Laura (triptyque)

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I.

Ça ne devait être qu’une simple histoire de cul entre nous, rien de plus.

Je venais de mettre un terme à sept longues années d’une relation aussi tumultueuse que toxique ; je ne voulais rien de sérieux, juste passer du bon temps avec une jolie fille. Plutôt du genre open, tu vois, pas farouche ou à trop se poser de questions sur le pourquoi du comment du parce que. Quelqu’un de simple qui chercherait la même chose que moi : un plan cul sans attache ni lendemain.

Laura et moi, on s’était chauffés sur internet, sur un site de rencontre dédié au sexe. Et ça a matché direct entre nous : elle était belle, drôle et n’avait pas du tout froid aux yeux. On était sur la même longueur d’ondes, en mode fun sans prise de tête.

On est très vite passé du virtuel au réel, je l’ai invitée dans mon studio – je suis photographe. Il y a eu un peu de gêne entre nous au début, il n’y avait plus d’écrans interposés et on ne s’était jamais rencontrés IRL. Elle a posé son sac à l’entrée et s’est mise à parcourir mon lieu de travail, s’attardant çà et là sur des clichés noir & blanc de modèles féminins.

— Tu fais des nus aussi ? me demanda-t-elle soudain, en se retournant vers moi, espiègle.

— Non, lui répondis-je en souriant. Elles ne se déshabillent jamais pour moi…

Elle s’approcha alors pour me susurrer quelques mots à l’oreille :

— Et tu le regrettes ?

J’enlaçai sa taille pour me rapprocher à mon tour et la plaquer contre mon corps afin qu’elle sente l’excitation qu’elle suscitait en moi. Mon visage se fraya un chemin dans la jungle de ses cheveux pêle-mêle pour lui murmurer de ma voix rocailleuse la réponse qu’elle attendait probablement :

— Pas vraiment… Mais si toi tu repartais de chez moi sans t’être dévêtue, là je le regretterais, et amèrement sans doute...

Ses bras s’enroulèrent autour de mon cou, sa bouche se posa sur la mienne ; nos langues se lièrent pour valser tandis que je caressais son séant et remontais mes mains sous sa jupe trop courte.

Elle ne portait rien en dessous, rien que sa peau nue. Sa main déboutonna ma chemise, mon jean, et abaissa mon boxer pour libérer mon membre, tendu comme un arc, de son carcan. Nos sens s'enivraient l'un de l'autre ; cela devint très vite plus hard entre nous, nos deux corps dénudés emmêlés sur le sol se faisant sauvagement l'amour, sans aucune pudeur ni retenue.

Avant qu’elle ne parte, je lui ai demandé si l'on pouvait se revoir. Elle m’a laissé son adresse, un numéro de téléphone où la joindre ; et l'on s’est revus, régulièrement. Et depuis lors, c’est toujours aussi torride entre nous : elle est ma dope. Ça fait trois mois que je suis accro à son corps ; à chaque fois qu’on se sépare pour reprendre le cours de nos existences respectives, j’ai peur qu’elle ne veuille plus de ça, qu’elle se lasse de nos parties de jambes en l’air, que ça ne lui suffise plus. Que JE ne lui suffise plus.

Ça ne devait être qu’une histoire de cul, mais j’ai appris à la connaître entre deux séances de baise ; il n’y a pas que son physique qui m’attire. Elle me fait sacrément bander bien sûr, j’aime la faire jouir, seulement il y a plus que ça entre nous. Bien plus que ça entre Laura et moi…

***

II.

Elle m'attendait à la terrasse d'un café, devant un cappuccino, crémeux comme elle les aime, lisant distraitement un vieux roman de Stephen King. C'était la première fois que je la voyais porter des lunettes, et cette tenue aux faux airs sages : un corsage écru jeté sur une longue jupe fendue qui laissait deviner une paire de bas plus coquins que le reste. Sa crinière avait poussé depuis notre première rencontre, et elle avait choisi d'en relever les mèches mordorées-bouclées en les attachant à la sauvette à l'aide d'une pince fantaisie qui dénotait avec le reste. Ainsi vêtue, elle paraissait presque trop sérieuse, à l'image d'une étudiante en master ou d'une jeune prof d'anglais. Si différente de la fille so sexy que j'avais culbutée la veille sous la mansarde de sa chambre, aussi étriquée que son antre, sous les toits de Paris.

Je l'avais retrouvée chez elle, et elle m'avait accueilli, toute de dentelle légère dévêtue, en m'embrassant fougueusement. Après de très rapides préliminaires, ce fut elle, mon amazone, qui chevaucha avec ardeur mon sexe raidi par le désir que j'éprouvais à la vue des attributs de sa féminité et de sa si jolie toison. Un après-midi complet d'amour, de jouissance, de volupté, les délices de son corps lové dans des draps de soie...

Depuis mon poste d'observation, de l'autre côté de la rue, je n'avais qu'une seule envie : la prendre en photo à son insu, dans des poses très naturelles. Car toutes les femmes en elles me séduisaient. Féline ou intello, elle restait belle à tomber par terre. L'objectif braqué sur elle, je l'ai shootée un long moment, donnant naissance à une série de clichés d'une beauté à couper le souffle. Elle était sans conteste mon meilleur modèle, celui qui m'inspirait le plus. J'avais déjà eu envie de la photographier dans son plus simple appareil, mais je n'avais jamais osé le faire sans sa permission.

Je mis quelques minutes à reprendre mes esprits avant de la rejoindre ; je ne pouvais décemment pas la faire patienter plus longtemps. Je traversai la rue. En m'apercevant, elle s'empressa d'ôter ses verres correcteurs et de reposer son livre sur la table bistrot. J'embrassai furtivement ses lèvres avant de prendre place en vis-à-vis, de m'abîmer dans la contemplation de cette si charmante demoiselle que j'avais le privilège de baiser.

— Ça fait longtemps que tu m'attends ?

Un serveur s'interposa brièvement pour prendre ma commande avant qu'elle puisse me répondre.

— Pas tellement, non... mentit-elle avec aplomb.

La tasse vide qui trônait devant elle confirmait, si besoin était, l'affabulation de politesse, mais je ne lui en voulais aucunement. Une bière pression atterrit devant moi et j'enchaînai sur cet objet dont elle semblait avoir si honte.

— Ça te va bien, fis-je en désignant sa monture écaille, pourquoi ne les portes-tu jamais ?

— Oh, arrête, je suis affreuse avec ça ! On dirait un vieux rat de bibliothèque !

— Moi, je ne trouve pas...

— Écoute, si je les avais eues sur le nez lors de notre première rencontre virtuelle, je crois que tu serais parti en courant. Tu voulais une bombe sexy, pas une meuf coincée qui ne sort jamais la tête de ses bouquins !

— Ce n'est pas ce que tu es...

— Oui, mais c'est l'impression que je t'aurais donnée.

— Tu sais, les femmes à lunettes, ça a son charme aussi...

— Laisse tomber, David, tu n'arriveras pas à me convaincre. Mes lunettes, ça a toujours été mon complexe, alors tant que je peux m'en passer...

J'avalai une gorgée de ma bière tandis qu'elle rangeait ses affaires dans son sac. Je ne parvenais pas à détacher mon regard d'elle. Avec ou sans binocles, elle me faisait totalement craquer. J'avais envie de lui proposer un truc, mais je n'étais pas sûr que ça l'enchante. Seulement, pour en avoir la certitude et savoir véritablement où l'on en était elle et moi, il fallait que je me lance. Avec la probabilité non négligeable de me prendre un râteau.

— Je voulais te demander... Enfin, j'avais pensé à quelque chose. Ça te dirait qu'on parte en week-end quelque part tous les deux ? A la mer, ou ailleurs si tu préfères ?

Laura explosa de rire et, sur le moment, je me sentis très con, limite vexé.

— C'est toi qui me demandes ça ? Toi qui me rabâches à longueur de journée que tu ne veux que du cul, que tu ne veux pas t'engager ?

Ma maîtresse ne savait pas combien elle avait bouleversé mes plans depuis notre première rencontre. Oui, j'avais joué cartes sur table, je voulais du sexe, rien que du sexe et basta. Pourtant, on s'était revus, on entretenait depuis lors une relation suivie, essentiellement basée sur nos corps-à-corps endiablés certes, mais pour moi, il n'y avait pas que ça. A mes yeux, cette nana était extraordinaire. Je me surpris d'ailleurs à plusieurs reprises à m'imaginer emménager avec elle dans un grand appartement haussmannien, cohabiter avec les tonnes de bouquins qu'elle aime lire et les immenses affiches de films old school qu'elle placarderait partout sur les murs. Parce qu'elle était comme ça, tout en contraste, à se passionner pour le cinéma d'avant-guerre et la Nouvelle Vague, l'écriture un peu rêche, un peu aride de certains auteurs américains, et qu'elle dessinait, à ses heures perdues, des nus masculins très réalistes, sur lesquels j'étais tombé tout à fait par hasard.

***

— Ça te choque ?

— Non, pas vraiment... Seulement, ce n'est pas très commun comme hobby pour une fille ! Tu fais ce genre de dessins depuis longtemps ?

— Assez oui. Mais c'était plutôt secret au début. Une ado qui se passionne pour les nus masculins, ce n'est pas très bien vu... Et puis, mon premier mec sérieux a fait comme toi, il a découvert quelques-unes de mes esquisses. Et comme toi, il en a été surpris, mais une fois cet étonnement passé, il m'a encouragée à continuer. Il m'a dit que j'étais très douée, et pour moi, son avis a beaucoup compté parce qu'il bossait comme illustrateur jeunesse, en free-lance. Alors je l'ai écouté, du moins à moitié puisque je n'ai jamais pris de cours pour peaufiner ma technique. Je crois que je n'aime pas qu'on me dise comment faire ; j'ai toujours agi en ne me fiant qu'à mon instinct, dans tous les domaines...

— En tout cas, il ne t'a pas menti : t'as un sacré talent, ton coup de crayon est sublime ! Tu travailles d'après de vrais modèles ? Je veux dire, des gars qui se désapent complètement devant toi ?

— Non, rassure-toi, je ne dessine qu'à partir de photos...

***

— Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, non ? rétorquai-je à sa pique, un brin amer. Alors, qu'est-ce que t'en penses de cette idée de week-end ?

— Je ne sais pas, faut voir. En attendant, emmène-moi dîner quelque part...

— Et quel genre de resto te ferait plaisir ?

— Italien.

Je finis mon verre et réglai l'addition avant que l'on se mette en quête de ce lieu que l'on convoitait pour se restaurer. Et nous poursuivîmes la soirée dans un cinéma de quartier devant un film d'art et d'essai auquel je ne compris pas grand-chose. Mais je m'en foutais, j'étais bien avec elle.

Et puis nous avons fait l'amour, à plusieurs reprises. En la regardant s'assoupir au petit matin, je me suis mis à envier le premier type qui avait eu le privilège de la déflorer. Était-ce cet illustrateur free-lance dont elle m'avait parlé ? Et si oui, avait-il été à la hauteur de ses attentes, l'avait-elle aimé ? Si tel avait été le cas, pourquoi s'étaient-ils quittés ?

Lorsque je m'éveillai vers les dix heures, elle était déjà partie. Elle m'avait juste laissé sur son coussin cet exquis parfum féminin qui m'enivrait à chaque fois que je m'abreuvais de ses charmes ; et un dessin de moi, nu et endormi, accompagné de ces quelques mots :

« Pour le week-end, la réponse est oui.

Laura »

***

III.

Le soleil d'hiver illuminait les rues de Madrid.

Madrid, pas les bords de mer. Parce que Laura détestait ça, la mer, parce qu'elle lui préférait les centre-villes bondés, les lieux culturels, le bruit de la foule, la vie.

La veille au soir, nous avions assisté à un spectacle de danse au Teatro Flamenco ; quelque chose d'aussi festif qu'intimiste. Puis nous étions rentrés en taxi à l'hôtel Puerta America ; nous y avions fait l'amour, à l'abri des regards dans notre chambre, jusqu'au bout de la nuit.

Madrid...

Alors qu'en ce début d'après-midi, nous arpentions main dans la main la Plaza Mayor, la sonnerie polyphonique de son smartphone interrompit notre promenade romantique. Laura jeta rapidement un oeil à l'écran tactile - appel entrant : Yanis - et s'empressa de décrocher en s'éloignant subitement de moi. Le coup de fil ne dura que quelques minutes, mais j'eus l'étrange impression qu'il n'en finissait pas de s'éterniser. Je n'entendais pas précisément ce qu'ils se disaient, seulement je jalousais cette complicité que je devinais derrière les sourires qu'elle lui destinait sans qu'il puisse les voir.

— C'était qui ? lui demandai-je d'un ton trop inquisiteur lorsqu'elle me rejoignit.

Elle feignit de ne pas entendre en saisissant ma main pour reprendre notre balade comme si de rien n'était, sans toutefois oser me regarder ou me parler de quoi que ce soit. Qui était-ce ? Un ami, un amant, un frère ? J'insistai.

— C'est qui, ce Yanis ?

— Quelqu'un...

— S'il te plaît, Laura, s'il y a un autre mec dans ta vie, j'ai le droit de savoir, non ?

— Je n'ai pas envie d'en parler, David... On est bien là, tous les deux, alors pourquoi vouloir tout gâcher ?

— Parce que je t'aime, Laura ! Je t'aime...

— Ce n'est pas toi, par hasard, qui ne voulais pas d'une relation sérieuse, qui refusais tout engagement ?

On se faisait face à présent, interrompus dans notre pérégrination par mon indiscrète requête. On ne se tenait plus la main...

— J'ai changé, Laura. C'est toi qui m'as changé...

— Ce n'est pas parce que nous passons du temps ensemble que je t'appartiens, David. Oui, il y a un autre homme dans ma vie, mais la relation que j'entretiens avec lui est platonique ; elle ne te regarde pas. Tout comme toi, j'ai un passé. Un passé qui compte mais qui n'a pas à interférer avec le présent, pas maintenant.

— Pourquoi pas ?

— Parce qu'on n'en est qu'au début de notre histoire, parce qu'il est encore trop tôt, parce que mes secrets pourraient aussi te faire fuir...

Laura conclut notre discussion en m'embrassant avec tendresse, sans détour. Et je restai comme un con avec mes questions, me demandant si notre amour pourrait survivre aux tabous qu'elle souhaitait délibérément taire.

Madrid, première lézarde de notre idylle. Yanis était là, en arrière-plan et refaisait régulièrement surface. Était-ce un ami, un amant, un frère ? Dans ma tête, une putain de ritournelle s'entêtait :

« Laura, Laura, lequel de nous deux l'aura ? /

Laura, Laura, Laura l'aura pas... » (1)

La partager pour mieux pouvoir la garder, tu parles d'un deal ! Mais si je ne cédais pas, je la perdrais encore plus assurément. Alors, je me résignai. Et le futur allait me donner raison.

***

— Yanis compte plus que tout à mes yeux, David. Parce que c'est l'homme de ma vie, parce qu'il est mon fils...

(1) : Paroles extraites de la chanson Laura, écrite, composée et interprétée par Guy Béart. Ce titre figure également sur la bande originale du film Pour Sacha (1991), réalisé par Alexandre Arcady.

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