1990-2010 : Esther & Chris, du consentement... (polyptyque)

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Prologue

Faire l’amour ou baiser ?

Posée comme ça, hors contexte, la question, abrupte, peut sembler triviale.

Et en un sens, elle l'est.

Mais très révélatrice des interrogations qui se bousculent dans la tête d'un ado.

A dix-sept ans, j'étais de ceux-là.

De ces mecs qui se fantasment une love-story en mode romantique et fleur bleue d'un côté, et de ceux que les hormones travaillent continuellement, s'imaginant au pieu aussi performant et endurant que les meilleurs hardeurs besognant sans jamais mollir leurs partenaires féminines pour les besoins d’alléchantes vidéos classées X.

Et de fait, se persuadant être capable de faire grimper aux rideaux la moindre donzelle estampillée « fille facile » ou ascendante porn-star d'une simple œillade.

Sauf que ma réalité était toute autre…

J'étais le gars gentil, confident ou meilleur ami.

Pas le bad boy sexy.

Et le gars gentil, parfois, il rêvait d'autre chose.

Oh, j'avais bien déjà eu quelque petite expérience, un brin déroutante et pas du tout conforme à ce que je me projetais dans ma tête, avec une première fois plus proche de la baise que de l'amour.

J'avais même remis le couvert avec d'autres meufs, par intermittence.

Mais, je jalousais les autres : mes amies qui avaient déjà trouvé l'amour, le vrai, celui des contes de fée - en un peu plus torride -; mes potes, Dom Juan séducteurs qui enchaînaient les favorites et les parties de jambes en l'air comme d'autres les dribbles sur un stade de foot.

Non, chez moi, ça restait indubitablement « moyen » partout.

Alors quand l'occasion trop belle de « baiser une fille facile » se présenta, je me suis brièvement dit qu'il ne fallait pas y réfléchir à deux fois.

Ce fut pourtant ce que je fis...

***

I.

Nous étions quatre copains, quatre camarades de jeu.

Trois keums et une meuf, assez proches en termes d'âge, même si j'étais le plus jeune.

Nos parents étaient amis, alors par la force des choses, nous nous côtoyions souvent.

C'est avec elle que je m'entendais le mieux : Esther.

Parce que d'une manière générale, je me suis toujours davantage entendu avec les filles.

Avec les mecs, j'avais plus de mal.

Je les trouvais trop primaires, à la fois vulgaires et graveleux.

Trop éloignés de moi.

Je n'ai jamais été branché blagues de cul.

Je n'ai jamais été très friand de trucs bien salaces.

Bien sûr, je matais des magazines pornos en cachette, qui ne l'a jamais fait ?

Mais c'était un jardin secret que je ne partageais avec personne.

En vrai, je m'inventais une réalité plus « idéale », une romance plus pure, moins « papier glacé et seins dénudés ».

Oui, je rêvais de partages et d'échanges, et pas seulement charnels…

Esther se confiait beaucoup à moi, même pour les choses les plus intimes.

Je savais tout d'elle.

Je savais qu'elle était sortie avec Steve, que leur relation avait été très « hot », et qu'il l'avait quittée parce qu'il était volage et n'aimait pas se sentir pieds et poings liés avec une fille.

Je savais qu'elle en pinçait encore pour lui, que ça ne dépendait que de lui.

Qu'elle s'offrirait encore à lui à n'importe quel prix.

Parce qu'elle l'avait dans la peau, qu'il était beau comme un Dieu.

Et qu'il la baisait comme personne, sans doute…

Avec Stan, c'était différent.

Il était canon, certes, dans un autre genre, mais elle accrochait moins avec lui, elle n'était pas amoureuse.

C'était un pote, c'est tout.

Un pote un peu spécial, qui lui imposait des fellations qu'elle ne refusait pas.

Et moi, je lui demandais naïvement pourquoi elle acceptait s'il la « forçait ».

Et elle, elle me répondait qu'elle ne se voyait pas l'envoyer valser.

Mais peut-être en avait-elle peur.

Peut-être savait-elle qu'il pouvait être violent si elle ne s'exécutait pas.

Je ne les comprenais pas.

Je ne la comprenais pas.

C'est sûr, Ester était belle, grande et blonde.

Plus grande que moi, avec des jambes interminables.

Elle était bandante, oui, seulement, je ne la désirais pas.

Enfin, pas jusqu'alors...

Parce qu’elle n'était pas mon genre de meuf, que je ne m'étais jamais projeté avec elle.

Et elle, elle se confiait à moi parce qu'elle m'aimait bien et que je ne l'attirais pas.

Parce qu'elle avait confiance et n'avait pas peur de moi.

Qu'elle savait que j'étais un « type bien » et qu'elle n'était branchée que « mauvais garçons ».

Sauf qu’être un « type bien », ça tient à trois fois rien, parfois...

Sauf que ce « type bien » faillit réellement basculer un jour de l'autre côté.

Du côté des bad boys, des types qui imposent.

Comme Stan...

***

II.

C'était un après-midi d'automne.

Nos parents étaient sortis, et nous étions tous les quatre chez Esther.

On discutait, on se marrait en écoutant de la musique.

La maison était vaste et les chamailleries « pour de faux » se muèrent progressivement en délire.

On courait dans tous les sens, à la poursuite d'Esther, mais les innocentes chatouilles esquissées ne l'étaient pas.

Je ne le réalisais pas ; pour moi, ce n'était rien de plus que des gamineries aussi adolescentes que potaches.

Mais j'étais le plus ado et le moins expérimenté de tous : le seul mineur de la maisonnée à s’immiscer presque inconsciemment dans un jeu pour adultes dont il ignorait les règles.

Un jeu de domination et soumission dans lequel la question du consentement n’avait pas sa place…

La véranda, le salon, la cuisine, le couloir.

Et la chambre.

Esther se retrouvait coincée sur le lit, les mains et le haut du corps entravés par Stan et Steve.

Prisonnière, à demi-débraillée, le chemisier entrouvert sur son affriolante poitrine.

Son « non » était encore rieur, alors que nous quittions progressivement l’innocence de jeux puérils sans conséquences.

Et elle se débattait, avec une vivacité grandissante, prenant peu à peu conscience de ce vers quoi nous glissions.

Elle n'avait plus de futal, et la culotte baissée.

La vue de son triangle d'or, d’un érotisme sans nom, nous rendit-elle alors complètement fous ?

Peut-être...

Peut-être était-ce le cas pour moi.

— Vas-y, Chris, baise-la ! Cette bombasse demande que ça, se faire fourrer par une bonne teub...

Je ne pensais pas à mal, ce n'était qu'un jeu.

Un jeu qui s’orientait bizarrement vers quelque chose de très sexuel, mais un jeu.

Un shoot d’adrénaline : l'occasion était trop belle.

Elle ne se représenterait sûrement jamais.

Une superbe nana, les cuisses grandes ouvertes...

Excitante à souhait, offerte !

Contrainte ?

Non, c'est un jeu.

Parce qu’elle le veut autant que nous, non ?

Elle a déjà couché avec eux après tout, elle sait qu'ils sont comme ça.

Toi aussi ?

— Putain, mais vas-y, Chris ! Qu'est-ce que t'attends pour la niquer, cette salope ?

Elle avait peut-être déjà dit « non ».

Un « non » étouffé par une main.

A moins que ce ne soit son corps qui ait dit « non », je ne sais pas.

Je ne m’en souviens pas...

Ce dont je me souviens, c’est que j'avais grave envie d'elle en tout cas ; quel homme normalement constitué n’aurait pas eu ce genre de désir en pareil situation ?

Un désir obsédant qui commençait à déformer le haut de mon fut ; un désir lancinant, obscène.

Je ne suis pas de bois, seulement j'hésitais ; je n'avais jamais baisé comme ça.

Et puis, un son plus fort qui fracassa mes tympans.

Ce n'était ni la voix de Stan, ni celle de Steve.

Esther.

— Non, Chris ! S'il te plaît, non !

Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas percuté pas de suite.

Pourquoi je réfléchissais encore, deux secondes qui me paraissaient deux minutes ou deux heures.

Que serai-je à leurs yeux si je me dérobe, si je ne joue pas le jeu jusqu’au bout ?

Certainement pas un homme !

Mais elle avait dit « non », distinctement.

Elle m'avait sorti du jeu, ramené à la réalité.

M'empêcha de commettre l'irréparable.

Je ne suis pas un homme si je ne la baise pas ; seulement, quel homme deviendrais-je si je la forçais ?

Violais ?

Le mot est fort, tellement fort qu'il me terrifia.

Je ne suis pas comme ça.

Je ne peux pas, ne veux pas lui faire ça.

Non, Esther est mon amie, je ne peux pas abuser d'elle...

Je ne veux abuser de personne, ne veux violer personne !

J’ai finalement renoncé à déboutonner mon jean et les ai abandonnés là, dans cette chambre que j’ai quittée sans un mot.

Mon départ a stoppé net notre folie collective : ils ne lui firent rien d’autre.

Ils ne me traitèrent pas non plus de « petite bite ».

Nous n'en avons plus jamais reparlé, comme si tout ce qui s’était passé cet après-midi-là était devenu tabou.

Aujourd’hui, il ne subsiste qu'un regret : celui de ne pas avoir demandé pardon à cette jeune femme, à mon amie d’alors.

Pardon Esther…

***

III.

J'ai dix-huit ans.

Steve et Stan ne font plus partie du paysage, ils ont migré vers d'autres cieux.

Mais je vois toujours Esther.

Demain, avec une bande de copains, nous partirons en vacances ensemble.

Aux aurores.

Alors, nous passons tous la nuit dans l'appartement de l'un d'entre eux.

Les couchages sont comptés, et ils sont déjà tous en couple.

Sauf Esther et moi.

Un même lit pour deux, elle n'y voit pas d'inconvénient.

Elle me fait pleinement confiance : je suis un « type bien ».

De mon côté, je suis un peu gêné : ce n'est jamais anodin de partager le lit d'une fille...

Esther me rassure, et prend même la chose à la légère : « Il ne se passera rien ! semble-t-elle clamer aux plus sceptiques. »

Pourtant, je l'ai déjà vue dénudée…

Je suis en caleçon, elle en nuisette.

Nous discutons longuement de choses et d'autres, et je veille à rester bien sagement de mon côté de notre couche commune.

Je ne veux pas qu'elle puisse se douter du désir qu'elle suscite en moi sans le vouloir.

Du moins, le crois-je...

Et puis, elle se rapproche de moi, plante ses yeux dans les miens sans rien dire.

Je crois comprendre quelque chose, mais je crains de surinterpréter son attitude.

Je n'ai jamais été vraiment sûr de moi, en particulier avec les filles.

Alors, j'ai besoin qu'elle le verbalise.

Qu'elle verbalise son intention à mon égard.

Elle m'embrasse à la commissure des lèvres, sa main s'égarant sur mon entrejambe, qui s’endurcit sous sa caresse.

Ma surprise est totale ; je me recule un peu, un brin hébété.

— A quoi tu joues, Esther ?

Sourire mutin.

— A ton avis, Chris ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Que tu as envie de… Avec moi ?

Un french kiss.

— Oui, Chris, avec toi. La nuit est à nous, et je n’ai envie de personne d’autre...

J'enlace sa taille et lui rends son baiser.

Ce soir-là, je ne la baiserai pas, non ; je lui ferai l'amour…

Au petit matin, lorsque je m'éveille, elle n'est déjà plus là.

L'ai-je rêvée ?

Mon calbute s'est fait la malle en tout cas...

En sortant de la salle de bain, elle passe son joli minois dans l'embrasure de la porte.

Et comme je m'apprête à quitter le lit, je remonte précipitamment la couette pour masquer mon sexe, par pudeur.

Elle me sourit malicieusement, d'un air de dire que mon geste est inutile, qu'elle connaît déjà cette partie de mon corps, qu'elle l'a déjà goûtée.

— Tu nous rejoins vite ? On part dans une demi-heure...

Nous ne dirons rien aux autres et nous en tiendrons là.

Je ne suis pas son genre et elle n'est pas le mien.

Entre nous deux, c'était juste une parenthèse.

Une parenthèse enchantée dont nous ne reparlerons pas.

Était-ce sa façon à elle de me remercier d'avoir entendu son « non » l'année précédente ou une réelle envie de partager ce moment avec moi cette nuit-là ?

Je n'aurai la réponse que bien plus tard...

***

Epilogue

Cela fait vingt ans que nous nous sommes perdus de vue.

Mais nos vies se croisent à nouveau : je tombe par hasard sur Esther et l'invite à boire un verre dans un troquet.

Ses formes sont plus affirmées, mais ses trois grossesses n'ont en rien affadi sa beauté.

Moi non plus je ne suis plus le même : j'ai pris un peu de bouteille en m'étant marié et en devenant père de famille.

On échange pendant près de deux heures, tellement on est heureux de se retrouver.

Puis, je la raccompagne à sa porte.

Elle se suspend à mon cou, les yeux rieurs, un brin aguicheuse.

Égare sa main comme il y a vingt ans, cherche mes lèvres ; je la retiens prestement.

Pas parce que je n'en ai pas envie, elle l'a bien noté, mais parce que je ne suis pas libre.

— Non ? me fait-elle, espiègle.

Les images de notre unique nuit me reviennent en flash-back, me projetant même brièvement en train de la prendre à la hussarde contre le mur de son vestibule.

Un fantasme...

Seulement, ma raison finit par l'emporter.

— Non, lui réponds-je en lui rendant son sourire.

Elle perçoit mon inquiétude et me rassure d'emblée : elle respectera mon « non » comme j'ai naguère respecté le sien.

Pourtant, elle avait sans doute furieusement envie de baiser.

Avec moi, pas avec un autre.

Moi qui ne sais plus, depuis elle, que faire l'amour...

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