Projecteur sur « Noce Blanche » : secrets de tournage...

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« Mais tu vois pas que j’te supplie ? »

Mathilde (Vanessa Paradis) à François (Bruno Cremer)

dans Noce Blanche (1989), de Jean-Claude Brisseau

Noce Blanche à l'écran, c'est la rencontre de deux solitudes : celle de François, prof de philo, stature droite et imposante, et celle de Mathilde, élève fine et gracile, presque séductrice malgré elle. C'est elle qui le réveille, qui virevolte autour de lui qui écoute et se laisse ensorceler. C'est l'histoire d'une passion fulgurante ; dévorante, adultère et destructrice. Interdite. L'histoire d'un drame parce que les histoires d'amour finissent mal en général...

L'image finale, silencieuse, raconte tout ce que les mots ne peuvent pas dire. Le soleil - Mathilde - disparaît, la solitude est plus grande que jamais, alors il n'y a plus rien à dire...

C'est tout ça que voulait nous conter Brisseau, et malgré une intrigue classique, limite cliché, un portrait d'adolescente chargé et un prof qui n'a rien d'un sex-symbol, ça fonctionne et on se laisse porter par cette histoire, porter par le jeu de son héroïne pourtant débutante, qui n'est pas sans rappeler, dans certaines scènes, celui d'une certaine Romy - Vanessa est fan de l'actrice. Et cette fragilité, cette présence évanescente, on la doit autant à Mademoiselle Paradis qu'à Monsieur Brisseau, réalisateur de ce long métrage.

Seulement, cette collaboration artistique, très orageuse, n'a rien eu d'une sinécure, en particulier pour l'adolescente.

Au départ, rien ne prédestinait cette rencontre entre la chanteuse « paillettes » et le cinéaste, d'autant plus que celui-ci tient déjà son héroïne après deux ans de recherche : Charlotte Valendrey, révélée en 1985 dans Rouge baiser. Rien, sauf le titre provisoire de Noce Blanche : « Paradis perdu » - qui s'est également intitulé un temps « Mariage blanc ». Un signe ?

Première rencontre donc, et d'emblée, Vanessa trouve Brisseau antipathique tandis qu'il la trouve trop surfaite dans l'apparence qu'elle se donne. Et ce n'est pas ce qu'il veut. Pourtant, il lui fera faire des essais, dont une scène de nu, et finira par la préférer à Charlotte Valendrey, officiellement recalée car elle était, selon le cinéaste, trop enrobée pour le rôle. La version de l'actrice remerciée est toute autre puisque dans son autobiographie L'amour dans le sang, elle déclare avoir avoué au réalisateur sa séropositivité, ce qui aurait, selon elle, fait pencher la balance en sa défaveur.

Toujours est-il que c'est Vanessa que Brisseau choisit, sans savoir que ce choix va lui compliquer sérieusement la tâche. Notamment lorsqu'il annoncera ledit choix aux figurants - élèves de la classe cinéma du lycée Jean Monnet de Saint-Etienne.

« Quand je l'ai choisie, confiera plus tard le cinéaste, je ne me suis pas rendu compte qu'elle était haïe par les jeunes et les femmes. Son public à elle, c'était les moins de douze ans et les hommes de plus de quarante ans. [...] C'est si vrai que quand j'ai révélé son nom aux acteurs et aux figurants, quinze jours avant le début du tournage, certains ne voulaient même plus être dans le film. »

La timidité maladive de l'adolescente - seize ans et demi en 1989 -, renforcée par les injures et les quolibets que son statut de lolita-star lui vaut au quotidien - ceux-là même qui ont fait réfléchir l'apprentie-artiste sur sa volonté de poursuivre sa jeune carrière, et qui ont beaucoup inquiété son entourage par leur virulence - la fait passer à tort pour une prétentieuse.

« C'était l'époque où les gens étaient infects avec moi. » déclarera-t-elle plus tard.

Tout ceci n'arrangera rien sur le tournage, qui débute dans un climat de tension extrême. D'un côté, nous avons une Vanessa complètement isolée, loin de ses repères et même déboussolée par les horaires imposés, elle qui d'habitude veille si tard dans son univers starifié. Et de l'autre, un Jean-Claude Brisseau autoritaire et inflexible, qui sait ce qu'il veut et qui la pousse dans la direction qu'il souhaite, à savoir une adolescente débarrassée de sa « Lolita-attitude », trop artificielle à son goût.

« Les problèmes sont venus de ce que j'appartiens à un autre univers qu'elle. » dira de leurs relations houleuses le cinéaste.

Si bien qu'à force de la prendre à rebrousse-poil, la jeune actrice au caractère plutôt trempé finit par se cabrer face aux exigences de celui qui la dirige. Au point que celui-ci en vienne à « voler » son image lors de certaines séquences - notamment celle de l'exposé sur l'inconscient - pour obtenir ce qu'il veut : ces attitudes non-formatées qu'il recherche chez elle. Toujours dans la même démarche de conduire son film comme il l'entend, Brisseau refusera que Vanessa visionne les rushes au fil du tournage.

Bref, entre les deux, le torchon brûle sérieusement jusqu'à ce que, après une énième confrontation avec le réalisateur et malgré l'intervention de Florent Pagny - alors compagnon de l'actrice -, Vanessa claque la porte du tournage. Trois semaines plus tard, elle reviendra terminer ledit tournage, mais en gardera pendant longtemps un douloureux souvenir. Elle mettra cinq ans à accepter un nouveau rôle et sera surprise de trouver sur le plateau du tournage d'Elisa une ambiance si détendue.

« Brisseau pourrait faire tout ce qu'il veut, je ne tournerais plus jamais avec lui. Il était insupportable et détestable. »

Si à l'époque de la promotion du film, la jeune actrice se mordait la langue pour ne pas lapider le cinéaste, aujourd'hui elle ne mâche pas ses mots à son encontre, rancunière de la façon qu'il a eu de travailler avec l'adolescente qu'elle était. A nouveau sollicitée par lui pour un long métrage quelque temps plus tard, elle le renverra sans ménagement dans les cordes.

Pourtant, Noce Blanche a joué un rôle capital dans sa carrière en lui permettant de changer durablement son image - c'est en partie pour ça qu'elle a tenu à faire ce film - et de prouver à ses détracteurs qu'elle n'est pas cette Lolita préfabriquée qui ne fera jamais carrière. Très attendue au tournant, il est certain que si sa prestation avait été mauvaise, sa carrière artistique aurait été fortement compromise, mais c'est un risque qu'elle a voulu prendre pour montrer à tous ceux qui l'avaient sifflée au Midem de Cannes lors des NRJ Music Award près de deux ans plus tôt qu'ils avaient eu tort de la sous-estimer.

En effet, 1990 a été pour elle l'année de la reconnaissance et de la consécration par ses pairs puisqu'elle remportera pour ce premier rôle le César du Meilleur Espoir Féminin et le prix Romy Schneider. Et dans le registre musical, elle remportera une première Victoire de la Musique pour son album Variation sur le même t'aime..., écrit par Serge Gainsbourg et composé par Franck Langolff.

Pour Jean-Claude Brisseau aussi, Noce Blanche a fait beaucoup en lui apportant reconnaissance et notoriété : à ce jour, il reste son plus grand succès critique et public.

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