La chambre des souvenirs

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Avant même de pénétrer dans la pièce, c'est le parfum de mon enfance, de mon adolescence qui me rattrape et me fait l'effet d'une madeleine de Proust. La lavande. Je me souviens que ma mère en disséminait des sachets un peu partout dans les placards. Ses effluves subsistent encore dans le couloir conduisant aux chambres de l'étage.

Le contact avec la poignée en porcelaine blanche me file des frissons, le grincement caractéristique de la porte patinée sur ses gonds me ramène des années en arrière : personne ne pouvait y entrer sans que je m'en aperçoive.

Le gris-bleu de l'épaisse moquette a vieilli, mais rien n'a vraiment changé depuis que je suis partie d'ici, il y a plus de vingt ans. Mon lit double de princesse romantique trône toujours au beau milieu de cet espace surchargé, là où je cachais mes rêves de demoiselle derrière de transparents voilages baldaquins. Là où j'ai fait l'amour pour la première fois. Avec Julien, nous n'avions pas seize ans.

Sa photo s'encadre encore sur la table de nuit immaculée ; je m'en saisis, caresse son visage du bout de mes doigts, la serre tout contre moi. Une vague nostalgique me submerge et cueille une larme qui ne demandait qu'à couler le long de ma joue. Julien... Il ne verra jamais mes dix-sept, dix-huit ans. Ni les anniversaires suivants.

Je repose le cadre et me raccroche à des souvenirs plus gais : je zieute la psyché métallique devant laquelle j'étudiais savamment mon look pour plaire aux garçons ; je revois les séances de maquillage et de coiffures improbables avec Candice, les chorés improvisées sur les tubes de mes idoles encore scotchées aux murs, en partie pour masquer l'affreuse tapisserie à fleurs... Je ne peux m'empêcher de sourire en appuyant sur la touche on-off de mon antique chaîne Pioneer qui traîne encore sur l'étagère blanchâtre, mais aucun son ne sort de ses enceintes. J'espérais quoi ? Que la voix des Worlds Apart résonne à nouveau dans ma chambre comme au bon vieux temps, comme à l'époque où je m'égosillais sur leur reprise de Je te donne, une brosse à cheveux en guise de micro à la main ?

Je parcours le modeste univers de mes jeunes années, m'attarde près du bureau terni, maculé d'auto-collants girly. J'y ai fait mes devoirs, écrit les plus belles de mes lettres - toutes destinées à Julien -, griffonné les pages d'un journal intime dont je verrouillais les secrets. Peut-être est-il encore là, dans le premier tiroir... Je n'ose pas l'ouvrir, comme je n'ose pas ouvrir les lourds rideaux opaques qui occultent la fenêtre. Il faut que je redescende. Les autres m'attendent pour enterrer ma mère. Candice n'a même pas pu entrer dans la maison. Je crois qu'elle aurait craqué si elle s'était adonnée comme moi à un tel pèlerinage. Je crois qu'elle n'a ni la force ni la volonté de se replonger dans tout ce qu'on a vécu ici, gamines. Avec maman...

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