ils pas au sérieux, malgré la violence avec laquelle on avait tué mon chien. L'hôpital, mon dépôt de plainte, l'appel à mon amie pour ne pas rester seule chez moi. Il ne se passa rien les nuits suivantes. Mais l'enquête piétinait.

***

IV. Commissaire Blendel

Je ne comprends pas, Commissaire !

― Quoi, qu’est-ce que vous ne comprenez pas, Higier ?

― Pourquoi vous n’avez pas fait le lien entre les deux agressions ? Les deux agresseurs, ils portaient la même capuche rouge…

― Parce que je ne voulais pas affoler Mademoiselle Boulamon pour rien ! Je vous rappelle que nous n’avons pour le moment aucune preuve matérielle tangible…

Je sortis du tiroir de mon bureau une grosse enveloppe en papier craft, en vidai le contenu sur le plan de travail et isolai deux photos :

― Elodie Priest et Nicolas Fougère, voici ce à quoi nous renvoie le signalement que nous avons des deux agresseurs. Sauf que ces personnages sont censés être morts !

― Vous pensez que ce sont… Des fantômes ?

― Non, Higier ! Je suis quelqu’un de rationnel moi, je ne crois pas à toutes ces entités surnaturelles ! Mais j’ai ma théorie…

― Ah oui, laquelle ?

― Il s’agit de montages vidéos issus des bandes originales filmées il y a cinq ans dans le drugstore qu’avaient braqué Les Capuches Rouges. Je suis persuadé que de petits plaisantins s’amusent à leur donner un grain spectral, puis à les projeter pour effrayer la population. Le problème, c’est qu’on ne retrouve trace de rien du tout sur les lieux des deux agressions. On a que dalle pour étayer cette hypothèse !

― Et dans le cas de Mademoiselle Boulamon, que faites-vous des traces de lutte ou du corps sans vie de son canidé retrouvé dans une mare de sang ?

― L'apparition « spectrale » a pu la faire paniquer, au point de commettre elle-même, dans un état second, les violences qu'elle prétend avoir subi...

― Alors qu’est-ce qu’on fait, Commissaire ? On communique vos intuitions à la presse ?

― Surtout pas, malheureux ! Vous voulez provoquer une psychose collective ou quoi ? Non, la meilleure stratégie, c’est de poursuivre discrètement l’enquête sans révéler le lien que nous percevons entre les deux agressions du quartier Saint-Charles.

***

V. Amélie Grandcoeur

Nous étions début avril, la nuit venait de tomber. Je préparais mon poulet à rôtir, coupais mes pommes de terre en rondelles, éminçais oignons et carottes, puis les fis mijoter dans ma poêle. Tout à coup, mon four s’éteignit, je n’entendais plus crépiter mes légumes, l'obscurité avait gagné subitement la pièce. Une coupure d’électricité ? Je l'ignorais, mais la saison printanière qui s'ouvrait s'annonçait plutôt douce, avec un mois d'avril particulièrement clément ; rien ne pouvait justifier une quelconque surconsommation conduisant à ce soudain pétage de plombs. Tâtonnant en vain à la recherche d'une quelconque source de lumière, je fus surprise par une jeune fille brandissant l'un de mes trophées issus de mon passé sportif trônant dans mon salon. Aussi mystérieuse que fantomatique, l'intruse semblait plutôt jolie : de longs cheveux d’or bouclés, à demi-masqués par la capuche écarlate d'un sweat trop grand pour elle, une silhouette longiligne et des yeux couleur noisette. Elle paraissait presque irréelle et son air menaçant m'effrayait. La main crispée autour de la récompense de mes victoires passées, elle m'invectivait en silence. D'une force quasi surhumaine, elle brisa la coupe qui, dans un bruit d'explosion, éclata sous la pression de ses doigts gantés ; une poussière dorée flottait à présent dans l’air. Une poussière volatile qui finit par m'étourdir, au bord de l'inconscience. La fille encapuchonnée profita de cet instant de faiblesse pour tenter de m'étrangler, mais l'effet soporifique de la poudre se dissipa rapidement et je parvins à me débattre pour m'extirper de son emprise. Sauf que mes coups ne l'atteignaient pas. Son enveloppe corporelle se fit de plus en plus spectrale, à mesure que je me dégageai de ses assauts. A bout de souffle, épuisée par notre lutte, je la vis soudain disparaître dans un nuage de fumée rouge sang, vociférant ainsi sa rage :

― Prépare-toi à mourir, Amélie Grandcoeur !

Sa réplique me tétanisa : comment connaissait-elle mon nom ? Devenais-je folle ? Cette fille, l’avais-je seulement inventée dans ma tête ? Et puis, non, ce n'était pas une simple vue de mon esprit : tout ceci était bel et bien réel ; étrange certes, mais réel. Profitant d'un providentiel répit, je me saisis alors de mon smartphone pour appeler la police à ma rescousse. Les flics débarquèrent peu après mais ils doutaient de la véracité de mes dires : comment croire à pareille agression sans l'avoir vécue soi-même ? Ma plainte fut malgré tout enregistrée car elle était loin d'être isolée : depuis plusieurs semaines, la presse se faisait l’écho de ces étranges agressions qui avaient toutes eu lieu dans le même quartier, à proximité de la Falaise des Tilleuls. Mais force était de reconnaître que les différentes enquêtes n’avançaient pas d’un iota…

***

VI. Commissaire Blendel

― Vous avez lu les journaux, Higier ? On passe pour des incapables ! On parle d’agressions spectrales, d’irrationalité.

― Même que des médiums et des sorciers exorcistes se proposent spontanément pour venir communiquer avec ces fantômes de l’Au-delà, leur demander ce qu’ils veulent ou les faire partir…

Tandis que mon stagiaire évoquait les absurdités que nous recevions chaque jour au poste, les données qui s’affichaient sur les écrans d’ordinateurs du commissariat s’effacèrent toutes d’un seul coup, ne laissant derrière elles que des messages d’erreur.

― Merde, merde, merde ! Tous les PC sont en train de planter !

― Vous croyez que c’est un virus, Commissaire ?

― Non, je pense plutôt que c’est un hacker qui s’est introduit dans nos fichiers…

Au même moment apparurent alors sur quatre portes vitrées distinctes quatre adolescents encapuchonnés de rouge, clignotant par intermittence, comme exfiltrés d’un jeu vidéo : deux filles et deux garçons. Ce fut Elodie Priest, du moins son spectre au regard menaçant, qui prit la parole :

― Hey, poor stupid cops, you’ll never catch us ! NEVER ! Because only the Devil will ever win… (1)

Puis les hologrammes s’éteignirent à mesure que les vitres éclatèrent une à une.

― Nom de Dieu, Commissaire, vous avez vu ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

― Qu’on est loin d’en avoir fini avec ces putains de hackers !

***

VII. Camille Delettre

A la mi-mai, le printemps battait son plein. Dans sa loge, Camille Delettre se maquillait en rythme ; son poste radio diffusait un ancien tube de Mika : Grace Kelly. L'artiste lyrique avait soigneusement choisi la couleur de son fard à paupières et de son rouge à lèvres. Elle travaillait délicatement son teint sans trop le charger de poudre ; la célèbre cantatrice se préparait pour son show d'exhibition à l'opéra. Pourtant, à la suite d'un appel téléphonique anonyme survenu plus tôt dans la journée, elle s'était mise à douter, à envisager de reporter cette première d'une série de concerts ouvrant sa grande tournée internationale. Son imprésario s'y serait probablement opposé ; seulement, cet étrange appel lui avait glacé le sang.

― Allô ?

― Ouvre-moi ta porte, Camille ! ordonna une voix singeant celle de Dark Vador. Je suis en bas de chez toi, je t'attends...

― Qu... Qui êtes-vous ?

― Ouvre-moi si tu veux le savoir... Je t'attends, Camille !

― Allez-vous en et laissez-moi tranquille, vous m'entendez ? Allez-vous en, sinon j'appelle les flics !

― Je me les gèle dehors, Camille. Je meurs d'envie de me réchauffer en toi... Allez, mon ange, ouvre-moi, laisse-toi envahir par ta part d'ombre...

― Jamais de la vie ! Non, jamais je ne vous ouvrirai, pauvre fou !

― Comment oses-tu me résister et m'offenser de la sorte, petite garce ?

Malgré son effroi, l'artiste lyrique avait trouvé la force de raccrocher et s'était refusée à prendre le second appel. Sur son répondeur, l'inconnu avait laissé un message : il viendrait la voir ce soir, à l'opéra ; elle ne lui échapperait pas cette fois-ci, il disait connaître l'entrée des artistes... Elle avait écouté cette voix menaçante, n'était pas parvenue à lui donner un visage ou un nom. Une voix sans âge... Elle était longuement restée prostrée à proximité du guéridon, puis avait entrouvert le rideau et jeté un œil dans la rue, apparemment déserte. Juste pour vérifier qu'il était parti, qu'il avait quitté les lieux. Elle en avait parlé à Mattéo, elle lui avait confié sa peur bleue de monter sur scène le soir même dans ces conditions. Elle lui avait montré les coupures de presse qui relataient ces sordides agressions qui terrorisaient la ville depuis plusieurs mois. Toujours dans le quartier Saint-Charles, là où elle résidait. Son amant l'avait prise dans ses bras pour la rassurer. Il ne s'était pas inquiété outre-mesure : cela devait être l’œuvre d'un plaisantin, comme à chaque fois qu'elle faisait la une des journaux ; la célébrité avait malheureusement un prix. Selon lui, l'inconnu ne réitérerait pas. Et si d'aventure il devait persister, il en aviserait la police, qui se chargerait alors d'assurer sa sécurité.

D'un battement de cils, Camille chassa les réminiscences de son angoisse. Mattéo avait pris les choses en main en renforçant le service d'ordre. Il ne se passerait rien de fâcheux ce soir, elle pouvait s'adonner à son récital sans crainte. Vêtue d’une sobre robe en dentelle, elle était ravissante. Elle avait finalement opté pour un fard à paupières dans les tons gris-bleu s’accordant parfaitement avec ses longs cheveux blonds. Son rouge à lèvres était rose pâle. Puis, vint le moment de son rituel pour annihiler le trac : ne plus prêter attention à la musique et s'isoler mentalement avant d'entrer en scène. Soudain, de puissants larsens saturèrent les enceintes et vrillèrent les tympans de la soprano : la radio se mit à changer de station, les chiffres des différentes fréquences numériques défilèrent à une allure vertigineuse pour s’arrêter enfin sur les paroles effrayantes de Thriller, le tube planétaire de Michael Jackson :

« Darkness falls across the land /

The midnight hour is closer at hand /

Creatures crawl in search of blood /

To terroize y'awl's neighbourhood...» (2)

Un homme vêtu d'un sweat-shirt à capuche rouge, semblable aux êtres qu'on décrivait dans les journaux relatant les récents faits divers ayant perturbé la petite bourgade, apparut dans le miroir. C’était lui qui martelait ces mots, la dévisageant d’un air diabolique. Était-ce lui, l'auteur du coup de fil anonyme dont elle avait été victime ? Il paraissait si jeune pourtant. Machiavélique aussi ; elle en était terrorisée. La radio se tut tandis que l'individu aboya un « Bouh ! » semblant provenir d'outre-tombe. La cantatrice poussa un cri d’effroi, la panique accéléra les pulsations de son cœur jusqu’à ce qu’il la terrasse. L'intrus tourna les talons et disparut dans la nuit en ricanant de manière satanique, à l’image du roi de la pop à la fin de son morceau. Le service d'ordre était bien là, aux aguets, Mattéo aussi, mais personne n'entendit aucun bruit suspect en provenance de la loge.

21 heures sonnèrent et la star tardait à se présenter sur scène. Sa garde rapprochée vint donc aux nouvelles, se heurtant à un silence abyssal en guise de réponse et une porte étrangement close. Celle-ci finit par céder sous les assauts des gardes du corps mais il était trop tard : Camille n'était plus et Mattéo ne s'en remit jamais. Les médias s'émurent du drame, le public aussi : les secours et la police avaient conclu à une banale crise cardiaque alors que la soprano n’avait jamais connu le moindre problème de santé. Son cœur ne pouvait s’être arrêté comme ça, sans raison, sans signe avant-coureur. Néanmoins, l'enquête avait tourné court ; pourtant les habitants de la petite bourgade savaient. Ou du moins se doutaient qu’il s’était passé quelque chose. Quelque chose ou quelqu’un. Quelqu’un qui n’était peut-être ni rationnel ni vivant. Comme ces Capuches Rouges qui hantaient la ville depuis des mois. Comme ces fantômes qui s'échinaient à venger leurs aînés...

(1) : « Hey, pauvres flics imbéciles, vous ne nous attraperez jamais ! JAMAIS ! Parce que seul le diable gagnera à jamais... »

(2) : « La nuit tombe aux alentours /

Minuit est proche /

Les créatures rampent à la recherche du sang /

Pour terroriser le voisinage... »

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