Démonologie

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Diane s’affala sur le canapé du salon. Le visage encore froissé par le sommeil, elle alluma la télévision. Manger ses céréales devant les dessins animés constituait une étape importante de sa routine matinale. À son plus grand désarroi, les animés de son enfance étaient progressivement remplacés par une nouvelle génération qui, à son goût, ne leur arrivaient pas à la cheville. Où étaient passés Martin Mystère, Esprit fantôme et Scooby-doo ? Le chien glouton et ses amis chasseurs de monstre avaient bien eu le droit à de nouvelles aventures, mais sans le générique mythique, ça ne valait vraiment pas le coup. Elle regarda l'écran d'un œil vaseux, distraite par les voix cartoonesques.

— Tu n'es pas rentrée super tard hier.

Adam se pencha par-dessus le canapé pour lui coller un baiser sur la joue. Elle grogna pour tout salut.

— Oulah, tu as pris un verre de trop ? Tu as la tronche en accordéon.

Il se versa un verre de jus d'orange et se laissa choir à côté d'elle, tirant sur le plaid pour qu'elle partage la couverture.

— J'aurais dû me méfier des cocktails du bar cubain, répondit-elle d'une voix enrouée.

Adam eut un ricanement moqueur et entama sa vitamine C.

— Pauvre cocotte, battre des cils et tortiller de la croupe, ça donne soif tout ça.

— Tu vas te fiches de moi longtemps ? bougonna-t-elle agacée.

— J'ai droit à Dianou grognon aujourd'hui ?

Elle se renfrogna un peu plus. Adam adorait mettre en exergue son lunatisme. Elle s'entendait souvent reprocher son caractère difficile et louait la compréhension et la patience de son ami.

— Pardon, j'ai la migraine...

Adam se releva pour aller se chercher un pain au lait. Au passage, il attrapa une boîte de médicaments et fit couler un grand verre d'eau.

— Allez, cul sec ma vieille et pas de grimace !

Diane envoya le cachet au fond de sa gorge et but l'eau sans rechigner.

— Tu m'as parlé d'une journée recherches, hier, en fait tu voulais dire…

Chaos et cacao, compléta-t-elle.

— C'est bien ce que je me disais, confirma-t-il d'une voix joyeuse, je prends mon ordi alors.

Leur repère favori se trouvait non loin de l'appartement du onzième arrondissement qu'ils louaient. Ils avaient poussé totalement par hasard la porte de cette boutique de jeux de société, proposant également un coin lecture et coffee shop. Les deux propriétaires s'étaient révélés de grands fans de la chaîne et des passionnés de l'occulte. Les étagères débordaient de livres sur le sujet, de véritables petites pépites chinées au fil du temps. Adam y allait régulièrement pour faire du montage en sirotant un mort-vivant frappé (subtil mélange de café extra fort, chantilly, glace pillé et coulis caramel).

En cette fin de matinée, les deux compères passèrent la porte en faisant tinter la clochette aux ailes de chauve-souris.

Magda, la patronne aux airs de Morticia Adams, longs cheveux corbeau et toujours vêtue de noir, leur sourit aussitôt et lança à son compagnon en cuisine :

— Marco, un mort-vivant et un loup-garou steuplait !

Adam et Diane s'approchèrent du comptoir et lorgnèrent sur la vitrine de pâtisseries.

— Salut Magda ! lança Diane. Je voudrais le carotte cake de la mort qui tue please.

La trentenaire brune opina du chef et tourna son regard surligné d'un large trait de khôl vers Adam, attendant son verdict. L'intéressé se rongea un ongle une bonne minute, indécis, puis finit par se décider :

— Je pars sur un muffin cœur sanglant.

— Framboise ou chocolat ?

— Magda, quelle question, lui reprocha faussement Adam.

— Chocolat donc, répondit-elle en attrapant la pâtisserie à l'aide d'une grande pince.

Pendant qu'elle arrangeait le tout sur deux plateaux, Diane la questionna :

— Dis-moi, les cercles rituels, ça te parle ?

— Un peu mon n'veu. Y'en a tout un tas. Tu cherches à invoquer qui exactement ? demanda-t-elle en essuyant ses ongles vernis en noir et décorés de pentacle dorés sur un torchon.

— Oulah personne ! s'empressa d'affirmer Adam.

— Non mais, je ne te comprendrai jamais, rebondit aussitôt Diane. Tu passes tes nuits à regarder des films d'horreur et tu restes le plus grand pétochard de la création.

Magda rit de bon cœur.

— Les films restent de la fiction, la réalité c'est autre chose, répondit très sérieusement Adam. Ne t’avise pas de me coller devant une planche Ouija.

— Pourtant c'est marrant, une fois avec Marco on a..., entama la patronne avec un air malicieux.

— Lalalalala ! se mit à chantonner le jeune homme en se bouchant les oreilles.

Les filles éclatèrent de rire.

— En tout cas, tu as tout ce qu'il faut pour te renseigner dans les bouquins du fond, affirma Magda. Je te conseille de commencer par du classique : le dictionnaire infernal de Collin de Plançy, l'ars goetia et le pseudomonarcia demonum.

— Ok, merci beaucoup !

Les deux amis se saisirent de leurs plateaux et allèrent s'installer. Adam se cala sur sa chaise et entama son muffin.

— Elle t'a lancé un sort Madga avec son demonum machin-chose.

— T'es bête, sourit Diane. C'est un traité de la Renaissance sur la classification des démons et les moyens de les conjurer.

Adam fit la moue, des miettes aux coins des lèvres.

— Tu vas nous attirer le mauvais œil à lire des trucs pareils. Crois-moi sur parole, s’il faut se promener avec une salière ou mettre des gousses d'ail dans ses poches pour repousser les démons, je le ferai.

Diane secoua la tête, dépitée, un sourire amusé sur le visage.

— On tient une chaîne sur les lieux hantés, tête d'âne. C'est maintenant que tu t'inquiètes pour le mauvais œil ?

Adam lui tira la langue et ouvrit son ordinateur portable. Son carotte cake fini, Diane se dirigea vers les ouvrages. Elle parcourut les tranches des livres : La Bible du diable, le marteau des sorcières, le testament de Salomon, le traité sur le mal de Saint-Thomas d'Aquin... Il y avait de quoi faire. Le temps de lire tout ça et la nuit serait tombée. Elle empila les volumes conseillés par Madga et les transporta jusqu'à sa table. Adam avisa la pile et grimaça.

— Au lieu de faire cette tête, cherche sur internet toi, ordonna Diane.

Encyclopédie du paranormal me voilà ! claironna Adam.

Chacun se plongea dans sa lecture. Le silence s'installa à la table, seulement brisé par le bruit des pages tournées et des doigts courants sur le clavier de l'ordinateur.

Après plus d'une heure, Diane leva le nez de son livre, la nuque raide.

— Tu as des pistes ?

— Je lis des articles sur les crop circles[1], répondit Adam, le nez sur son écran. C'est pas évident d'orienter les recherches vu le peu d'informations que ton frère nous a fourni. Et toi ? Tu en es où ?

— Chapitre sur les morts mangeurs de chair humaine.

— Euh, pardon ? grimaça le jeune homme.

Diane illustra son propos en lisant à haute voix un extrait du dictionnaire infernal qu'elle tenait ouvert devant elle depuis une bonne demie-heure :

" Une demoiselle d'Augsbourg étant tombée en léthargie, on la crut morte, et son corps fut mis dans un caveau profond, sans être couvert de terre. On entendit bientôt quelque bruit dans son tombeau ; mais on n'y fit pas attention. Deux ou trois ans après, quelqu'un de la famille mourut : on ouvrit le caveau, et l’on trouva le corps de la demoiselle auprès de la pierre qui en fermait l'entrée. Elle avait inutilement tenté de déplacer cette pierre, et elle n'avait plus de doigts à la main droite, qu'elle s'était dévorés de désespoir.[2] "

— Su-per, appuya Adam.

Diane coinça un marque-page dans le livre, avant de le refermer en soupirant.

— À part si mon frère traque des cannibales, c'est sûr que ça ne va pas aider. Dis-m'en plus sur tes crop circles.

Adam fit défiler les paragraphes pour retrouver les passages les plus intéressants.

— Alors, ça dit qu'il y a des amateurs du genre appelés les circlemakers. Ils dessinent volontairement des crop circles, souvent en couchant des épis de blés ou des hautes herbes, histoire que ça soit visible d'un point de vue surélevé. Pour les cercles sans explication, certains sont pour la théorie des " nids d'ovnis ", apparemment les gens ressentiraient des maux de tête et un sentiment de malaise aux abords. D'autres, a contrario, parlent d'un dégagement d'énergie positive.

Il leva le nez pour aviser la réaction de Diane.

— En gros, on dit tout et son contraire.

— Ouaip, soupira Adam.

— Je vais rappeler mon frère, ça sera plus simple. Là on cherche à l'aveuglette.

Le jeune homme bailla et s’étira, passa une main dans ses cheveux bruns et bouclés, et se décida à recommander un café. Diane dégaina son portable. Elle tomba sur le répondeur de son frère. Découragés, ils plièrent bientôt bagages et rentrèrent à l'appartement.



[1] Les crop circles ou « cercles de culture » en français, sont des motifs géométriques réalisés en couchant des végétaux. Visibles depuis le ciel, on les attribut souvent à des phénomènes paranormaux, bien que certains auteurs de ces agroglyphes se soient fait connaître.

[2] Dictionnaire infernal de Jacques Collin de Plancy, page 334, édition de 1853.

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