Affaire classée

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Mathias attendait avec impatience les résultats du laboratoire. Il tira un gobelet à la fontaine à eau et essuya le regard de Kelly Valois. Il oubliait sans arrêt qu'il pouvait placer son mug pour ne pas utiliser de gobelet plastique. Il soupira. Ça n'était pas lui qui faisait des trous dans la couche d'ozone. Kelly aurait beau faire pipi sous la douche et ne plus manger de viande, elle ne sauverait pas le monde. Il respectait ses convictions, mais pensait objectivement que le sort de l'humanité reposait sur les agissements des multinationales, non sur les actes du bas de l'échelle sociale. Il en avait assez de culpabiliser, déjà qu'il s'en voulait de ne jamais trouver les mots avec Diane.

L’adjudant Bérand sortit le nez de son bureau et le héla.

Mauvais signe, se dit Mathias.

Il traina des pieds jusqu'à l’ouverture et s'appuya contre le cadre de la porte.

— Entrez, entrez, Brochart, et fermez la porte derrière vous.

Mathias s'exécuta. Il s’assit sur une des chaises inconfortables en face du bureau. L'homme aux cheveux poivre et sel finissait un appel téléphonique. Il lui désigna la cafetière dans le fond de la pièce. Mathias se remit sur ses pieds pour aller quérir deux cafés. Il ne sucra pas le sien mais laissa tomber deux carrés dans celui de Gilles Bérand. Il posait les deux boissons fumantes sur le bureau au moment où l’adjudant replaça le combiné sur sa base.

— Mon petit Mathias, bien triste le cas Jacques Reignac.

— Comme vous dites. Des nouvelles

— Le major Devéze fera un compte-rendu à l'équipe

Mathias tiqua immédiatement sur le nom.

— Devéze ?

Son supérieur s'y attendait.

— Je sais que vous avez des divergences d'opinions sur vos méthodes de travail. Le fait est que la procureure l’a nommé directeur d’enquête, c’est lui qui a assisté à l’autopsie.

Mathias était ulcéré.

— Mais attendez, c’est moi qui l’ai appelé ! J’y suis resté toute la matinée ! Non mais Devèze, le travail bâclé, c'est son crédo !

— Major Devèze, rectifia l’adjudant. Écoutez Brochart, je suis les directives de la procureure, faites-en de même.

— Il va classer l'affaire plus vite que son ombre ! s’énerva encore le maréchal des logis-chef.

— Toc, toc.

Devéze se tenait dans l'embrasure de la porte, la main sur la poignée. Il laissa ses yeux noirs et son sourire goguenard tomber sur son surbordoné. Voir Brochart aussi bougon le mettait réellement en joie.

Quand on parle du loup, on en voit la queue, pensa Mathias, dents serrées, en se levant pour le saluer dans les règles.

Le major serra ensuite amicalement la main de l’adjudant avant de se diriger vers la cafetière.

— Le labo va appeler d'une minute à l'autre. Je pars sur l’enquête de voisinage pour le suicide de Jacques Reignac.

Mathias eut du mal à garder son sang-froid.

— Comment pouvez-vous statuer sur un suicide sans les résultats ?

L'autre se versait une tasse.

— J’ai assisté à l’autopsie et j’ai parlé au médecin légiste. On ne va pas épiloguer cent sept ans sur une personne qui a pris des cachets. Sa femme est morte, il vivait seul. La tempête l’a terrorisé, il a cru à l'apocalypse et fin, rideau.

— Et comment vous expliquez le cercle ?

Devèze arrêta de touiller son café.

— Le cercle ? Quel cercle ? questionna-til, un sourcil en l'air.

Tout dans son apparence excédait Mathias, des médailles qu'il ne méritait pas accrochées à la veste de son uniforme, aux mèches de ses cheveux chatains qu'il ordonnait sur son crâne pour masquer sa calvitie naissante.

— C'est bien ce que je vous disais ! bouillonna le maréchal des logis-chef en se tournant vers l’adjudant Bérand. Il lit ses dossiers pendant sa pause clope.

— Doucement Brochart ! aboya le major.

Mathias serra une fois de plus les mâchoires.

L’adjudant lui fit les gros yeux avant de l’appuyer :

— Mathias fait référence au cercle dans le jardin. Mais peut-être n’avez-vous pas encore eu les photos des TIC ?

Devèze ricana et renifla bruyamment.

— Si, j’y ai jeté un coup d’œil. Vous avez vu le récupérateur d'eau à quelques mètres ? Avant de vous lancer dans des hypothèses aberrantes, vérifiez déjà qu'on a pas juste déplacé une citerne.

Le destinataire de la pique lui lança un regard noir.

— On parle d'un homme de quatre-vingts ans. Il n'a pas pu la bouger tout seul. J'ai regardé, elle était pleine.

— Eh bah, il l'a bougé cet été, pendant la sécheresse, improvisa Devèzes sans perdre son insupportable sourire narquois.

Mathias referma ses mains sur le coussin de sa chaise pour résister à la tentation d'envoyer valser son poing dans le menton du major.

— Si c'était le cas, le cercle n'aurait pas été aussi net, répondit-il d'une voix tranchante.

— Oh ! Mais vous m'agacez avec votre cercle, s'emporta le major, manquant de renverser sa boisson. Toujours à pinailler. Vous allez me sortir une théorie en fonction de l'alignement des bocaux sur les étagères aussi ?

L'adjudant Berrand sentit qu'il était temps d'intervenir.

— Bon, messieurs, restons professionnel. Major, peut être pourriez-vous prêter attention au détail pointé par le chef Brochart. Il est connu pour avoir de bonnes intuitions. Et vous, Mathias, laissez le major Devèze poursuivre son enquête.

— Bien, mon adjudant, lâcha-t-il avant de se lever. Je pars en patrouille.

— Bonne patrouille alors, ironisa Devèze.

Mathias se retint de lui montrer son majeur. La veille, il avait relevé des détails intéressants dans les documents envoyés par sa sœur. Il était intimement convaincu que ce cercle avait été tracé à dessein par une personne.

— Vincent, on part en patrouille, indiqua-t-il au jeune un peu trop abruptement.

— Oui, chef, répondit aussitôt l'intéressé en se dirigeant au trot vers le vestiaire.

Le trentenaire suivit le jeune homme. Le garçon était d’humeur égale, toujours le sourire aux lèvres. Mathias s’approcha du visage juvénile, marqué par des cicatrices d’acné sur les joues.

Il lui dit tout bas :

— J'ai besoin que tu me rendes un service.

— Bien sûr, chef, s'empressa de dire la nouvelle recrue.

— Quand on rentrera cette aprèm, surveille Devèze du coin de l'œil. Je sens qu’il va trainer ici toute la journée. Je veux des infos sur l'affaire Reignac.

Vincent fronça les sourcils en ajustant son ceinturon.

— On ne s’en occupe plus, chef ?

— Non, la procureure a voulu qu’il reprenne le dossier. Tout ça parce qu’il a assisté à l’autopsie.

Mathias relaça rageusement ses chaussures d’intervention.

— J’ai entendu dire que vous ne vous entendiez pas très bien avec lui, chef, osa le jeune.

— On ne travaille pas de la même façon. Chacun ses priorités, et celles du major consistent à boucler les enquêtes aussi vite que possible.

Vincent tenait à la marque de confiance que venait de lui témoigner le maréchal des logis-chef. Il avait foi en son jugement et comptait mener sa mission d'espionnage à bien.

— Je vais laisser trainer mes oreilles , chef, confirma-t-il avec un grand sourire.

Mathias donna une tape affectueuse dans le dos du jeune avant de sortir des vestiaires.

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