« Le commerce avec les hommes est très dangereux.

La seule solution que j’aie trouvée pour ne pas être trahi, c’est de vivre seul. »

Jean-Pierre Melville

Une ruelle déserte, le vent glacial me fouette le visage.

Je relève mon col et m’allume une cigarette dans la pénombre crépusculaire de l’hiver.

Les phares d’une Plymouth 66 m’aveuglent brièvement ; Milan s’arrête le long du trottoir et en descend, un sac en cuir ambre à la main.

— Balance le fric ! lui intimé-je.

Il jette le butin de notre casse à ses pieds, dégaine son flingue et le braque sur moi.

— L’un de nous est de trop, Rico, me rétorque-t-il, menaçant.

Ma Marlboro s’échoue sur le bitume ; je l’écrase au sol et le tiens en joue à mon tour.

Nos regards luisants se jaugent avant que les déflagrations de nos guns ne résonnent dans le clair-obscur grisâtre qui enveloppe la silhouette chapeautée de nos longs manteaux.

Milan ne se relèvera pas ; son corps gît sous la lueur insipide d’un lampadaire en fin de vie.

Mon adversaire a visé juste lui aussi ; je saigne abondamment.

A bout de souffle, je me traîne péniblement jusqu’à lui pour récupérer mon flouze et grimper dans sa belle américaine, dont le gros V8 ronronne encore.

Après un rapide contrôle du contenu du sac, j’enclenche le sélecteur de vitesse sur Drive et démarre en trombe.

Transpirant de plus en plus et pissant le sang à outrance, je réalise furtivement que je ne parviendrai jamais à rejoindre sans encombre l’hôpital le plus proche.

Au détour d’un virage, ma bagnole fait une embardée et finit par percuter un platane.

La violence du choc est intense, le voile laiteux d’un crépuscule, perforé par la lumière jaune des phares, à l’agonie.

Serait-ce déjà le début de ma nuit ?