Ma rivale, sa Lady Blue

2 minutes de lecture

« Oh my baby, I love you /

My Lady Blue… »

My Lady Blue

chanson générique du film Le Grand Bleu (1988),

composée et interprétée par Eric Serra

— Tu m’emmèneras jamais voir la mer ?

Johanna fit non de la tête, le regard absent.

— C’est à cause de lui, c’est ça ? A cause de papa ?

Elle opina du chef.

— Bon sang, qu’est-ce qu’il a bien pu te faire pour que tu ne puisses plus voir son bleu en peinture ? Vas-y, m’man, parle-moi de cet enfoiré !

Subitement, la mère se mit à fixer son fils sans ciller.

— Ton père n’était pas un enfoiré...

— Mon œil, ouais ! C’est lui qui t’a quittée, pas l’inverse !

L’évocation de son amour perdu la rendait nostalgique, mais elle se devait à présent de briser plus de seize ans de silence. Une déchirure que lui avait imposé la mer, ce bleu qui drapait encore sa plus grande rivale. Elle se souvenait surtout du noir de leur dernière nuit. Ce noir qui avait tout englouti.

***

— Jacques, qu'est-ce que tu fais ?

— Il faut que j'aille voir...

— Voir quoi ? Il n'y a rien à voir, Jacques, c'est noir et froid, rien d'autre ! Y'a personne. Et moi je suis là, je suis vivante, et j'existe !

— ...

— Jacques, I love you…

Deux mains qui se cherchent, se rejoignent. Et parce qu’elle n’a pas d’autre choix, Johanna le laissera partir.

— Go. Go and see my love… (1)

***

— Jacques n’était pas d’ici, reprit-elle. C’est à elle qu’il s’adonnait, toujours, même si elle l’avait déjà tant blessé. On était ensemble et j’ai essayé de le rendre heureux, seulement je ne pouvais pas lutter contre elle. Sa Lady Blue. La mer enrubannée de bleu océan. Être enceinte de toi n’a pas suffi à le retenir. C’est à la surface qu’il vivait en apnée, il n’y a que dans ses profondeurs qu’il était bien. Alors s’il te plaît, ne lui en veux pas de m’avoir procuré mes plus grandes joies et ma plus grande peine. C’est pour lui que je t’ai voulu toi. C’est en toi qu’il continue de vivre...

Ému aux larmes par la sincérité de la confession de sa mère, Jack ne put s’empêcher de l’étreindre. Il la comprenait enfin ; il comprenait enfin cet amour qui l’avait poussée à accepter son père tel qu’il était, sa passion océane, son égoïsme, et il pardonnait à Johanna de s’être tu si longtemps. Pourtant, la fascination de Jacques pour la mer restait encore pour lui un mystère. Faire la paix et accorder son pardon à ce père-fantôme lui prendrait sans doute du temps, toute une vie peut-être… Une vie entière pour pardonner à cet homme, à cet inconnu, ce père anonyme, de s’en être allé avant même qu’il ne naisse, qu’il respire. Une racine morte à exhumer pour se construire, et devenir homme à son tour. Un jour.

(1) : Ce passage en est extrait de la fin du Grand Bleu, long métrage réalisé par Luc Besson et dont je me suis inspiré ici.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0