Contre-vérités et investigation : fantasmes, réalité et fiction autour d’une icône prénommée Romy

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« Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. »

Phrase extraite de l’oeuvre Ainsi parlait Zaratoustra, de Friedrich Nietzsche, et citée par l’actrice Elsa Zylberstein dans le documentaire Romy : 40 ans après, ultimes confidences, diffusé en 2022.

Printemps 2019. En surfant par hasard sur YouTube, je tombai sur une interview radiophonique de Sarah Biasini, fille de l’actrice Romy Schneider et comédienne elle-même, scandalisée par la sortie du film qu’avait réalisé la cinéaste Emily Atef sur sa mère : 3 jours à Quiberon. Un long métrage qu’elle jugeait « malsain » puisque malmenant la mythique icône en y distillant, selon elle, des contre-vérités, notamment concernant sa « prétendue » addiction à l’alcool et aux médicaments.

Une vidéo qui me posa alors sérieusement question. Tout d’abord concernant l’existence d’un second biopic sur Romy (1), puis sur ces soi-disantes contre-vérités, pourtant de notoriété publique.

Étant depuis fort longtemps fasciné par le destin tragique de cette actrice de légende, il me fallait donc m’intéresser d’encore plus près à ce que je pensais savoir de source sûre. J’avais certes déjà visionné et lu des tas de choses sur Romy, mais mes recherches devaient élargir davantage le champ de mes précédentes investigations. Oui, il me fallait « enquêter » pour tenter de démêler le vrai du faux, les idées reçues, la réalité, les fantasmes, tout ce qui tourne autour du mythe de l’ex-Sissi. Tous ces mystères qui l’entourent depuis sa disparition, le 29 mai 1982, à l’âge de quarante-trois ans.

Et le point de départ de mon enquête fut celui-ci : et si Sarah Biasini méconnaissait le vrai visage de sa mère ? Supposition tout à fait plausible étant donné qu’elle n’avait que quatre-cinq ans lorsque celle-ci s’éteignit dans de troubles circonstances. Et si l’on avait tu à l’enfant qu’elle était toutes ses névroses ? Cette hypothèse pourrait tenir la route s’il n’y avait pas eu autant de biographies publiées à son sujet, autant de reportages ou rétrospectives diffusées depuis lors. Serait-ce alors un réflexe pour préserver l’image publique de cette femme, déjà tant malmenée par la presse de son vivant, l’image d’une légende qu’il est malvenu d’écorner en présentant 3 jours à Quiberon comme un « vrai » biopic détenant la vérité intrinsèque sur les tourments intimes d’une femme acculée par les vicissitudes de sa propre existence ? C’est beaucoup plus probable. Reste que le doute est permis, et que la ligne de défense choisie par Sarah n’était peut-être pas la meilleure option possible s’il s’avérait que Romy avait vraiment été addict à l’alcool et aux médicaments. Car elle aussi distillerait sa part de contre-vérités…

Ce fut une interview de Daniel Biasini, second mari de Romy et père de Sarah, accordée au journaliste Laurent Delahousse en juin 2018, toujours en réaction à la sortie du film 3 jours à Quiberon, qui constitua le premier élément de mon investigation. Et ce qui ressortait de cette entrevue, c’était principalement l’occultation, par la plupart des médias et dans l’imaginaire collectif, des moments les plus heureux qu’avait pu vivre la comédienne entre 1972 et 1981. Cela dit, dans cet enregistrement, Daniel Biasini occulta lui aussi certains évènements qui les avaient assombris, comme une fausse couche avant qu’elle ne tombe enceinte de Sarah, le suicide de son ex-mari - père de son fils David - en 1979, et leur propre divorce, difficile, qu’il passa sous silence en n’y faisant allusion que très pudiquement : « Je pardonne tout à Romy durant cette dernière année. » Il me paraît cependant tout à fait normal qu’il ne veuille garder en tête que le meilleur de ce que fut sa vie avec l’actrice.

Par contre, le déni de ses addictions alors même qu’Alain Delon, ex-fiancé et ami de Romy, les avait explicitement évoquées dans sa lettre posthume parue dans Paris-Match en juin 1982, me convainquit nettement moins de la sincérité de ses propos. D’ailleurs, Laurent Delahousse avait également abondé dans ce sens dans un numéro de l’émission Un jour, un destin qu’il avait jadis consacré à la comédienne.

Enfin, dans cette interview, Daniel Biasini réfuta l’état dépressif de son ex-épouse, notamment au moment du tournage du film L’important c’est d’aimer, d’Andrzej Zulawski, ce qui allait une fois de plus à l’encontre de ceux qui avaient côtoyé de près Romy. Ce fut le cas du cinéaste précité, qui, en 2012, parlait d’elle en ces termes : « Elle était la personne la plus malheureuse que je connaisse. » Là encore, on peut attribuer les « démentis » de Daniel Biasini à l’amour qu’il porte encore à Romy, à la préservation de l’image qu’il veut conserver d’elle et qu’il aimerait que le public ait pour toujours, en mémoire de la légende qu’elle est pour beaucoup de cinéphiles, elle qui a inspiré la vocation de tant de comédiennes, de Vanessa Paradis à Claire Keim, en passant par Julie Gayet. Mais du coup, au terme de cette première investigation, sa parole, tout comme celle de sa fille, restait pour moi sujette à caution.

Romy, une longue nuit de silence, biographie écrite par Sarah Briand, journaliste et proche collaboratrice de Laurent Delahousse, parue au printemps 2019 chez Fayard, fut le second élément de mon investigation. Outre l’avantage d’être hyper récente, cette bio avait la caution des Biasini et de Delon - qui y a participé étroitement -, tout en étant le fruit d’un travail journalistique. Très riche en informations, notamment sur le background de l’univers cinématographique, mais aussi sur la personnalité de Romy, ce court bouquin corrobora ce que je savais de l’actrice. Car oui, l’alcool et les anxiolytiques avaient réellement fait partie du quotidien de la comédienne, en particulier quand elle allait mal. J’aimai le style d’écriture, l’angle choisi - le fil rouge étant la nuit et le lendemain du décès de Romy -, le témoignage de Delon à la toute fin du livre, l’émotion qui s’en dégageait…

Était-ce pour autant l’indubitable vérité sur l’ensemble des sujets abordés ? Je serais, pour ma part, plus réservé sur ce sujet. En cause, la grande prudence avec laquelle l’auteure parle des « choses qui fâchent », en particulier les relations qu’avaient entretenues Magda Schneider - la mère de Romy - avec Hitler. Par ailleurs, je relevai une incohérence de dates et un manque de précisions qui pouvait laisser perplexe. Est-ce dû à une facilité narrative, à la caution conditionnelle des Biasini ou à l’intention respectueuse du mythe de la part de l’auteure ? Cela m’interpella clairement en tout cas.

3 jours à Quiberon, ce fameux film qui a tant outragé les Biasini, mais sur lequel Alain Delon, « gardien de l’héritage Romy », ne s’est jamais publiquement prononcé, constitua le troisième et dernier élément de mon investigation. Avec en ligne de mire cette question : est-ce un « vrai » biopic racontant la « vraie » Romy intime ou un simple tissu de « sous-entendus totalement mensongers […] avec une volonté de dégrader son image », comme le scandait sa fille Sarah ?

Mais avant toute chose, de quoi parle ce long métrage ? Nous sommes en avril 1981, une année noire pour l’actrice, et le début de la fin pour elle. En plein divorce avec Daniel Biasini, en froid avec David, son fils alors âgé de quatorze ans, elle accepte de donner une interview sur l’ensemble de sa carrière à un journaliste allemand, Michael Jürgs, assisté par un photographe de renom, Robert Lebeck. Une mise à nu quasi désinhibée, qui paraîtra dans le magazine Stern. Sous un superbe habillage noir & blanc inspiré des clichés originels de Lebeck, 3 jours à Quiberon retrace les conditions de réalisation de cette interview, avec une excellente reconstitution de l’époque en termes de décor ou d’ambiance, façon making off.

Néanmoins, il ne s’agit pas pour autant d’un « vrai » biopic, même resserré sur une très courte période, car la cinéaste Emily Atef a purement inventé certaines scènes, qui en côtoient habilement d’autres dont la réalité est avérée. La réalisatrice ne s’en cache d’ailleurs pas en assumant pleinement sa démystification de l’icône. Et force est de reconnaître que ce long métrage a un certain panache, même si l’exercice de style a ses limites et qu’il faut l’aborder en ayant bien conscience de l’effet « miroir déformant » qu’il présente. Parmi les contre-vérités distillées, on peut citer la scène finale, montée de toute pièce pour aller dans le sens du propos du film : la séance-photos avec la toute jeune Sarah ressemble à s’y méprendre à celle qui a effectivement eu lieu près de dix ans plus tôt, mais avec son fils David. Il y eut bien une séance-photos postérieure à l’interview « Stern », mais avec un David adolescent, peu avant son accident mortel. Autre contre-vérité : Romy avait signé son interview sans la relire, contrairement à ce qui est montré dans le film.

Et c’est en cela que ce long métrage est « dangereux » dans l’interprétation qu’on peut en avoir, puisqu’il s’avère finalement très proche de la manipulation publique qu’il fustige, bien que la cinéaste dise s’être s’appuyée sur les témoignages des personnalités de l’époque : Michael Jürgs et Robert Lebeck, mais aussi les clients et le personnel du Sofitel. En mélangeant savamment le vrai et le faux, la réalisatrice prend donc délibérément le risque de « piéger » le spectateur qui méconnaîtrait la vie de Romy, et prendrait le tout pour argent comptant. Et ce d’autant plus que les acteurs ainsi mis en scène sont criants de vérité, tant dans leurs attitudes que dans leur ressemblance physique avec les vrais protagonistes - une incarnation proche de la perfection.

En définitive, c’est vraiment cette ligne de défense-là qu’auraient dû adopter Sarah et Daniel Biasini face à ce qu’on peut considérer comme un procès à charge, loin des panégyriques que constituent parfois les « vrais » biopics. Parce que 3 jours à Quiberon présente, avec une certaine complaisance « malsaine » - pour reprendre le terme de Sarah -, Romy sous un jour peu flatteur : celui d’une femme vulnérable, complètement cassée et à la limite de la folie. Et dont on abusera, plus ou moins à son insu, de la faiblesse. Et l’on peut d’ailleurs se demander pourquoi elle avait accepté d’accorder cette interview dans ces conditions. A mon sens, c’était pour régler ses comptes avec la presse et le public allemands, pour briser cette image d’éternelle Sissi qu’elle exécrait. Une image trop lisse. Une image fantasmée, comme celle que les Biasini fantasment, aux antipodes du fantasme d’Emily Atef.

3 jours à Quiberon est donc davantage à considérer comme un long métrage librement inspiré de faits réels, éléments constitutifs de la vie d’une célébrité ayant réellement existé, une fiction, plutôt qu’un biopic.

Au final, le destin de Romy n’a pas fini d’exalter passions et fantasmes. En effet, quand on essaie d’être au plus près de ce qu’a été la femme derrière l’actrice, il est difficile de s’affranchir du mythe, et lorsque l’on tente de s’en affranchir, le crime de lèse-majesté n’est pas loin. Aux yeux du public, et de tout ceux qui l’on aimée, elle a emporté ses secrets les plus intimes dans sa tombe. Daniel Biasini sait bien sûr davantage de choses qu’il ne veut bien en dire, mais choisit la pudeur, contrairement à Delon. Au fond, le magistrat Laurent Davenas n’a-t-il pas eu raison de signer son permis d’inhumer sans autopsie, afin de ne pas « casser le mythe » ?



(1) : Le précédent et unique biopic consacré à l'actrice date de 2009 et n'a été distribué qu'en DVD sur notre territoire : Romy, le film.

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