Deux Amériques, une frontière...

3 minutes de lecture

« On a tant d'amour à faire /

Tant de bonheur à venir /

Je te veux mari et père /

Et toi, tu rêves de partir... »

Là-bas

Paroles & musique : Jean-Jacques Goldman

Interprètes : Jean-Jacques Goldman & Sirima

J'attends.

Je relis tes lettres, inlassablement, en attendant la prochaine. Ce sont elles qui rendent ton absence un peu plus supportable.

Tu disais qu'il te faudrait partir un jour, qu'ici ce n'était plus possible, qu'il fallait tenter le tout pour le tout, que c'était notre seule chance. Alors, j'ai voulu te suivre, là-bas, de l'autre côté de la frontière. Mais tu as refusé en m'assurant que tu reviendrais nous chercher quand tu serais durablement installé. Ça fait deux ans maintenant, et nous sommes toujours là, à t'attendre.

Notre fils Felipe a grandi depuis ; il est presque devenu un jeune homme, en âge de travailler dans les champs, sur les terres de Dom Garcia Sanchez. Je sais que tu désapprouves, que c'est ce qui t'a fait fuir le pays, mais la misère est si grande par ici. Nous n'avons presque plus rien pour subvenir à nos besoins. Et puis, Azucena ne m'emploie quasiment plus comme domestique. Elle dit que mon corps est trop usé à présent pour servir, que c'est la fatigue qui me pousse dehors, qu'on n'y peut rien. Et si c'était la vieillesse ou la solitude qui me rattrapait trop vite, Pedro ?

Depuis l'Amérique, tu n'as pas vu les choses changer, mais à force de ne plus être aimé par aucun homme, mon corps de femme finit par dépérir. Je ne t'ai pas remplacé, Pedro, je ne laisserai jamais personne d'autre me toucher. Pourtant, ce ne sont pas les prétendants qui manquent, Dom Garcia Sanchez en tête. Mais je ne suis pas à vendre, et c'est à toi que j'appartiens. Pour toujours.

Pourquoi n'écris-tu plus, mi amor ? Les enfants parlent souvent de toi, tu sais. Si tu voyais comme Felipe fait tourner la tête de toutes les filles du village. En chef de famille auto-proclamé, il m'assiste beaucoup dans les tâches quotidiennes et prend bien sûr son rôle de grand frère très à cœur, en veillant sur Marisol.

Marisol... Elle était si petite quand tu es parti ! Te reconnaîtrait-elle encore aujourd'hui ? Et toi, reverras-tu un jour son sourire édenté t'accueillir sur les marches du perron ?

Les souvenirs s'estompent, Pedro ; nos enfants n'ont qu'une photo de toi, un peu jaunie, un peu ancienne, celle qui trône sur le buffet. Ils ne peuvent pas se rappeler le père que tu étais, c'est trop loin pour eux. Même pour moi, c'est trop loin. Tes caresses, tes baisers, ton sourire un peu résigné, un peu éteint parfois quand tu comptais les maigres pièces qu'il nous restait, tout ça s'érode doucement dans mon esprit.

J'ai pourtant encore envie d'y croire, de croire que le Bon Dieu te ramènera auprès de nous, auprès de moi ; je le prie chaque soir avant de me coucher pour ça. Mais l'espoir... L'espoir ne comble aucun des vides qui se creusent en nous inexorablement.

Où es-tu, mi amor ? Je t'adresse ces quelques mots sans savoir vraiment s'ils te parviendront un jour. Mais je resterai fidèle et droite dans l'attente de ton retour, jusqu'à ce que l'espoir ne suffise plus à me faire vivre. Parce que tu es mon souffle de vie, Pedro...

Je t'attendrai... Parfois, pour tuer le temps et combler ce manque de toi, j'écoute encore ce vieux disque français que tu as laissé sur l'électrophone ; je l'écoute et me remémore les paroles de cette chanson que tu m'avais traduite un jour. Car comme la dame brune qui les chante dans cette langue que je ne connais pas, moi aussi je me demande :

« Dis, quand reviendras-tu ? /

Dis, au moins le sais-tu ? » (1)

Mais la réponse est comme toi, elle se fait attendre et ne vient pas. Alors reviens-moi, s'il te plaît, mon Pedro ; reviens-moi...



(1): Paroles extraites de la chanson Dis, quand reviendras-tu ?, écrite, composée et interprétée par Barbara.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0