Mortemer

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— Mais tu es sûr de ton coup ? Hum… bon, sois prudent alors, oui, rappelle-moi.

Diane raccrocha et tordit sa bouche en une moue préoccupée. Adam lui jeta un coup d’œil avant de reporter son attention sur la route de campagne.

— Alors ? demanda-t-il avec impatience.

— Alors, il m’inquiète. Le gars chargé de l’enquête maintient la piste du suicide, mais Mathias pense dur comme fer qu’il se trompe. Il va retourner sur les lieux où il a découvert le corps.

Adam leva un sourcil.

— Il a le droit de faire ça ?

— J’en sais rien. Il veut revoir le cercle et me l’envoyer en photo.

— Ah bah, finalement, il se décide à te faire confiance.

— Je crois qu’il laisse tomber ses principes à mesure que l’enquête n’avance pas dans son sens.

Diane s’accouda au rebord de la fenêtre, boudeuse.

— Ma mère veut que je vienne les voir.

— Ton frère joue les messagers ? devina Adam, amusé.

— Humm… grogna-t-elle. Trop fière pour me supplier elle-même au téléphone. Elle fait la reine de glace depuis que je suis partie.

— Va falloir passer à autre chose, ça fait un moment maintenant.

La journée grise annonçait le mois d’octobre. Bientôt, les arbres se pareraient de couleurs sublimes, avant de perdre leurs manteaux de feuilles. La campagne normande déprimait franchement Diane, faisant écho à sa non-motivation à retourner dans le Limousin. Pas un chat dans les rues, des bourgs vides, des routes sinueuses qui ne menaient nulle part. Elle feuilleta la pochette de cd pour mettre quelque chose qui égayerait cette atmosphère morne.

— Et du coup ? insista Adam.

— Du coup, quoi ?

— Bah, on y va ou pas ? Toi qui te plains qu’ils ne te réclament jamais, là tu as ton frère et ta mère qui veulent te voir.

— Mouais, j’en sais rien. Je ne suis pas convaincue de vouloir aller m’enterrer là-bas, ne serait-ce que pour quelques jours.

— Et si on trouve des sujets de vidéos à tourner ?

Diane ne répondit pas. Elle glissa une compilation nommée « méga soleil » dans la fente de l’autoradio. Les jours raccourcissaient, annonçant la fin des verres en terrasse dans la douceur du soleil couchant.

Adam gara la voiture sur un parking d’herbes et de graviers. Un portail en bois blanc béait, ouvrant sur un vaste pré d'herbe, signe que le lieu accueillait des visiteurs. Les ruines de l’abbaye de Mortemer se dessinaient dans le paysage. Les deux amis se présentèrent à l'accueil du monument et furent autorisés à tourner dans le parc jouxtant les restes de l’église. Ils longèrent le bâtiment  du XIIème siècle à la recherche de l'emplacement idéal. Diane leva le nez sur les restes de patrimoine voulut par le premier Duc de Normandie. L'endroit était réputé pour la chasse au fantôme, ce qui l'excitait tout en lui faisant froid dans le dos.

— Bon, pour la lumière on repassera, râla Adam, le nez dans ses réglages.

— Oui, et puis, merci l’humidité.

Ses cheveux maintenant coupés aux épaules, Diane se battait contre des frisettes rebelles. D’ordinaire, ils restaient lisses comme des baguettes, mais le crachin la transformait en mouton.

— Après, niveau décor, on est servi, ça fou carrément la chair de poule, frissonna Adam en remontant la fermeture de sa veste aviateur jusqu’en haut, cachant son menton dans son col.

Il ne restait du monument que quelques pans de mur laissant deviner l’emplacement de la rosace. L’aspect du lieu aurait pu paraître romantique sans les légendes qui lui collaient à la peau — ou à la pierre. Loin du charme de sa cousine de Jumièges, l’abbaye possédait tout de même un parc avec des étangs, un pigeonnier et un bâtiment abritant le musée.

Voyant les nuages devenir de plus en plus noirs Diane pressa Adam.

— Si tu as un teint de vampire tu ne te plaindra pas, grommela l'intéressé, bousculé dans ses réglages.

Elle se mit en place et débuta son speech :

— Bonjour mes petits spectres, bienvenue à l’abbaye de Mortemer. Drôle de nom n'est-ce pas ? Eh bien, il signifie en réalité « mer morte », en référence au marécage asséché pour sa construction. Le monument vit le jour en 1134, suite à la demande d’Henri Ier Beauclerc. Cet édifice voué à Dieu a pourtant tout d’une maison du diable, si l'on en croit les rumeurs.

Diane sortit une pièce de sa poche et la montra à la caméra.

— Avis aux célibataires, dans ces murs coule la « fontaine de Sainte Catherine » . D’après la légende, si une femme célibataire y jette une épingle à cheveux ou une pièce, elle trouvera un mari dans l’année. On peut d’ailleurs lire sur la fontaine : « Sainte Catherine soyez bonne. Nous n’avons plus d’espoir. De nos cœurs fortement épris. Donnez-nous un mari[1]. Mais revenons aux fantômes de Mortemer. Le plus célèbre serait une dame blanche nommée Mathilde, dite Mathilde l’Emperesse, petite fille de Guillaume le Conquérant. Contemporaine de l’abbaye, elle y fut enfermée pendant cinq ans par son père, Henri Ier d’Angleterre, et reviendrait la hanter.

Ils coupèrent la caméra. Diane passa un gant blanc à sa main droite et un noir à sa main gauche. Adam lui donna le top.

— Si la dame blanche vous apparaît, prenez garde à ses mains. Si elle porte des gants blancs…

Elle leva la main droite

— … pas d’inquiétude. Au contraire, si elle a des gants noirs…

Elle leva l’autre main.

—… c’est le signe que vous mourrez dans l’année. En plus de Mathilde, les cinq derniers moines habitant l’endroit y traineraient sous forme d'esprit depuis leur assassinat, lors de la Révolution française. Ajouté à cela qu’une femme louve, la Garrache, aurait été abattue ici en 1884. Condamnée à se transformer les nuits de pleine lune, la bête rôdait dans la forêt de Lyons et autour des villages.

Adam leva un pouce vers Diane.

— Ok, on refait une prise par sécurité.

Ils tournèrent pendant près d'une heure avant d'arriver à la conclusion :

— Pour en apprendre plus sur ces légendes, je vous invite à venir vous-même à Mortemer. Vous découvrirez les installations son et lumière, et pourrez même participer à une des célèbres « nuit des fantômes », organisées par l’abbaye. Personnellement, je ne compte pas m’aventurer dans la forêt de Lyons. J’ai d’autres lieux à explorer avant de rencontrer le diable.

Grand sourire et clap de fin. Adam coupa la caméra.

— Super ! Encore quelques images et on aura un bel épisode. Tu veux passer à la fontaine pour jeter une pièce ?

Diane roula son texte et frappa un Adam hilare avec.

Après l’exploration des ruines en long en large et en travers, ils furent contents de s’en éloigner. À force de se renseigner sur les prétendus fantômes du lieu, ils se sentaient quelque peu effrayés. Rien ne leur arrivait jamais dans les endroits dit hantés, pas pour autant qu’ils tenteraient d’y rester à la nuit tombée.

Remontée en voiture, Diane ouvrit les messages de son frère. La photographie du cercle la laissa pensive. Pour sûr, il avait été tracé de la main de l’homme. Elle le montra à Adam.

— Imagine des bougies aux quatre coins et ça ressemble bien à un rituel.

— Oui, enfin, avec un effort d’imagination. Ce n’est qu’un cercle dans la terre, résuma-t-il en démarrant le moteur.

— Pourquoi brûler précisément quelque chose au centre dans ce cas ?

— J’avoue que c’est bizarre, tu mets le GPS ?

Diane fixa le téléphone sur son support et rentra leur adresse parisienne. Elle resta muette et pensive pendant des kilomètres.

— À quoi tu réfléchis ? finit par lui demander Adam.

— Je pense qu’on va aller dans le trou du cul du monde.



[1] http://www.abbaye-de-mortemer.fr/fr/contes-legendes-abbaye-mortemer-dame-blanche.html

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