Chapitre 3
Les deux enfants étaient à présent au second étage de l’immense manoir.
Les couloirs n’étaient en rien différents de ceux de l’étage supérieur, à l’exception de leur décor. Ici, des dizaines de peluches prenaient place le long des murs, assises sagement sur des étagères ou posées dans des chaises trop petites pour qu’un humain puisse s’y installer. Leurs yeux de boutons brillaient dans la pénombre, semblant suivre chaque pas de Michael et d’Aria.
Entre ces jouets immobiles, des fleurs blanches avaient été disposées dans des vases ou suspendues en guirlandes aux poignées de porte. Leur parfum était doux, presque enivrant, et donnait à l’air une impression trompeuse de sérénité. Mais, Michael, lui, ne pouvait se défaire de l’idée qu’un piège les guettait à chaque détour.
— C’est… étrange, murmura-t-il, brisant le silence. C’est presque… Joli.
Il se reprit aussitôt, joli, oui, mais d’une beauté malade, qui couvrait quelque chose de mauvais.
Les couloirs s’étendaient encore et encore, sinueux comme les racines d’un arbre monstrueux. À chaque intersection, Michael avait l’impression de perdre un peu plus ses repères. Le manoir semblait se plaire à les désorienter, comme s’il changeait de forme pour les piéger à l’intérieur.
Soudain, il s’arrêta devant une haute fenêtre encadrée de rideaux de velour bleu.
Au-delà des vitres, il distingua le jardin du manoir, noyé dans la brume, et au loin… la grille de sortie. Son cœur bondit dans sa poitrine.
— Regarde, Aria ! s’exclama-t-il en posant ses mains contre le verre. Si on sort par là, on pourra peut-être…
Il n’eut pas le temps de finir. Dès qu’il tenta d’ouvrir le battant, une lueur bleue éclata devant lui. Une onde invisible le frappa de plein fouet, le rejetant en arrière.
Michael s’effondra au sol, le corps parcouru de spasmes, comme traversé par un violent éclair. Ses muscles se crispèrent, ses dents claquèrent dans un grognement étouffé.
Aria accourut vers lui, s’agenouilla pour le soutenir, mais ne dit rien, elle ne le pouvait pas. Ses yeux de porcelaine reflétaient simplement son inquiétude muette.
Michael haleta, la respiration courte, la peau encore parcourue de frissons électriques. Il leva les yeux vers la fenêtre, qui brillait toujours d’un voile translucide.
— Les fenêtres… sont condamnées,
souffla-t-il, la voix brisée. Il n’y avait aucune autre issue à part celle d’avancer et de trouver l’escalier pour le dernier étage pas d’autre issue que d’avancer.
À cet instant, au loin, un rire cristallin résonna dans les couloirs, clair et moqueur, presque chantant. Une voix féminine, hautaine et charmeuse.
Michael sentit son sang se glacer. Il savait désormais qu’ils approchaient de la Reine.
Le dit rire s’éteignit rapidement, remplacé par une douce mélodie qui semblait flotter dans l’air. Guidés malgré eux, Michael et Aria avancèrent à travers les couloirs, jusqu’à ce qu’une grande porte de bois blanc se dresse devant eux. Elle s’ouvrit d’elle-même dans un grincement élégant, dévoilant une salle illuminée de chandeliers. C’était une salle de banquet.
Une longue table recouverte d’une nappe immaculée s’étendait jusqu’au centre de la pièce, chargée de théières en porcelaine, de tasses délicates et de gâteaux aux couleurs pastel. Des peluches de toutes formes et tailles y étaient assises, installées sur les chaises comme des invités figés, leurs regards de boutons fixés sur les nouveaux arrivants.
Au bout de la table, dans un fauteuil richement orné, trônait la Reine.
C’était une poupée magnifique, vêtue d’une robe de soie bleu lapis lazulis, ses cheveux blond était coiffé en anglaise de chaque côté de sa tête. Ses yeux de verre reflétaient la lumière avec éclat. Un sourire radieux éclairait son visage, presque trop parfait.
— Ah ! Mes précieux invités sont enfin arrivés !
Sa voix résonna, douce et mélodieuse, comme une berceuse.
— Approchez, approchez ! Venez donc vous asseoir. Vous devez être épuisés. Michael sentit sa gorge se serrer. Tout en lui criait de fuir, mais les peluches qui bordaient la salle, toutes tournées vers eux, formaient un mur silencieux et oppressant. Aria, elle, ne bougea pas. Ses yeux fixes se posèrent sur la Reine, puis sur Michael. Comme pour dire : « Faisons ce qu’elle dit. »
À contrecœur, Michael s’avança et s’assit sur une chaise à la table. Aria s’installa à ses côtés, toujours droite et silencieuse. La Reine, ravie, versa le thé dans leurs tasses, ses gestes d’une élégance exagérée, comme une princesse qui aurait répété chaque mouvement devant un miroir.
— Voilà, dit-elle d’une voix chantante. Buvez, mes chers. Rien de tel qu’une tasse de thé pour se remettre des horreurs de ce monde, n’est-ce pas ? Ici, vous êtes en sécurité. Ici, vous êtes aimés.
Michael prit la tasse entre ses mains tremblantes. L’odeur était douce, enivrante, presque trop parfaite. Il échangea un regard avec Aria. Elle ne dit rien, mais inclina légèrement la tête, comme pour lui signifier qu’il devait jouer le jeu.
Alors, il porta le breuvage à ses lèvres, à contre-cœur.
Un sourire satisfait se dessina sur le visage de la Reine, et les peluches, toutes immobiles, semblaient applaudir en silence.
— Voilà qui est mieux, mes chers… murmura-t-elle. Ici, personne ne vous fera de mal. Pas tant que vous serez à ma table.
La Reine leva alors sa propre tasse, invitant tous ses convives à déguster cette boisson chaude.
A sa plus grande surprise, les peluches sanimèrent et se mirent à boire comme si cela était normal, hélas le breuvage ne faisais que teinté leur tissu, le rendant humide, le reste du liquide tomber au sol à petite goutte, émettant un dou clapotie au contacte du marbre froid.
Une odeur sucrée et écœurante monta dans la pièce, comme du miel brûlé. Michael déglutit, le cœur serré.
Pourtant, cela ne sembla en rien déranger la souveraine, qui porta à son tour sa tasse à ses lèvres. Elle but lentement, avec une élégance théâtrale, laissant échapper un soupir de contentement.
— Délicieux… dit-elle en reposant sa tasse toute de porcelaine faite
Ses yeux de verre brillèrent étrangement, et son sourire se figea davantage lorsqu’elle se tourna vers Aria, la jeune fille n'avait pas touché à sa boisson, car elle ne le pouvais pas.
— Ne bois-tu donc pas jeune fille ? Le thé n’est peu etre pas a ton gout, au suis je bête, tu ne peu le goûter
Railla la reine, cachant son sourire narquois et son ricanement derrière sa manche. Sa moquerie à l'égard d’Aria fit alors rire les peluches à leur côté, comme envoûtée par la jeune fille au bouclette blonde.
Michael fronça les sourcils. Il sentit la main glacée d’Aria se poser discrètement sur la sienne, comme pour l’empêcher de réagir. Elle fixait droit devant elle, immobile, mais la Reine, elle, se pencha en avant, un éclat venimeux dans le regard.
— Si pâle, si muette…On pourrait presque croire que tu es jolie. Mais en vérité, tu n’es qu’une coquille vide.
Un rire cristallin s’échappa de ses lèvres, aussitôt repris en chœur par le murmure étrange des peluches, qui hochaient leurs têtes tremblantes comme pour approuver. Le bruit de leurs tissus imbibés de thé formait un goutte-à-goutte continu, hypnotique, presque insupportable.
La Reine claqua des doigts. Aussitôt, une théière se renversa seule, répandant son contenu sur la nappe immaculée. Le liquide se glissa entre les fleurs blanches, qui brunirent et fanèrent en un instant.
— Crois-tu me surpasser avec cette façade de porcelaine ? Ici, il n’y a qu’une seule beauté… et c’est moi.
Son rire éclata de nouveau, mais cette fois il avait quelque chose de brisé, de cruel, et les peluches frappèrent mollement leurs pattes sur la table comme pour applaudir leur maîtresse.
Michael sentit son souffle se bloquer. La reine de se lieu montrer enfin son vrais visage.
Un silence pesant tomba dans la salle. Le parfum du thé s’était mué en une odeur âcre, presque métallique. Les flammes des chandeliers vacillaient, projetant sur les murs des ombres déformées où les silhouettes des peluches semblaient se contorsionner.
La souveraine, immobile, fixait Aria avec un mépris ardent. Ses doigts élégants glissaient lentement sur la porcelaine de sa tasse, comme s’ils caressaient la lame d’un poignard invisible.
— Regarde-moi, poupée… souffla-t-elle d’une voix basse, tremblante de rage contenue. Ton silence m’insulte. Ton visage sans expression m’humilie. Chaque seconde où tu respires mon air, tu me rappelles que tu oses te tenir à ma table comme mon égale.
Elle se leva brusquement, renversant sa chaise dans un grincement strident. Les peluches, en écho, se mirent à glisser hors de leurs sièges, leurs corps de tissu imbibés laissant derrière eux des traînées humides. Elles encerclaient lentement Michael et Aria, leurs têtes penchées, leurs boutons d’yeux scintillant d’une lueur morbide.
La Reine ouvrit les bras, théâtrale, comme une actrice devant son public.
— Ici, mes chers invités… continua-t-elle avec une ironie venimeuse, il n’y a pas de place pour deux reines.
Michael serra la main d’Aria. Ses jambes tremblaient, mais son cœur battait avec une intensité nouvelle. Il comprit qu’il n’y aurait pas d’issue pacifique.
La mascarade était finie. Le banquet se transformait en piège.

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