Entrelacs 1 (version Aymeric)

4 minutes de lecture

« Si tu crois un jour que tu m'aimes /

Et si ce jour-là tu as de la peine /

A trouver où tous ces chemins te mènent /

Viens me retrouver... »

Message personnel

Paroles : Michel Berger / Françoise Hardy

Musique : Michel Berger

Interprète : Françoise Hardy

New-York, été 1998

La scène d’un théâtre de Broadway. Je suis au piano pour accompagner les prestations qui s’enchaînent. Je ne vois pas les candidates au casting. L’adaptation anglaise d’une célèbre comédie musicale francophone. Un opéra-rock dénommé Starmania, rebaptisé Tycoon pour l’occasion.

On auditionne pour le rôle de Marie-Jeanne. C’est la dernière fille de l’après-midi. Sa voix s’élève et me fait frémir. Les doigts sur le clavier, j’entame la partie musicale après l’intro a cappella. The world is stone. Elle me touche. D’autres s’envolent plus haut qu’elle mais elle me touche. Profondément. J’aimerais me retourner, j’aimerais la voir. Sa prestation est terminée, elle ne sera pas retenue. Elle est sortie du théâtre, je m’élance à sa suite, son foulard à la main, celui qu’elle a oublié sur un strapontin. Un prétexte pour la rattraper. Pour la voir. Je cours dans la rue, l’appelle. Son accent était français alors je l’interpelle dans sa langue, vu que je le suis aussi.

— Mademoiselle ! Oh, Mademoiselle, attendez ! Vous avez oublié votre étole...

Une jeune femme se retourne, je fends la foule pour la rejoindre, me noie dans ses yeux. Elle aussi je crois. Le temps semble suspendre son vol, comme dans les films. Elle est blonde, comme dans mes rêves les plus fous. Le regard émeraude, la peau laiteuse et les lèvres framboise. Élégante, élancée aussi, si belle dans la lumière du jour. Un jean slim déchiré, un tee-shirt parisien, des baskets en toile blanche, un sac à dos léger, girly. Un port de tête et une silhouette à tomber.

Le « merci » très aérien qu’elle me murmure me confirme ce que je sais déjà. Mon cœur bat la chamade, c’est la première fois. La première fois qu’une rencontre, un regard, un sourire évanescent me font cet effet-là. Et si c’était ça l’amour, la flèche de cupidon qui me foudroie sur le macadam brûlant de cet improbable trottoir ? Je ne veux pas que la magie se brise, que son parfum s’évente. Alors je tente quelque chose, pour la retenir, un peu. Un peu…

— Vous savez, vous n'avez pas démérité tout à l'heure...

Une entrée en matière un brin commune, à laquelle elle répond pourtant. S’ensuivra un verre qu’elle déclinera néanmoins, et puis une proposition encore plus folle, plus enhardie : un déjeuner sur Central Park le lendemain. Le lendemain…

***

Peut-être le meilleur sandwich que j’aie jamais dégusté. Peut-être parce qu’elle est là, avec moi. Et que l’on se tutoie des doigts.

— Ça fait longtemps que tu vis ici ? m'interroge-t-elle.

— Un peu plus d’un an. J’ai quitté la France sur un coup de tête. Je pensais que je percerais plus facilement ailleurs. Alors après Paris et Londres, j’ai choisi New-York…

— Et ça a marché ?

— Plus ou moins. J’ai enregistré une maquette de cinq titres : trois adaptations anglaises de chansons francophones, et deux morceaux de ma composition. Un producteur m’a même signé pour un CD. Mais les ventes n’ont pas décollé.

— C’est dommage. J’aime beaucoup ta façon de jouer. Tu as un style qui t’est propre, une musicalité de virtuose. Je t’ai reconnu dès les premières notes, au théâtre. Je savais que c’était toi.

— Tu avais déjà entendu ma musique ? m’étonné-je, incrédule.

— Oui, hier soir, au Danny’s.

— C’est mon plus grand fan club, plaisanté-je. Plus sérieusement, je m’éclate à fond là-bas. J’ai carte blanche cinq nuits par semaine, pour une durée d’environ deux heures. C’est mon espace de liberté.

—Et le jour, tu fais quoi ?

— Je m’essaie à la composition, je bosse de-ci de-là pour pouvoir me payer quelques extras. Je squatte un petit hangar tout près des docks. C’est un peu spartiate, mais je m’y sens bien. Ouais, je me sens bien ici. Au grand dam de ma mère, qui souhaiterait plus que tout au monde me voir revenir au pays. Mais bon, moi je ne regrette pas du tout Villeurbanne. Et toi, tu es sur New-York depuis longtemps ?

— Deux semaines à peine. Mais je ne suis pas vraiment chanteuse. J’ai poussé la porte des auditions par défi, un peu par hasard.

— Et tu vis où ? A Brooklyn ?

— Non, en banlieue parisienne. Neuilly, tu connais ?

— Juste de nom… Mais du coup, tu repars quand ?

— En toute fin d’après-midi. Juste le temps de récupérer mes valises…

Un silence. Ma déception doit se lire sur mon visage, alors elle le caresse doucement.

— T’es déçu ?

— Un peu ouais… C’est toujours con la vie. On aurait pu se rencontrer deux semaines plus tôt, passer plus de temps ensemble. J’aurais même pu te refiler des tuyaux pour réussir ton audition…

— Si tu viens sur Paris un de ces quatre, tu m’appelles et je m’arrange pour t’héberger quelques jours…

— Allez, on n’a qu’à faire ça ! ironisé-je sans trop y croire.

On discute encore. Mais pas assez pour la retenir. Elle tient à ne pas rater son vol.

Un taxi, un crochet par l’auberge de jeunesse où elle crèche, l’aéroport Kennedy, la salle d’embarquement.

— T’inquiète, Noël, c’est pas si loin ! Ça me laisse juste assez de temps pour convaincre ma mère…

— A tout à l’heure alors…

Elle sourit, m’embrasse sur la joue, et m’abandonne là, comme un imbécile. Je la regarde longtemps ; elle se retourne, m’adresse un petit signe de la main ; je lui envoie un baiser en réponse. Je lis sur ses lèvres cette illusoire promesse - « à tout à l’heure » -, et acquiesce d’un mouvement de tête avant qu’elle ne disparaisse de ma vue.

— A tout à l’heure ! me répété-je.

Soudain, je cours d’un terminal à l’autre, consulte fiévreusement les tableaux à affichage variable de la salle des pas perdus, et puis un flash !

— Yes !!

Un Concorde décolle d’ici deux heures pour Roissy. Avec un peu de chance, j’aurai même le temps de lui offrir un bouquet de fleurs pour l’accueillir à la descente de son avion. Allez, banco !

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