Cancale

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Cancale… J’y allais tout le temps quand j’étais gamine.

Je me souviens encore de l’odeur des embruns qui nous fouettaient le visage quand je ramassais des coquillages à marée basse, avec Jules et Jim. Ceux qu’on collectionnait toujours tous les trois, parfois jusque fin août, mais qu’on ne ramenait jamais sur Paris, qu’on ne montrait jamais aux copains d’école début septembre. Il n’y avait que Jules et Jim qui savaient. Et papy, mamie, tatie Violette et tonton Jean. Pas mes parents. Non, eux ils s’en foutaient…

Cancale… C’était les vacances tout l’été dans la bicoque familiale, c’était les fous rires et les châteaux de sable qu’on construisait sur la plage, les ventes à la criée sur le port, celles qu’on imitait tellement on s’y croyait.

Cancale, c’était les portes qui claquaient surtout, celles que je ne devais jamais ouvrir pour ne pas voir papa-maman qui se déchiraient déjà. Je les voyais pas trop non, les gifles qui partent ou les lampes qu’on brise. Mais j’entendais tout…

De temps à autre, mes grands-parents m’éloignaient pour fermer mes oreilles et mes yeux, m’emmenaient visiter Saint-Malo et bouffer des crêpes en attendant que l’orage passe. Sauf que le crachin n’était jamais bien loin. Et qu’à ma rentrée de CM2, mes vieux divorceraient.

Je n’ai rien gardé de Cancale, à peine quelques coquillages ensablés que j’avais fourrés dans mes poches à leur insu, pour me souvenir. Rien de cette grande baraque emmurée de leurs cris. Mais depuis lors, j’ai déverrouillé les portes de ma mémoire pour en faire un open-space en pleine montagne, en plein cœur de Saint-Gervais. Occultés par cet inconscient qui s’obstine à taire la plus insidieuse des douleurs enfouies en moi, j’avais jusqu’alors mis un mouchoir sur la partie la plus sombre de ces souvenirs qui me font si mal ; je ne m’autorisais à me remémorer que les plus belles images et les plus inoubliables fous rires, jamais les insultes ni les larmes… La nostalgie des jolies choses en somme, pas de ce qui casse et détruit. Je leur en veux pour ça, à mes parents : avoir sali mon innocence et mon insouciance de gosse, les avoir souillés de la violence de leurs invectives. Le trauma est profond, seulement désormais, je veux la regarder en face, la noirceur de mon enfance, l’affronter pour ne plus être dans ce déni qui me mine malgré tout. Pour consoler cette petite fille qui pleure en moi, en cachette depuis vingt ans, et refuse de me laisser grandir. Pour avancer, reprendre goût à la mer, à la vie, et revenir peut-être un jour à Cancale… Apaisée et libérée de ce carcan qui m’enferre encore et encore, et m’empêche de m’épanouir. Oui, demain peut-être serais-je une femme libre, enfin !

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