Salvia divinorum

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Diane consacra un moment à la lecture des commentaires sous leur dernière vidéo. Elle grimaça devant certains propos déplacés et inséra de nouveaux mots à bannir dans le service de modération. Elle apparaissait pratiquement toujours seule à l’écran. Adam ne se sentait pas vraiment à l’aise devant la caméra. Elle apprenait peu à peu à se blinder face aux remarques sur son physique, cible facile des haters et autres trolls du net. Certaines personnes préféraient laisser un message concernant la fermeté de son postérieur, plutôt que sur le sujet abordé. À un moment, elle avait été sportive, Quentin la motivait à aller à la salle de sport. Son cardio n’était plus le même qu’alors et elle s’en fichait pas mal. Adam et elle avaient décidé que la vie était trop courte pour critiquer son physique et ne pas s’aimer. Néanmoins, il y avait toujours les autres pour pointer vos défauts et appuyer là où ça faisait mal.

Adam proposa de visionner les images prises à Versailles. Diane en profita pour lui faire un compte-rendu des résultats du sondage soumit à leur communauté.

— Les avis sont partagés entre le Mont St Michel et le château de Chambord, résuma-t-elle.

— Un épisode dans l'un ou l'autre aura de la gueule de toute façon.

— Tu as une préférence ?

— Hummm... réfléchit-il un instant en levant les yeux au plafond. Je pense que le Mont St Michel a un côté plus mystique, avec ses chapelles souterraines et son emplacement sur un ancien site païen.

— Oui c'est vrai, acquiesça sa comparse. Y'a de quoi faire avec la guerre de Cent Ans et le fait que l'abbaye ait servi de prison.

Le téléphone de Diane vibra, Mathias rappelait.

— Oui, décrocha-t-elle.

— Ça y'est, je suis en pause. Tu voulais quoi ?

— Je te rappelle que c'est toi qui demandais des précisions sur les cercles et les rites wicca, répondit-elle sur un ton glacial.

Il y eut un silence au bout du fil.

— Allô ?

— Oui, pardon, en fait je n'ai pas une super nouvelle. Je ne suis plus sur l'enquête, avoua-t-il entre la gêne et la colère, le portrait de Devèze flottant dans son esprit. 

— Ah...

Diane se laissa glisser contre le dossier du canapé.

— Ça aurait été sympa de prévenir, bougonna-t-elle. J'ai passé la journée à faire des recherches.

— Excuse-moi. Mais ça m'intéresse quand même de savoir ce que tu as trouvé, enchaîna-t-il en tentant de prendre un ton plus enjoué.

— Ce qui serait bien déjà, c'est que tu me donnes des précisions.

Sa demande fut accueilli par un nouveau silence.

— Dis-moi au moins s'il y avait des inscriptions, poursuivit-elle pour qu'il se décide à se mettre à table, et avec quelle matière elles étaient tracées. Si c'est une invocation de démon, le sceau nous dira exactement l'entité que la personne cherchait à maîtriser.

— Non, rien de ça. C'était dessiné dans la terre.

On avance enfin, pensa-t-elle, il faut battre le fer pendant qu'il est chaud !

— Ok, et un cercle de quelle dimension ? Un canular du genre maïs couchés ?

— Non, non, comme je te le disais, ça correspondait plus aux infos que tu m'as communiquées sur les wiccas.

— Je vois, donc traçage avec un athamé.

— Euh, à tes souhaits ? ironisa Mathias, les sourcils froncés par l'incompréhension.

Le gendarme arracha un sourire à sa sœur.

— Pour faire très simple, disons que c'est une baguette magique. Un objet consacré qui sert à tracer le cercle, ça peut être un bâton, un poignard, une dague.

— Hum...

Diane sentait son frère en pleine réflexion.

— Et tu me disais qu'il y avait des traces de plantes brulées au centre du cercle. De la sauge ?

Mathias jura.

— Bah, qu'est-ce qui te prend ?

— Je n'ai pas accès aux résultats du laboratoire, avoua-t-il en se passant une mains nerveuse dans les cheveux. Disons que le directeur de l’enquête n'est pas mon pote. Il ne donne aucune crédibilité à mes pistes.

— Raconte.

Diane appuya sur la touche du haut-parleur pour Adam, qui observait jusqu'à là l'échange au travers des réactions de sa colocataire.

— Non, vraiment, je ne suis pas censé en parler, soupira Mathias, pour qui les confidences sur ses ressentis n'étaient pas naturels.

— Maintenant que tu nous as mis l'eau à la bouche, il va falloir cracher le morceau, insista sa sœur.

— Nous ? Tu veux dire, Quentin et toi ?

Le visage de Diane se ferma.

— Bonjour Mathias, non c'est Adam, le colocataire de Diane.

Il posa une main sur sa jambe pour la décrisper.

— Ah, d'accord, se reprit Mathias en se traitant mentalement d'idiot. Bonjour Adam, tu fais des vidéos avec ma sœur, c'est ça ?

— Oui nous travaillons ensemble.

Adam insista sur le mot " travail ".

— Diane, tu me parlais de plante, enchaîna Mathias pour dissiper le malaise et revenir au sujet qui l'intéressait.

— Tu éludes mes questions sur l'enquête, répondit-elle froidement.

Il inspira profondément, comme agacé.

— Je t'en dirai plus dès que je le peux.

Diane singea la phrase de son frère en silence. Adam lui fit signe d'arrêter. Il était bien trop sensible à la tête de son amie faisant des grimaces.

— Diane ?

— Oui, la sauge est souvent utilisée dans les rituels de purification.

— Ok, donc un peu comme de l'encens ?

— Si on veut. À la base, les mazatèques l'utilisaient pour avoir des visions. Et avant que tu ne poses la question, les mazatèques sont des indigènes du Mexique.

Mathias sourit avant de reprendre :

— C'est un hallucinogène donc ?

— Oui, au Mexique comme je te le précisais, insista-t-elle en une parfaite parodie de l'attitude d'Hermione Granger dispensant une leçon. Les chamanes mâchaient les feuilles pour entrer en contact avec un autre plan, selon eux bien sûr. Pour ça qu’on la nomme Salvia divinorum, ou sauge des divins en Europe. Apparemment, c'est assez puissant comme plante.

— Tu es bien renseigné, releva-t-il.

— Tu n'as qu'à regarder ma chaîne pour connaître l'étendue de mes connaissances.

Elle regarda Adam, qui lui fit un clin d'œil. Une petite pique ne pouvait pas lui faire de mal. Mathias préféra ne pas rebondir sur la remarque.

— Merci pour tes lumières. Je reviens vers toi dès que j'ai du nouveau.

— Tu sais que je suis ta sœur, pas une de tes collègues, répondit-elle aussitôt d'une voix tranchante. 

De l'autre côté de la ligne, Mathias ferma les yeux. Dieu qu'il pouvait se montrer maladroit.

— Je sais bien Diane. Pourquoi tu ne viendrais pas nous voir ? On passerait un peu de temps ensemble comme ça.

— Humm, je vais y réfléchir.

Elle fit mine d'avoir un haut-le-cœur. Adam plaqua une main sur sa bouche pour couvrir son rire. Le frère et la sœur échangèrent les dernières politesses et elle reposa son téléphone. Adam glissa son ordinateur sur ses genoux.

— C'est peut-être pas une mauvaise idée de passer un peu de temps dans ta famille.

— La corvée de noël me suffit amplement, merci.

Elle se plongea dans ses réseaux sociaux.

— Non mais vraiment, Diane, ça fait un moment qu'on a pas pris de vacances.

— C'est pas des vacances d'aller chez moi, mais une punition.

Adam secoua la tête. Pour le moment, elle jouait les bornées, mais il savait qu'il venait de planter une graine dans son esprit, ne restait plus qu'à la laisser germer.

Diane n’en revenait toujours pas. Deux ans depuis sa séparation et son frère n’était pas fichu de s’en souvenir. Elle se souvint qu’il avait oublié d’appeler cette année pour son vingt-troisième anniversaire. Pas étonnant qu’il ne retienne pas les détails de sa vie amoureuse. Elle jeta un coup d’œil à Adam, occupé à brancher le câble HDMI à la télévision. Son frère de cœur remplissait bien mieux son rôle que son frère de sang.

— Bon alors, c’est qui ton nouveau gars ? questionna-t-elle tout sourire pour interrompre ses ruminations.

Il eut un rictus malicieux.

— J’en parlerai quand ça sera plus concret.

— T’es toujours si secret sur tes histoires, ronchonna-t-elle. Tu pourrais me le dire à moi quand même.

La jeune fille prit un air de chien battu.

— Dianou, on partage les mêmes toilettes, c’est déjà assez niveau intimité. J’ai le droit à mon jardin secret.

L'intéressée haussa les épaules, vexée, et remit le nez dans son portable.

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