Les amants

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— Vous semblez hésiter, Hélène. Qu'est-ce qui vous gêne ?

— Je... Je ne sais pas, cette impression de violer l'intimité d'Adam en le dessinant ainsi.

Le modèle dénudé esquissa un sourire tout en gardant la pose.

— Adam a suffisamment de métier pour ne pas s'embarrasser de cette fausse pudibonderie que voudraient imposer les bien-pensants alors que dans le même temps, ils acceptent qu'on expose la vulgarité à tous les coins de rue, y compris à la vue de leurs propres enfants. Le nu, quand il est sublimé par l'art, n'a rien de pornographique. C'est la célébration du beau, la perfection d'un corps.

Safran aimait à disserter, sur l'art et toutes les représentations erronées que la société s'en fait. Et chaque fois qu'il accueillait une nouvelle élève au sein de son cours, il s'empressait de briser les carcans qu'une éducation classique, trop prude, avait érigés.

Les joues d'Hélène rosissaient à mesure qu'elle crayonnait ce que d'ordinaire on ne montre pas. Ce qui amusait le maître.

— Pourquoi tremblez-vous, Hélène ? Est-ce un crime de ressentir une émotion quand on dessine la nudité d'un homme ? Voyez comme vos camarades du jour s'en affranchissent ! Et pourtant, elles n'ont guère plus d'expérience en la matière que vous.

Safran l'observait, la conseillait tout en guidant sa main parfois, d'un geste presque naturel. Alors elle se laissait faire, s'abandonnait petit à petit à cette discipline graphique qu'elle appréhendait avec tant d'humilité. Elle ne devina pas le regard qui se posait sur sa silhouette si fine, si délicate, elle ne pouvait pas le deviner.

Il y avait la concentration, l'innocence d'une jeune femme qui ne s'était encore jamais donnée à aucun mâle.

Et il y avait le maître, Safran. Safran qui leva soudainement la séance, brutalement, ramenant Hélène à une réalité qu'elle était à nouveau en mesure de contrôler.

— Merci Mesdemoiselles, rendez-vous la semaine prochaine pour poursuivre vos dessins. Adam, vous pouvez vous rhabiller.

Le ton était sec, moins doucereux. Habité de colère peut-être.

Hélène et les autres élèves rangèrent avec application et rigueur leurs affaires, mais la timide donzelle ne put s'empêcher de suivre des yeux le modèle en train de se vêtir.

Après moult hésitations, elle osa enfin l'aborder.

— Ça... Ça ne vous dérange pas de... De poser nu devant des filles ?

Adam sourit en boutonnant son jean, charmeur.

— Non. Pourquoi ça me dérangerait ?

— Si j'étais à votre place, moi ça me dérangerait…

— Si vous avez le temps d'aller boire un verre, je pourrai vous expliquer pourquoi ce qui vous paraît inconcevable est tout à fait naturel pour moi.

— Non, je... Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, esquiva-t-elle, troublée.

— Vous avez quoi, dix-huit, dix-neuf ans ? Et une éducation catholique très stricte qui vous a appris à vous méfier des hommes, qui vous a peut-être même enseigné que le sexe était sale, immoral... déduisit l'éphèbe en avisant la croix qu'elle portait autour de son cou.

— Et ce n'est pas le cas ?

En guise de réponse, Adam prit la main d'Hélène dans la sienne pour la poser sur son torse, musclé et imberbe. Côté cœur. Tout en louchant sur son léger décolleté pigeonnant.

— Pas s'il est l'expression de l'amour…

Safran observait de loin la scène, courroucé.

Hélène hésita avant de retirer sa main en psalmodiant presque quelques paroles à peine audibles :

— Non bien sûr... Si... Si c'est de l'amour, c'est différent…

Les deux jeunes gens se quittèrent sans aller plus avant, le regard aimanté l'un à l'autre.

Plus tard, Adam rejoignit Safran dans son antre. Boudeur, ce dernier retira promptement la main qui venait de se poser sur son épaule. Et puis, des pardons que l'on souffle ou que l'on supplie ; et puis des baisers que l'on se donne, comme deux amants épris l'un de l'autre sans doute. Et puis, l'amour que l'on se fait aussi, celui que l'on recolle sur l'oreiller. Comme une urgence physique.

Plus tard encore, lovés l'un contre l'autre, Safran demanda à son apollon :

— Tu l'aimes ? Tu aimes cette Hélène, n'est-ce pas ?

— C'est encore trop tôt pour le dire, mais si tu veux savoir si elle m'attire, si je la désire, la réponse est oui. Ne me dis pas que tu en es jaloux ?

— Si.

— Alors pourquoi l'as-tu acceptée à ton cours ?

— Parce que c'est la seule façon, ma seule façon de te garder... Et parce que tu te lasseras d'elle, comme t'es lassé de toutes les autres.

— Ça, Safran, tu ne peux pas le savoir ! L'amour, ça va, ça vient. Et parfois ça reste, ça nous colle à la peau et ça ne s'en va pas. C'est comme ça…

— Moi je le sais, Adam ! Je le sais parce que... C'est moi qui les console. Oui, c'est moi, toujours. Quand tu finis par les jeter après les avoir baisées et qu’elles en crèvent de chagrin. Quand tu me reviens enfin…

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