IV Parfois, il n'est pas trop tard...

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Le week-end était enfin là et je me trouvais heureuse de ne pas entendre mon réveil sonner. Ma chambre était calme et Mila se réveillait en douceur. Elle alla rejoindre notre mère dans son lit, espérant dormir encore un peu à la chaleur de son corps.

Aujourd’hui, j'étais bien décidée à me racheter une conduite auprès de mon voisin.

Déterminée, j’ouvris la fenêtre pour aérer ma chambre et faire nos lits. Mila dormait dans le lit en face du mien qui lui, était un lit en mezzanine. Nous avions un bureau en dessous. Notre chambre était tapissée d'un papier peint vieillot et délavé. Je défis nos draps pour les mettre à la fenêtre.

J’aimais humer l’odeur du matin, cette journée commençait en douceur et la fraîcheur m’envahit de béatitude. Le monde s’éveillait à ma fenêtre et je me sentis telle une reine en devenir. Je m’ y attardais lorsque, tournant la tête, je le vis en faire de autant.

Pleine de courage, je lui dis d'un trait :

  • Salut Soan, je tenais à m’excuser pour hier... Parfois, mon trop-plein déborde tel un volcan ! J’y ai beaucoup réfléchi et je n’ai pas été très juste, hier.
  • Ce n’est rien Judith, ça arrive à tout le monde, me renvoya-t-il sèchement.
  • Je veux bien partager mon refuge avec toi, si tu es d’accord... Nous pourrions peut-être y monter pour en discuter?

Il me regardait d'un regard accusateur. Il paraissait se battre avec lui-même. Les remparts de son âme commencèrent à céder et je vis l’espoir apparaître.

  • Très bien, rendez-vous dans quinze minutes.

Puis il referma brusquement la fenêtre me laissant là.

Prenant une grande respiration de cet air vivifiant, je m’attelai à tout mettre en ordre et à me préparer. Ce rendez-vous allait être décisif pour la suite de notre relation qui, je l’espérais au fond de moi, serait un peu plus qu’une simple relation de voisinage.

Soan

  • Mais qu’est-ce qui m’a pris de dire ça ? dis-je en m’asseyant sur mon lit. Et si on se disputait encore ? Et si on ne se disputait pas ? réfléchis-je en me relevant.

Je tournais en rond en proie au doute et au stress. Je pris une grande respiration et sortis de cette chambre qui enfermait mon esprit dans une cage de plus en plus étroite. Compressé, je décidai de me jeter à l’eau espérant ne pas me noyer dans des tourments et des complications impensables.

Je montai les marches en courant. Je souhaitais être le premier arrivé et espérais pouvoir mettre de l’ordre dans mon esprit maladroit.

Je l’entendis monter les escaliers, tout doucement, en marmonnant des phrases toutes prêtes. Je lui ouvris la porte, ce qui la troubla. Je l’écoutais me répéter ses jolies phrases bien apprises en acquiesçant gentiment. Elle me faisait perdre mes moyens.

  • On repart de zéro alors ? lança-t-elle pleine d’espoir et de bons sentiments.
  • Va pour un nouveau départ, ma chère Judith Imbert ! plaisantai-je. Je ne suis pas très doué niveau relationnel... Mais si le cœur t’en dit, nous pourrions peut-être faire connaissance ? Je vais commencer, me désignai-je en m’asseyant.

Elle fit de même et nous nous racontâmes nos tristes parcours sans détacher nos regards l’un de l’autre.

  • Tu viens de Trentemoult ? souleva-t-elle. Je connais ce village nantais, il est magnifique et coloré !
  • Mais comment le sais-tu?
  • J’avais de la famille qui vivait là-bas... Une tante et deux cousines : Valéria qui est comme ma jumelle et sa petite sœur Agathe.

Je vis la peine et l’amour qui brillaient simultanément dans ses yeux... Elle en parlait en détournant son regard.

  • Tu veux dire Valéria Pradel ? m'exclamai-je. C'est mon amie d'enfance !
  • Oui ! me partagea-t-elle les yeux pleins de larmes. Ma Valéria Pradel, ma jum. Elle est mon moi mais en mieux tu vois ? Elle est douce et sage, instruite et rêveuse, merveilleuse et humble... Ah, si je pouvais la serrer dans mes bras ! Elle me manque terriblement... se confia-t-elle.

Je ne m’attendais pas à cela. "Valéria, ma Valéria, ma meilleure amie, ma confidente, tu es celle de quelqu’un d’autre aussi..." pensai-je.

Je pris Judith dans mes bras et la réconfortai. Nos pensées s’unirent vers Valéria. Puis d’un bond, elle se redressa :

  • Mais punaise ! J’y pense ! Nous pourrions lui téléphoner !
  • Euh... Non, je ne préfère pas... Nous ne nous sommes pas quittés en très bons termes...
  • Mince, vous étiez vraiment amis alors ?
  • Oui très amis, elle a été d’un grand soutien pour moi, quand nous habitions là-bas. Ma meilleure et unique amie... Je commençais à faire des rêves étranges concernant une boîte, et je n’y comprenais rien. Ces rêves m’obsédaient et au vu de mes yeux fatigués, j’ai dû en faire la confidence à ta cousine qui n'arrêtait pas de me questionner. Elle m’avait révélé en avoir fait de similaires et nous nous sommes mis en tête de résoudre ce mystère.
  • Valéria faisait les mêmes rêves que toi ? Et pourquoi ne m'a-t-elle jamais parlé de toi ? pensa-t-elle à haute voix.

Elle se leva, faisant les cent pas sur le toit, elle réfléchissait. J’en fis de même et l'observais.

  • Mais attends, pourquoi vous êtes-vous quitté en mauvais termes ? me demanda-t-elle, soudainement fâchée.
  • Eh bien... Sa mère et mon père se sont disputés. Une très grosse dispute qui a dégénéré à la grande défaveur de ta tante. Je ne pouvais plus supporter le mal qui se dégageait de mon père. J’ai baissé les bras.

Je la saisis par les bras et droit dans les yeux je lui révélais :

  • Je n’en pouvais plus, tu comprends ? Tout se répétait et je ne voulais pas voir la suite des choses. Je refusais cette situation. Pourtant, j’avais prévenu Val de préserver sa mère. Mon père était devenu fou depuis que ma mère était tombée malade. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, lui confiai-je. Le problème c'est qu'elles ne m’ont pas écouté... Elles ne m’ont pas écouté Judith...

J'étais complètement vidé de ces révélations. Je ne m’attendais pas au lien familial qui les unissait. Val n’en avait pas fini avec moi ! Je ne pouvais plus garder ce lourd secret qui me pesait depuis tant de temps. L’injonction d’éloignement prononcée, nous avions dû déménager... Encore...

Judith

Je restais abasourdie par ses propos. Val et Soan se connaissaient. Comment se pouvait-il que Val fasse aussi ces rêves ? Et ma tante... C’était donc ça son séjour à l’hôpital ? Toutes les pièces du puzzle s’imbriquaient. Pourtant quelques-unes ne trouvaient toujours pas leur place. Je trouverais bien les réponses manquantes...

Me rapprochant de lui, je le consolais à mon tour du mieux que je le pouvais. Puis, en me saisissant, il me dit les yeux dans les yeux :

  • Ju, ta mère doit rester loin de mon père, est-ce que tu entends ?
  • Oui, j’y veillerai Soan, promis ! affirmai-je en me dégageant de son emprise. Tu sais, ma mère n’est pas non plus quelqu’un de qui on doit s’approcher... Elle a des périodes noires et froides où elle se réfugie dans l’alcool. Détruisant ce que je m’efforce de maintenir : un foyer stable et un semblant de famille pour Mi. Mais parfois, son désarroi vient la prendre et la noie dans les bas-fonds de son désespoir.

Je m’approchai du garde-corps espérant que parler face au vide me donnerait le courage de continuer.

  • Aucune issue pour elle, elle se laisse envelopper dans les méandres sournois de l’alcool. Ces voluptés l’enferment dans un faux sentiment de bien-être. La réalité et le présent lui échappent et s’affaissant comme un poids mort, elle roumègue des choses incompréhensibles... Je fais tout pour en protéger Mila. Je lui invente des excuses et raconte toutes sortes d’histoires d’aventures et de magie, peuplées de princesses et de femmes extraordinaires à ma sœur. Enfin, mon imagination n’a pas de fin quand il s’agit de maquiller les déboires de ma mère.
  • Elle est fragile et tourmentée, faible et dépassée, mais pas méchante. Crois-moi, mon père est bien plus dangereux quand il n’est pas sous traitement. Il est violent et destructeur, il cherche à asservir pour contrôler. Enfin bref, il vaut mieux s'en tenir éloigné.
  • Okay Soan, acquiesçai-je, j'ai compris. De toute manière, aucune complication n’est bienvenue. Je cherche à maintenir ma famille à flot et ce n’est certainement pas pour que quelqu’un vienne tout ficher en l’air. Ma mère s’en charge déjà très bien toute seule...

Soulagé, il me dit:

  • Parfait ! Viens, sortons du bord, ça me fiche la trouille, le vide.

Il me prit par la main et je me laissai guider.

  • J’ai pris de quoi grignoter, si ça te dit.

Je le regardai fouiller dans son sac et en sortir de la brioche et du jus de fruits.

“Je finirai par me transformer en brioche si je continue à en manger autant”, pensai-je. Il me regarda et me vit la convoiter. Il m’en tendit un morceau et je vis une marque sur l’intérieur de son doigt. J’aurais cru lire “viuré” mais je n’en compris pas le sens. Il remarqua mon regard et retira soudainement sa main. Il la cacha sous sa tête en s’allongeant sur le dos. Je m’allongeai à mon tour et nous regardâmes les nuages.

  • Qu’aimerais-tu avoir que tu n’as pas ? me demanda-t-il.

Me laissant aller, je lui sortis :

  • J’aimerais me lever le matin dans un lit bas et mettre mes pieds sur un tapis doux et moelleux comme cette brioche...

Se retournant vers moi, nos yeux se croisèrent et nous éclatâmes de rire.

  • Un tapis doux et moelleux comme de la brioche ? me répéta-t-il se tordant de rire. En effet, ton imagination est débordante.
  • Ce n’est pas gentil de se moquer de moi comme ça, So... dis-je en faisant la moue, m’empêchant de m’esclaffer.

La bouche pleine de brioche, je m’étouffais.

  • So, je peux t’appeler comme ça ? J'ai tendance à tout raccourcir...
  • Oui, t’inquiètes, me dit-il en me faisant un clin d’œil.
  • Et toi ? lui dis-je reprenant le contrôle de moi-même en simulant un sérieux sorti de nulle part.

Après une longue réflexion, il me dit :

  • Je rêverais d’avoir une moto ! Je pourrais me déplacer plus facilement.
  • Une moto ? Rien que ça ? Eh bien, tu mets la barre un peu haut, non ? Plus les rêves sont grands, plus il est difficile de les atteindre.
  • Oui, c’est vrai... Alors j’aimerais bien avoir des étoiles phosphorescentes collées sur mon plafond. Ça, ce n’est pas trop demander et j’en ai toujours rêvé !
  • Ah ouais ! Quelle bonne idée ! Ça me tenterait bien moi aussi. Mais j’ai déjà le nez quasiment collé au plafond avec mon lit mezzanine… Du coup ça ressemblerait plus à l’espace !

Nous rîmes sans plus pouvoir nous arrêter. Nous nous renvoyâmes des exemples et des comparaisons toutes farfelues. Des idées toujours plus amusantes. Nous rêvions comme des enfants amusés, laissant notre imagination prendre le dessus. Tout semblait léger et nous nous laissions porter au gré du vent. Nous étions là, tous les deux, sur un nuage, à virevolter en rigolant. Je regardais Soan : il avait l’air tellement heureux...

Je le vis ranger la boîte contenant la brioche. Une question me brûlait les lèvres et en descendant les escaliers je le fis se retourner puis, me rapprochant tout près de lui, je lui chuchotais :

  • So, ta boîte, où est-elle ?
  • Ma boîte ? me demanda-t-il confus.
  • Oui, So, ta boîte, tu l’as toujours ? Est-elle en sécurité ?

Ses yeux se remplirent de peur.

  • Non, Ju, s’exprima-t-il le souffle court. Ils me l’ont prise et l’ont jetée au sol pour la briser. Je n’ai rien pu faire, ils étaient trop forts et au même moment, mon père et ta tante... C’était trop dur, j’étais faible. Ma vie et mes nuits n’étaient que des cauchemars. Je m’épuisais, jour et nuit à combattre. À bout de force, j’ai lâché prise, me dit-il.

Et reprenant son souffle il me confia:

  • Val n’a pas compris, elle ne savait pas pour ma boîte. Tu sais, quand ils l’ont jetée elle ne s'est pas brisée, elle s'est illuminée ! Mais, d'un coup de botte ils l'ont écrasée. Nous brisant ainsi tous les deux en un tas de petits morceaux.

Il voulait me fuir, honteux...

  • Attends So, je peux la réparer ! le retins-je. Parfois, il n’est pas trop tard !

Il se retourna et me plaqua contre le mur. La peur qui m’envahissait vint lui sauter au visage. Il relâcha son emprise sans s’éloigner.

Je lui répétai d’une voix tremblante mais calme :

  • So, je peux réparer ta boîte.

Le minuteur de la lumière de la cage d’escaliers arriva à sa fin et nous fûmes plongés dans le noir.

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