Chapitre 1 : le serpent

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    J'ouvris la portière et sortis de ma petite voiture blanche. Mon pot de yaourt comme j'aimais l'appeler. Elle avait vingt-sept ans la bougresse, un de plus que moi, et elle roulait toujours parfaitement bien. Bon, elle avait subi pas mal de réparations, la carosserie commençait vraiment à s'abîmer, mais je ne voulais pas la quitter.

  J'avançai vers le ruban de police et présentai mon badge à l'agent en poste. Il souleva le bandeau jaune et me laissa passer en me dévisageant. Je le connaissais peu, c'était un homme qui atteignait la cinquantaine mais qui n'avait jamais réussi le concours d'inspecteur. Je ne savais pas pourquoi, mais c'est peut-être pour ça qu'il ne m'aimait pas, moi, la grande gamine aux cheveux noirs comme j'avais entendu certains m'appeler, qui avait réussi cet examen après seulement quatre ans dans la police. La plus jeune de la ville d'après mon instructeur.

  On m'avait envoyé enquêter sur un potentiel meurtre, un homme dans sa boutique d'animaux exotiques, de NAC ou nouveau animaux de compagnie. La façade était simple, bleu clair, une porte coincée entre deux vitres protégeant quelques aquariums et vivariums. Le nom du magasin était écrit juste au-dessus : "L'ami incroyable". Je regardai autour de moi. Les voitures de police agitaient leurs gyrophares. Les agents empêchaient les journalistes et petits curieux de passer.

  J'entrai dans le bâtiment. Les murs étaient tapissés de terrariums contenant de nombreuses petites bêtes : des araignées, des lézards, des phasmes, des serpents... ils étaient tellement beaux. J'adorais ces reptiles. Je m'arrêtai devant la prison d'un serpent gris métallique. Il m'observait. Je penchai la tête à droite, à gauche, m'abaissai, me relevai, et il me suivait. Je souris et posai ma main sur le verre. On m'appela :

  • Inspecteur, vous venez ?

C'était Morgan, le médecin légiste, un homme gentil, la quarantaine, brun aux yeux bleus avec une petite barbe de trois jours. Je lui demandai en me penchant sur la victime :

  • Qu'avons-nous là ?
  • Un homme, cinquante-deux ans, calibataire, pas d'enfants. Pas de blessure apparente. A en juger par la rigidité cadavérique, il est mort il y a deux jours.

  Je réfléchis à voix haute :

  • Depuis le début du weekend, ce qui explique que personne n'a prévenu la police avant. Le magasin est fermé les weekends d'après leurs horaires. Qui a découvert le corps ?
  • Un appel anonyme.
  • Pratique. Son employé peut-être.
  • Je ne sais pas, je ne suis que le médecin légiste. Je parle aux morts, pas aux vivants.
  • Pourtant vous me parlez, non ?
  • Hmmm... l’exception qui confirme la règle, termina-t-il, un sourire charmeur aux lèvres.

  Je souris à mon tour. Je connaissais la réputation de dragueur de mon croque-mort favori. Je l’avais surnommé comme ça lors de ma formation, c’était sorti tout seul, et il avait explosé de rire. Malgré ses quelques subtiles tentatives pour me séduire, je lui avais fait comprendre que je n’étais pas intéressée. Il l’avait bien pris et accepté, du moins c’était mon impression, mais il continuait de jouer les Don Juan.

  J'observai le cadavre. L'homme chauve se tenait la chemise, comme s'il avait tenté de se l'arracher. Sa tête faisait peur à voir. Il semblait être mort terrorisé.

  • Je pense à du poison mais je pourrais en être sûr qu'après l'autopsie. Il s'est gratté presque le cou jusqu'au sang, comme s'il étouffait. Regardez le haut de son torse.
  • Nous sommes dans une boutique de NAC, l'un d'eux aurait pu le mordre et l'empoisonner ?
  • Non, je ne pense pas, même si ça reste à vérifier. Normalement les animaux vendus sont non venimeux, et les autres sont privés de leurs glandes à venin.

  Je parcourus les alentours du cadavre, des bocaux renversés, des morceaux de verres, des sauterelles ! Je sursautai en poussant un petit cri aigu. Morgan se moqua de moi. Je l'ignorai, bien que vexée, et continuai. A part ça, rien autour de lui, il avait dû paniquer en s'étouffant et renverser ces pots. Un criquet passa devant mes yeux, m'arrachant un autre cri. J'adorais les serpents mais les insectes m'étaient insupportables. Je parcourrai les vivariums, intéressée par toutes ces petites bêtes : des dragons cornus, un dragon d'eau, un gecko, un iguane même. Qu'il était beau. Mon Dieu, des araignées, des tarentules, je les passai vite et me retrouvai de nouveau face à ce magnifique serpent. Il ne me quittait pas du regard, très étrange.

  • C'est une couleuvre commune, très fréquente en Europe, bien que sa couleur soit un peu étrange, m'interpella le médecin légiste.
  • Je sais, j'ai l'impression qu'il m'aime bien.
  • On dirait, en effet.
  • Vous croyez qu'il y a un moyen pour que je l'adopte ?
  • Vous êtes sérieuse ?
  • Oui, j'ai toujours aimé les serpents. Vu qu'il n'est pas venimeux, ce n'est surement pas lui l'assassin.

  J'ordonnai qu'on embarque les preuves, les animaux et les dossiers du magasin afin de vérifier qu'aucun n'avait pu tuer notre victime, et sortis afin de reprendre ma voiture.

  Je me garai à ma place devant le bâtiment en briques rouges, surplombé d'écriteaux lumineux sur lesquels on lisait : "Commissariat Central de Litale". Toutes ses fenêtres étaient couvertes de barreaux. J'entrai par la grande porte, passai les agents à l'accueil en les saluant et montai les escaliers au fond du grand hall, où d'autres policiers prenaient des dépositions, enregistraient des plaintes, soupiraient devant les problèmes urgents soi-disant de certains habitants. Je les comprenais, j'avais dû faire ça aussi pendant quatre ans avant de venir inspectrice. A l'époque, on ne m'avait envoyé que très peu sur le terrain. C'était d'ailleurs la raison qui m'avait poussé à tout donner afin de sortir de cette situation. Je voulais faire plus, et pour l'instant j'y arrivais.

  Je pris les escaliers au fond de la pièce. Après trois étages, j'arrivai à mon niveau. J'ouvris mon bureau, la quatrième porte à droite. Mon petit cagibi, un bureau mal rangé avec un ordinateur, des piles de dossiers, une petite statuette de serpent, une corbeille à sa droite, sur le mur opposé, deux armoires remplies de rapports d'enquêtes, et pour finir une chaise, classique, pas très confortable mais agréable.

  A peine installée, on toqua. Avant que j'eût le temps de parler, mon chef, le commissaire Bilot, un homme blond, la trentaine, petit et gros entra. Je devais bien faire quarante centimètres de plus que lui. Il portait un riche costume à cravate beige et tenait un dossier. Il me demanda :

  • Alors ? Que pouvez-vous me dire sur ce meurtre ?
  • Pas grand-chose. On suppose qu'il a été empoisonné. J'attends le résultat de l'autopsie pour en savoir plus. Impossible de dire actuellement si c'est un accident ou pas ?
  • Ok, la victime était le propriétaire d'une boutique de NAC ? L'un de ces animaux aurait-il pu l'infecter ?

  Il lisait son document au fur et à mesure.

  • Impossible à déterminer pour l'instant, on ramène les animaux venimeux du magasin pour vérifier si leurs glandes à venin ont bien été enlevées. D'ailleurs, Chef ?
  • Oui inspecteur ?
  • Serait-il possible d'adopter l'un de ces animaux ? Une couleuvre non venimeuse de base ?

  Il écarquilla les yeux, surpris.

  • Je ne vois aucun problème. Normalement tous ces animaux, sauf celui qui pourrait avoir tué notre homme, seront répartis vers d'autres boutiques. Vous devrez cependant faire les démarches afin de pouvoir héberger un NAC par vos propres moyens.
  • Bien sûr, merci Chef.

  Il sortit. Avant de me plancher sur l'affaire, je regardai sur internet comment adopter un serpent et s'en occuper.

  Deux jours étaient passés depuis le début de l'affaire. Hélas, elle n'avait pas beaucoup avancé. Tous les animaux avaient été mis hors de cause. L'autopsie avait révélé qu'il s'agissait bel et bien d'un empoisonnement, mais aucune trace d'injections, de morsures, pas de résidus dans l'estomac. Et je devais l'avouer, je n'avais pas été très concentrée. Je n'avais pensé qu'à ce serpent, et j'avais réussi à l'adopter, lui, juste lui qui m'avait envoûté avec son regard noir. J'admis pour certains documents avoir jouer de mon badge pour accélérer la procédure mais bon, il était si beau. Et j'avais totalement craqué en achetant un terrarium immense qui m'avait coûté la moitié d'un mois de salaire : quatre-vingts centimètres, sur un mètre quarante, sur un mètre. J'avais passé une nuit entière à recréer l'environnement qu'il lui fallait : trois pouces de terre au fond sauf au gauche ou j’avais fait une petite mare, un amas de pierres formant une petite caverne, surplombée par quelque plante grimpante, deux grandes branches traversant le vivarium de part en part pour qu’il puisse grimper.

  On approchait de la fin de la journée, et j'allais le récupérer juste après. J'avais si hâte. Mes collègues ne comprenaient pas mon engouement pour un vulgaire reptile. J'avais eu envie de les frapper, mais cela n'aurait servi à rien à part donner une raison à la direction de m'engueuler et peut-être de m'empêcher d'avoir ce serpent. Et le hasard avait fait que j’avais posé une semaine de congés quelques mois auparavant. J'aurais tout le loisir de m’occuper de mon nouveau bébé.

  Je fixais l'horloge de l'ordinateur : dix-sept heures. Je l'éteignis et pris mes affaires. Je passai voir un collègue pour lui transmettre les documents du dossier en cours, avant de courir à mon pot de yaourt. Je finis le tour du bâtiment pour aller dans l'entrepôt du commissariat. Les animaux y étaient stockés le temps qu'ils soient emmenés dans leurs nouvelles boutiques.

  J'entrai et me dirigeai vers la montagne de terrarium, le policier gérant l'endroit s'approcha de moi :

  • Bonjour, vous venez le chercher ?
  • Oui, j'ai enfin toutes les autorisations et le matériel, répondis-je en souriant.

  J’étais passée plusieurs fois déjà pour m’assurer que le serpent allait bien. J’en avait profité pour parler avec le gardien, un vieux policier aux cheveux poivre et sel, aux portes de la retraite. Il était gentil, bienveillant, drôle pour son âge.

  Il se retourna et attrapa un bocal de verre rectangulaire d'à peu près quarante centimètres sur vingt. Le pauvre devait se sentir si à l'étroit dedans. Il me le tendit et me le posa dans les bras avant de retourner à ses occupations sans un mot. Je mis la prison de verre au niveau de mon visage et regardai mon nouvel ami. C'était bien lui, il me fixait comme la première fois. Je repris la voiture et rentrai chez moi.

  J'habitais dans un appartement au quatrième étage d'un immeuble non loin du centre-ville. J'avais eu de la chance de le trouver. Arrivée en haut j'entrai dans mon petit nid, seulement trois pièces : la chambre, la salle de bain et la pièce de vie avec un coin cuisine. J'arrivai dans cette dernière : à gauche la télé, fixée au mur, devant elle un canapé marron pas très beau. A droite le coin cuisine ainsi qu'une petite table et trois chaises. Et sous la fenêtre, mon nouveau terrarium, j'étais contente. Je m'accroupis devant celui-ci, ouvris son couvercle, enlevai la protection du petit vivarium. J'attrapai délicatement mon serpent et le déposai dans son nouveau foyer. Il se laissa faire sans résister. Je lui donnai une petite souris morte séchée, j'en avais acheté un gros bocal pour lui, et refermai le terrarium. Je jetai mon sac à dos sur le canapé. Ma chemise suivit, ainsi que mon pantalon. Puis je me dirigeai vers la salle de bain.

  Une bonne douche, ça faisait tellement du bien. Je ne remis qu'une culotte propre et sortis, une serviette sur la tête pour sécher mes cheveux. J'ouvris mon sac et pris quelques dossiers que je posai sur la table. Je n'avais pas beaucoup bossé ces deux derniers jours et il fallait que je me rattrape, même si je ne savais pas quoi conclure à part un accident, mais ça me semblait étrange. J'examinai de nouveau les photos du lieu du crime, mais rien, je ne voyais rien de plus. J'avais aussi demandé les relevés de compte et téléphoniques de la victime. Peut-être était-il lié à un réseau de contrebande et l'un de ses clients ou fournisseurs aurait été déçu ? Mais encore une fois, je ne faisais aucun progrès, ne trouvais aucun indice exploitable pour étayer ma théorie. Tout était en ordre, aucun virement suspect, très peu d'appel. Ce commerçant semblait on ne peut plus honnête.

  Après deux bonnes heures de recherche, j'abandonnai pour la soirée et me mis un paquet de pâtes à réchauffer. Mon regard se porta sur mon serpent. Il était enroulé sur lui-même et me fixait, encore. Je m'approchai et lui demandai :

  • Alors, tu ne saurais pas me dire qui a tué le propriétaire de cette boutique ? et d'ailleurs, pourquoi tu me fixe comme ça ?

  Pas de réponse. Logique, mais un instant, j'avais espéré en avoir une. Il était si beau. Je craquai et soulevai le couvercle de sa maison pour le prendre dans mes bras. Il s'enroula autour de l'un d'eux. C'était froid, lisse et doux. Je me rendais enfin compte de sa taille. Il mesurait tout de même un peu plus d'un mètre. J'adorais sa couleur gris métal avec ses petites reflets verdâtre. Un doute traversa mon esprit, je connaissais un serpent qui avait cette couleur, mais je n'arrivais plus à mettre la main sur son nom. Le reptile tendit le coup, me regarda dans les yeux et entrouvrit sa bouche. Je devins pâle. Je m'en souvenais maintenant. C'était un mamba noir, il avait les gencives, la langue et les crocs entièrement noirs. Comment ne l'avais-je pas remarqué avant ? Comment les collègues avaient laissé passer ça ? Je sentis ses crochets s'enfoncer dans mon cou, près de la clavicule, et fermai les yeux.

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