Le cercle

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— Salut petite sœur, ça va ?

— Ça va et toi à la cambrousse ?

Diane avait quitté son Limousin natal pour l'air pollué de la capitale le plus vite possible. Aujourd'hui, leur région d'origine avait pris le nom de « Nouvelle-Aquitaine », mais elle continuait à nommer l’endroit « le trou du cul du monde ». Son frère y était resté et ne comptait pas en partir. Ils s'opposaient autant sur le plan physique que mental. La blonde Diane était férue de légendes et de paranormal, elle aimait la ville, la vie qui grouille, les rencontres. Le brun Mathias se voulait terre à terre, un être rationnel aimant les grands espaces et se suffisant à lui-même.

— J'ai besoin de tes connaissances pour une affaire, poursuivit-il en éludant sa question.

— Ah oui ? s'étonna-t-elle en allongeant ses jambes. C'est noël dis donc, toi qui n’as jamais dû regarder une vidéo de ma chaîne.

Adam leva un sourcil, impatient d'entendre le compte rendu de l'échange.

— Tu sais que c’est faux, s’indigna Mathias.

— Mouais… se renfrogna Diane. Alors, raconte.

— Qu'est-ce que tu peux me dire à propos des rites comprenant des cercles et des objets brûlés ?

Prise au dépourvue, la jeune femme laissa passer plusieurs secondes avant de répondre :

— Tu peux me donner plus de précisions ? Il y avait un sceau tracé ? Un pentacle ? Ou plutôt comme un cercle rituel ?

Adam écoutait avec attention, de plus en plus intrigué par la tournure de la conversation.

— L'enquête est en cours, je ne suis pas censé t'en parler, répondit Mathias avec un soupir embêté. 

— C'est pourtant toi qui m’appelles, rétorqua Diane.

— Ça te dérangerait de m'envoyer de la documentation sur les éléments que tu as évoqués ?

Diane souffla du nez, irritée.

— Non, non, je t'envoie ça sur ton adresse mail.

— Merci, salut.

— Salut, marmonna-t-elle alors qu'il raccrochait déjà.

La jeune femme sentait le regard brulant de curiosité d'Adam posé sur elle.

— Il voulait des infos pour une enquête, lâcha-t-elle, toujours agacée par le comportement de son frère.

— Pas étonnant, tu répètes tout le temps qu’il n’a que son travail dans la vie.

— Hum...

Diane conserva un air contrarié. Son frère ne prenait jamais de ses nouvelles, elle avait cru au miracle avec ce coup de fil. Depuis qu'elle était montée à Paris, sa famille ne lui parlait pas beaucoup. Adam entoura son épaule d’un bras réconfortant.

— Ne laisse pas le vilain gendarme gâcher ta journée de princesse.

— En plus, il l’a joué secret-défense et je n'ai rien pu lui dire d'utile, se plaignit-elle d'une petite voix.

Adam les fit se balancer pour qu'elle décroche un sourire.

— Il a dit quoi exactement ?

— Qu'il cherchait des données sur les cercles rituels, répondit-elle en se déridant.

— Des cercles comment ? Genre cercle de culture ou plutôt invocation ? questionna-t-il en s'intéressant véritablement au sujet.

— C'est bien le souci, il n'a pas voulu lâcher plus d'indices. Il a évoqué des objets brûlés aussi, se rappela-t-elle.

— Ouuuh, des paysans cannibales on fait un barbecue qui a mal tourné ? se réjouit Adam en se frottant les mains.

— T'es bête !

Diane posa sa tête sur l'épaule d'Adam en rigolant.

— Fait pas ton parisien bobo-con.

— C'est pour te faire rire. Tu es la première à dire que tu ne pourrais plus vivre à la campagne.

— Et je le maintiens, tu n'as jamais vu le trou paumé d'où je viens.

— Non, et c'est bien dommage. Je suis sûr que ça ferait une super vidéo. Doit y avoir plein de maisons hantées par chez toi.

— Les gens meurent d'ennui, alors les fantômes seront tout aussi soporifiques.

Adam eut un petit rire. Le silence retomba quelques instants. Un couple passa près d'eux avec une pousette, un nourrisson profondément endormi à l'intérieur.

— Tu veux qu'on approfondisse le sujet sur les cercles ? proposa le jeune homme pour relancer l'échange.

Diane soupira bruyamment en se redressant.

— Je lui enverrai ce que je sais, il ne me rappellera certainement pas de toute façon.

Elle s'affaira à faire disparaître les cadavres de paquets de chips et d'emballages de sandwich. Diane ruminait les évènements des années passées. À ses dix-huit ans, elle avait plié bagage pour Paris, son rêve. Peu lui importait les études de lettres qu'elle avait sélectionnées, ça ne représentait qu’une formalité, un passeport vers sa liberté. Après sa licence avortée, et surtout sa rupture, son projet de devenir vidéaste l'avait sorti de la dépression. Elle avait emménagé avec Adam, lancée sa chaîne, tout cela pour occulter. Diane redoutait le soir, le moment du coucher, quand elle se retrouvait seule avec ses pensées. Son habitude de s'endormir devant des vidéos venait de là. Le bruit faisait taire la petite voix intérieure qui voulait la mettre face à ses émotions. Elle sortait beaucoup, faisait la fête. Adam se révélait plus casanier. Perpétuellement à la recherche du bon, du grand amour, chose à laquelle Diane ne croyait plus.

— On va faire quelques plans dans les bosquets ? proposa-t-il en voyant son visage bougon.

Elle afficha un sourire timide.

— Oui, d'accord.

— Je suis même d'humeur à faire le paparazzi. Ça permettra de changer ta photo de profil sur les sites de rencontre.

— N'importe quoi, rit-elle cette fois franchement en lui donnant une tape sur le bras.

— Versailles a un passé coquin tu sais. Imagines le nombre de jupons qui ont été soulevés à l’abri des buis soigneusement taillés.

Il lui lança un regard lubrique en faisant bouger ses sourcils. Diane éclata de rire avant de hisser son sac sur son épaule.

Un après-midi ne suffisait pas pour arpenter le jardin et découvrir tous ses secrets. La jeune femme regretta vite sa voiturette, rendu à l'issu du déjeuner. La plante de ses pieds se plaignait de plus en plus douloureusement alors qu'ils exploraient le jardin du roi et observaient bassins et fontaines. Les bosquets restaient les endroits favoris de Diane. Elle fit un top trois dans sa tête : en troisième position, le bosquet des bains d’Appolon et sa grotte artificielle, ses statues d’un blanc immaculé se détachant sur la roche grise. À la deuxième place, le bosquet des Trois Fontaines, offrant trois niveaux de jeux d’eau, bassin et jets. Un véritable temple de l’eau. Et sur le haut du podium, le bosquet de la Colonnade, trente-deux colonnes de marbre formant un péristyle propulsant les visiteurs dans une ambiance gréco-romaine.

Diane se sentait hors du temps dans ce dernier bosquet. Sa main joua distraitement avec la vapeur d'eau qui s'échappaient des grandes vasques de pierre. Son regard s'attarda sur la Proserpine de pierre se faisait enlever par Pluton, au centre de l'ensemble. La poésie du lieu était envoutante. Toute trace de colère l'avait quitté, elle se sentait parfaitement détendue.

L'heure de fermeture approchait, ils remontèrent vers le bassin de Latone pour trouver la sortie. Adam baillait à s'en décrocher la machoîre, le matériel de tournage lui meurtrissant les épaules.

Pas de billet de mauvaise augure sous l'essuie-glace, Diane en fut ravie. Il fallait maintenant conduire dans les bouchons pour retrouver leur mouchoir de poche parisien.

— On dira ce qu'on voudra, cet endroit est vraiment magnifique, affirma la jeune femme en lançant la voiture sur les pavés.

— Oui, après je trouve ça dommage que les touristes se cantonnent au château alors qu’il y a d'autres choses à voir dans Versailles, répondit Adam en otant ses chaussures.

Il se mit à masser ses pieds avec un grognement mêlant plaisir et douleur. 

— Sans doute. Je t’avoue que je n’ai jamais eu la curiosité de visiter la ville.

Diane changea la station de radio. La publicité laissa place à une musique entêtante.

— Des nouvelles de ton frère ?

— Oui, il a répondu à mes articles en me demandant " C'est quoi la wicca ? ".

Les deux amis ricanèrent.

— Chacun son domaine d'expertise et sa culture générale, concéda la jeune femme.

— Mais il n'a pas internet pour se renseigner ?

Diane eut un rictus moqueur.

— Ça se trouve, dans sa gendarmerie, on communique encore par pigeon voyageur.

Adam pouffa.

— En tout cas, je crois que je suis bonne pour une journée de recherches demain, soupira-t-elle.

— Je savais que tu voudrais approfondir le sujet, appuya le brun avec un sourire.

La voix féminine du GPS leur donna une indication et Diane actionna le clignotant.

— Je me dis qu'au pire, ça fera de la matière pour un prochain épisode, répondit-elle en haussant les épaules.

— Tu n’as qu’à lui parler du " cercle des poètes disparus ".

Diane sourit et baissa sa fenêtre. Le film était un de leurs préférés. Ils le regardaient souvent le dimanche soir pour se détendre, roulés sous une couverture.

— " Ô capitaine mon capitaine " ! lança-t-elle, cheveux au vent.

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