Impression cinématographique et littéraire : Pagnol et moi

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« Quand le rideau se lève, la question est : baiseront-ils ? S'ils baisent, c'est une comédie ; s'ils ne baisent pas, c'est un drame. »

Marcel Pagnol

Tout commença en 1986, avec un film que je n'avais absolument pas envisagé d'aller voir, tant du haut de mes treize piges - enfin, c'est beaucoup dire puisque j'étais assez petit pour mon âge -, il ne me disait rien : Jean de Florette.

Mais à la faveur d'un concours organisé par la radio locale, je gagnai deux places de cinéma pour ce long métrage - exploit que je ne rééditerai que plus de vingt-cinq ans plus tard pour Cars 2 en 3D -, places que j'offris bien entendu à mon père et ma belle-mère, étant donné mon intérêt pour ledit film de prime abord. Très enthousiastes, ils me proposèrent de venir avec eux. Mis à part Depardieu, que j'avais adoré dans Les Compères deux ans plus tôt, la distribution ne me parlait pas vraiment non plus - alors qu'aujourd'hui, j'apprécie davantage les talents de comédien du grand Yves Montand ou de Daniel Auteuil. Néanmoins, je me laissai convaincre et embarquer au ciné.

Et là, je fus littéralement transporté, subjugué de bout en bout, tant par la beauté des images, la qualité de l'intrigue et du scénario que par le jeu des acteurs, les dialogues, la BO... Il faut dire aussi que Claude Berri était plutôt doué pour les adaptations - on lui devra plus tard Germinal et Ensemble, c'est tout -, mais l'exploit de m'avoir captivé d'après une oeuvre de Marcel Pagnol est quand même une sacrée gageure parce que d'une part, Depardieu apparaît assez tardivement dans le film, et d'autre part parce que je gardais un très mauvais souvenir de La Gloire de Mon Père - également adapté au cinéma bien plus tard. En effet, j'avais proprement détesté ce récit autobiographique sur l'enfance de son auteur, qui n'avait pas du tout parlé au préado que j'étais.

Au final, j'ai tellement adhéré à ce long métrage que j'ai bien évidemment été voir la suite : Manon des Sources. Petite anecdote en passant, ce diptyque me tient particulièrement à cœur parce que les œillets présents à l'écran ne sont pas de vraies fleurs mais des fleurs artificielles créées par la société Fristot, basée à Bourg-en-Bresse, et dans laquelle travaillait à l'époque ma marraine. Elle a donc collaboré, à son échelle, à ces deux longs métrages...

Bref, toujours est-il qu'après avoir apprécié l’Œuvre de Pagnol en salle obscure, je brûlais d'envie de la lire. Ce sera chose faite deux ans plus tard, grâce à une amie qui me prêta une superbe édition, reliée de cuir rouge et à la tranche dorée à l'or fin, de L'eau des collines, qui rassemblait les deux histoires en un seul volume. Et on a beau dire, mais lire une édition presque luxueuse, c'est quand même autre chose que de lire le même roman en poche ! Je crois que ça a contribué également à faire de cette expérience de lecture quelque chose de mémorable, même des années après. Vous pensez bien que j'en prenais grand soin de ce livre, non seulement parce qu'il ne m'appartenait pas, mais aussi parce que je le ressentais comme quelque chose de précieux qu'il ne fallait surtout pas abîmer.

Je l'emmenais partout avec moi et en lisais quelques pages dès que j'avais un peu de temps libre. Je me plongeais avidement dans ce récit, dans cette intrigue que je connaissais pourtant déjà mais dont je me délectais avec un plaisir incommensurable. L'adaptation de Berri étant plutôt très fidèle au bouquin, du moins dans mes souvenirs, celui-ci me permettait de revivre toutes les émotions que m'avaient procurées les deux films à une époque où le magnétoscope n'avait pas encore investi la maison familiale - et comme nous n'avions pas non plus Canal Plus et que le streaming vidéo n'existait pas, il fallait attendre de très longues années avant qu'un film qu'on avait apprécié sur grand écran ne débarque sur le petit. Avec une vision très précise et conforme à ce que j'en avais vu au cinéma, notamment concernant les personnages que sont Le Papet, Ugolin, Jean de Florette et Manon - Ah, Manon en larmes, ça m'a toujours fait quelque chose ! J'avais même l'accent provençal qui chantait dans ma tête en lisant les dialogues.

***

— Galinette, attention ! Il faut pas faire confiance aux bossus ! Ils sont toujours plus malins que nous ! [...] Et qu'est-ce qu'il veut planter ?

— Des légumes, de la vigne, du blé, et surtout, il dit qu'il va cultiver des lotantiques ! Des lotantiques partout ! Qu'est-ce que c'est ?

— Ça doit être une plante qui pousse dans les livres... Je vois ça d'ici.

***

Je me souviens avoir souri en voyant écrit « Lotantiques » ainsi. Dans le film, cette réplique est présente, mais aussi bien interprétée soit-elle, on n'imagine pas du tout qu'elle soit écrite ainsi dans le bouquin...

***

— Monsieur, j'ai l'honneur de vous informer que l'Administration vous emmerde.

***

— Manon ! J'ai pas osé te le dire de près, mais j'en suis malade ! Ça m'étouffe ! Et il y a longtemps que ça m'a pris ! C'était aux Refresquières, après le gros orage ! Je m'étais caché pour les perdreaux... Je t'ai vue quand tu te baignais dans les flaques de la pluie... Je t'ai regardée longtemps tu étais belle. J'ai eu peur de faire un crime !

***

Ah, cette scène ! Mes premiers émois cinématographiques sur Emmanuelle Béart nue lorsqu'elle incarne Manon dansant dans les collines et jouant de l'harmonica, sous le regard ébahi d'Ugolin-Auteuil !

***

C'est étrange que le souvenir de cette lecture soit encore si vivace plus de trente ans plus tard, intimement lié bien sûr aux deux longs métrages que je me suis procuré depuis en DVD, en édition collector remasterisée of course, que je regarde parfois de nouveau avec ma fille, avec le même plaisir.

Je me souviens d'un voyage scolaire en car au cours duquel je ne lâchais pas mon précieux livre. Et de combien il me fut difficile de le rendre à sa propriétaire, de m'en séparer.

Ce n'est que bien plus tard que j'apprendrai que l'intrigue originelle a d'abord été un film - ce qui est rare, vu que d'ordinaire c'est plutôt le contraire : Manon des Sources, réalisé en 1952 par Marcel Pagnol, avant qu'il ne la développe et ne crée cette première partie qu'est Jean de Florette, celle qui donne véritablement tout son sens à la vengeance d'une Manon devenue femme, blessée par la cupidité et la méchanceté du Papet et d'Ugolin dans son enfance. Le roman L'Eau des Collines - un diptyque donc - ne parut que neuf ans plus tard.

Aujourd'hui, il semble plus ardu de se procurer ce diptyque en un seul volume - et pas dans une édition aussi exclusive que celle que j'ai lue -, ce qui ne fait que renforcer mon sentiment d'avoir eu le privilège de tenir entre mes mains une œuvre rare et précieuse.

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