Archéobotanique

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Limoges, ville où les officiers en disgrâce atterrissaient durant la Première Guerre mondiale, loin du tumulte du front. Mathias s’y rendait plus jeune pour boire des coups avec ses amis, la plupart y avaient d’ailleurs pris leurs quartiers. L’ancienne Augustoritum comprenait quelque deux cent mille âmes dans son agglomération, beaucoup trop de monde pour le gendarme amoureux des grands espaces.

Mathias se confronta à la circulation urbaine. Il passa la gare en pierres apparentes, cachant sa charpente en béton armé, et poursuivit vers le nord. Le centre de recherches archéologiques ne se trouvait pas en cœur de ville mais dans une zone commerciale, en périphérie. Une pensée lui vint soudain, pourquoi ne ferait-il pas un crochet par le centre médico-légal ? Gratter quelques informations sur l’affaire Reignac serait bienvenu. Il tapota nerveusement le volant du bout des doigts, cela remonterait certainement aux oreilles du major Devèze. Il pouvait tenter d’embobiner les archéologues, pas les médecins légistes, bien trop chevronnés quant aux procédures. La veille, il avait visionné les conférences du colloque de 2019 : « archéologie et enquêtes judiciaires » organisé par l’Inrap et le tribunal de Paris. Le sujet se révéla fort intéressant et il comptait valoriser l’apport des archéologues à l’enquête, s’ils acceptaient de l’aider. Il gara son véhicule et se présenta devant un hangar ouvert. Il intercepta un grand gaillard, occupé à ranger des caisses contenant des sachets plastiques rempli de tessons de céramique.

— Bonjour !

L’autre se releva et le dévisagea.

— Je peux vous aider ?

— Oui, je suis gendarme et je souhaiterais m’entretenir avec un carpologue dans le cadre d’une enquête.

Pour dissimuler les doutes de l’homme, Mathias lui montra sa carte de maréchal des logis-chef. L’autre souleva sa casquette poussiéreuse pour se gratter la tête, avant de la renfoncer sur son crâne.

— Attendez ici, je vais chercher le DAST.

— Le quoi ? se demanda Mathias en voyant l’archéologue s’éloigner.

Il fourra ses mains dans ses poches et observa un homme et une femme nettoyer des objets sur une table de travail. Son interlocuteur à la casquette revint bientôt avec un collègue, au tour de taille plus marqué.

Il lui tendit la main :

— Bonjour monsieur, on va passer dans mon bureau si ça vous convient.

Mathias serra la main du directeur adjoint scientifique et technique. Il le suivit à travers l’entrepôt.

— Étrange lieu de travail, commenta intérieurement le gendarme.

Des poteries, des crânes, des squelettes d’animaux… les étagères ne se garnissaient pas seulement de dossiers.

Le DAST passa la tête dans un bureau :

— Maria-Louisa est là ?

— Chez les anthropo’, lui répondit une voix masculine.

— Ok, tu lui dis de passer me voir quand elle revient.

Le DAST partageait son bureau avec son adjointe, qui se trouvait au téléphone.

— Un café ?

— Non ça ira, merci.

Mathias ne se sentait pas vraiment à l’aise. Il aurait préféré parler directement à la personne et s’éclipser fissa. L’homme reprit sa place derrière son écran d’ordinateur et décala sa chaise pour faire face au gendarme.

— Ça n’est pas souvent qu’on nous demande de l’aide dans une enquête. Je n’ai vu passer aucun mail.

— Non, en fait je me suis dit que je viendrai directement vous voir.

— Un coup de chance que notre carpologue ne soit pas sur le terrain.

Le téléphone sonna, le DAST mit l’appel en attente.

— C’est Franck, précisa sa collègue depuis l’autre bureau. Il veut garder la mini-pelle encore quelques jours. Il va t’appeler jusqu’à ce que tu décroches, tu le connais.

L’homme râla et prit l’appel. Mathias se trouva forcé d’attendre. Une femme blonde aux cheveux frisés entra alors. Le gendarme resta pantois devant la nouvelle-venue. En robe décolletée et bottes hautes, elle ne ressemblait pas à la vision qu’il se faisait des archéologues. Le DAST leva le doigt vers elle pour lui demander de patienter.

— Salut Michelle, lança-t-elle à la femme tout bas.

Mathias releva son accent, surement italien. Maria-Louisa le dévisagea et lui sourit. Il tenta de faire de même, priant pour ne pas rougir comme une pivoine. L’homme bedonnant raccrocha après un dialogue quelque peu enflammé.

— Maria-Louisa, je te présente euh…

— Mathias Brochart, compléta le gendarme.

— Voilà, monsieur aurait besoin de toi pour une enquête judiciaire.

— Enchanté, dit-elle en s’approchant. De quoi s’agit-il exactement ?

Mathias se tourna sur sa chaise.

— Nous avons retrouvé des fragments de végétaux calcinés sur une scène de crime. J’aimerais les faire analyser si vous avez le temps.

— Bien sûr, on va passer chez moi.

La femme semblait excitée par la demande. Surement n’intervenait-elle pas d’ordinaire dans les investigations policières.

Ils traversèrent les couloirs pour retrouver le bureau entrevu plus tôt. Un homme se trouvait là, de dos, l’œil dans un microscope. Le mur se couvrait de boîtes aux inscriptions diverses : fruits, graines, légumineuses…

Maria Louisa débarrassa un tabouret pour le gendarme et s’assit à son poste de travail.

— Alors, expliquez-m’en un peu plus.

Son collègue tourna les yeux vers eux, s’intéressant à la conversation. Mathias hésitait à le mettre dans la confidence.

— C’est que, l’affaire ne doit pas s’ébruiter. Je suis navré de vous demander ça mais, pouvons-nous être seuls ?

— Didier, ça te dérange ? demanda la carpologue à son collègue.

— Non t’inquiètes, je devais voir les infographes de toute façon.

L’homme rassembla son matériel et sortit de la pièce. La porte fermée, Mathias se lança :

— Nous avons trouvé un homme de quatre-vingts ans décédé à son domicile. Nous avons envisagé l’hypothèse du suicide, cependant, j’ai relevé des indices qui tendraient vers la piste criminelle.

Il sortit le sachet de prélèvement contenant les végétaux brûlés. La carpologue chaussa des lunettes sur son nez et observa les résidus de plantes.

— Est-ce que je peux l’ouvrir ? À l’œil nu, je ne pourrai pas en tirer grand-chose.

— Oui, oui bien sûr, s’empressa-t-il d’acquiescer.

— Bon déjà, sachez que d’ordinaire pour un prélèvement de ce genre on collecte une certaine quantité de terre, ça nous apporte des indices importants.

— Ah, j’ai autre chose pour vous donner un contexte.

Mathias sortit son téléphone et chercha la photographie du cercle. Maria-Louisa fronça les sourcils devant l’étrangeté du cliché.

— Vous savez à quoi correspond cette mise en scène ?

— Non, justement, je poursuis mes investigations. Mes recherches me laissent penser qu’il s’agirait de sauge, qui peut être utilisée pour des rituels de purification.

Pensive, la femme approcha sa loupe binoculaire. Elle versa le contenu du sachet dans un petit récipient circulaire transparent, et se mit à trier les particules avec une grande pince à épiler. Elle préleva un fragment de végétal et le plaça entre deux plaques pour le microscope. Ensuite, elle posa le récipient sous la loupe.

— Ne vous attendez pas à un verdict sans appel dès aujourd’hui, expliqua-t-elle, l’œil collé à l’appareil. Je ne veux surtout pas me précipiter et vous dire des bêtises.

— Je vous laisse bien sûr un délai de réflexion pour m’informer des résultats.

— Je peux consulter mon collègue palynologue pour vous donner un deuxième avis ?

Mathias se mordit l’intérieur des joues.

— Si vous pensez cela nécessaire, allez y.

Elle s’absorba dans la contemplation de son échantillon. Après plusieurs minutes elle se tourna vers son visiteur.

— Ok, il faut que je compare avec mes livres de référence. Je vous tiens au courant dès que possible.

— Je compte sur votre discrétion, reprécisa Mathias en rangeant le tabouret sous le bureau.

Elle hocha la tête et lui serra la main.

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