La pierre branlante

5 minutes de lecture

La journée s’annonçait fraiche mais le temps se dégageait enfin.

— Bien plus commode pour les prises de vues et la luminosité, se dit Adam en vérifiant la sacoche de sa caméra.

Une nouvelle fois, ils feraient équipe avec Mathias pour faire d’une pierre deux coups. Après leur tournage dans les Monts de blond, ils iraient voir le manoir de Jaques Reignac. Ils partirent pour vingt cinq minutes de trajet vers l’Ouest. Assis à l’arrière du véhicule de Mathias, Adam regardait le paysage défiler. Son petit ami lui manquait. Cette séparation provisoire, étonnamment, les avait rapprochés. Depuis qu’il était ici, les messages et les appels pleuvaient. Il sourit en pensant à leurs futures retrouvailles. Malory lui promettait un diner romantique concocté par ses soins.

Les deux compères avaient emprunté des chaussures de randonnées aux parents de Diane. Fort heureusement, Adam faisait la même taille de pied que Jean-Luc. Son amie s’était accommodée de semelles pour rectifier la pointure. Les chaussures crottées les attendaient dans un sac au fond du coffre. Le circuit qu’ils emprunteraient comportait des zones protégées ne permettant pas un accès en voiture. Ils devraient marcher pour trouver un coin où tourner. Adam doutait de ses capacités à ne pas se tordre une cheville en forêt. De plus, la perspective de transporter du matériel onéreux pendant des heures ne l’enchantait pas.

Mathias conseilla d’imprimer une carte de la zone et de tracer le circuit pour éviter de se perdre dans les bois. Adam comptait sur le frère et la sœur pour repérer les balisages de randonnées.

Diane cessa son bavardage pour consulter ses notes. Elle enregistra mentalement les informations relatives au prochain tournage.

— Non mais… il va vraiment falloir que je dise « dolmen de Rouffignac » sans un rictus.

— Répète le nom autant de fois qu’il le faut pour que ça ne te fasse plus rire, lui conseilla Adam en souriant.

— C’est drôle Rouffignac ? demanda Mathias en levant un sourcil.

— Bien sûr que c’est drôle, rétorque sa sœur. Ici il n’y a que ça des noms de bleds pourris alors tu t’es habitué. Pour le reste du monde, Rouffignac, c’est très loin de sonner sexy.

Mathias haussa les épaules.

— Et encore, on évite le pire, parce que sur le podium on a Saint-Martin-le-Vieux, Saint-Maurice-les-Brousses et Arnac-la-Poste.

Adam ricana. Le paysage se constellait de collines.

— Je ne sais pas si c’est la bonne saison, mais d’habitude, il y a une belle lande mauve sur les pentes, c’est super joli, informa Mathias.

— Ah oui ? s’étonna Adam. Je pensais que la bruyère ça ne se voyait qu’en Bretagne.

Ils se rendirent au point de départ du « circuit des mégalithes ». Adam prévoyait des prises de vues des onze rochers remarquables, sur les images desquelles Diane poserait une voix off. La jeune femme consultait d’ailleurs le site internet touristique qui donnait des détails sur le parcours.

— Ok donc la pierre à sacrifice de Ceinturat c’est fait, la pierre champignon aussi, là on vient de voir l’abri de la roche aux fées, le prochain c’est la pierre branlante. Normalement ça devrait être bien indiqué.

L’étroite route de campagne, que bordaient des clôtures maigrelettes, les mena jusqu’à la bifurcation indiquant la roche remarquable.

— On aurait pu faire la randonnée à pied quand même, grommela Mathias.

— Onze kilomètres ? Non merci, tu emmèneras maman pour te dégourdir les jambes.

Mathias secoua la tête et mit son clignotant. L’imposante pierre de cent vingt tonnes leur apparut comme un décor parfait pour lancer l’épisode. Ils déballèrent le matériel. Mathias, les bras derrière le dos, restait en retrait, un sourire aux lèvres, heureux de voir sa sœur dans son élément. Adam leva son pouce, Diane afficha aussitôt son sourire « caméra on ».

— Qu’elles abritent des êtres fantastiques, qu’elles portent malheur ou chance, les roches extraordinaires jalonnent les Monts de blond, petits massifs granitiques de la Haute-Vienne. Bonjour mes petits spectres, c’est encore dans un lieu chargé de légendes que je vous emmène aujourd’hui. Nous sommes en pleine nature, dans l’ombre de la pierre branlante, cet imposant rocher reposant sur quelques faibles appuis.

Diane tendit le bras derrière elle pour désigner le roc massif.

— Tout prêt d’ici, se trouve le sentier de la Mandragore. Il n’est nullement question d’une plante permettant de soigner les gens pétrifiés, comme nous l’apprendrait Hermione Granger, mais bien d’un animal légendaire. Cette bête, semblable à un dragon à tête humaine, ne souhaitait se nourrir que de jeunes femmes, de préférence vierges. Je ne sais pas quel impact cela a sur le gout, mais enfin passons.

Adam sourit, il se doutait que Diane ne laisserait pas passer ce détail.

— Toujours est-il que le seigneur du coin passa un accord avec la Mandragore pour que ces incursions cessent dans les villages. Chaque année, il lui délivrerait lui-même une jeune fille tirée au sort. Le destin fit que cela tomba sur la propre fille du seigneur. La jeune personne était promise à un chevalier, qui, apprenant la nouvelle, courut au-devant du danger pour sauver sa belle. Un coup de lance bien placé et la Mandragore tomba dans un étang et s’y noya. De telles histoires font que les Monts sont appelés « terres de sorcier » par les anciens. Dans des temps reculés, le christianisme a tenté d’éradiquer les dernières traces du paganisme en détruisant les dolmens ou en y faisant graver des croix. Malgré ces précautions, les légendes urbaines sont tenaces. Des statues de la vierge tourneraient la tête pour vous suivre des yeux, et des fantômes erreraient entre les menhirs.

L’introduction bouclée, ils remballèrent et continuèrent leurs explorations, sortant régulièrement du véhicule pour battre la campagne à la recherche des rochers. Le menhir de Ceinturat, et ses cinq mètres dix, resta celui qui impressionna le plus Adam. Ils tapèrent leurs chaussures avant de remonter une énième fois en voiture. Diane tira de son sac des briquettes de jus et des gâteaux. Ils restèrent sur le parking pour prendre leur collation.

— Laisse-moi deviner, c’est maman qui a fourré ça dans ton sac ?

— Je n’ai même pas essayé de dire non, répondit Diane en perçant l’opercule métallique avec sa paille.

Adam jaugea la tige en plastique d’un œil mauvais.

— Je vais boire dans ma gourde.

— Désolé, ma mère a voulu me faire plaisir en prenant les briques que je buvais petite.

— Elle n’a même pas tenté de prendre les briques de lait, rigola Mathias.

— Tu ne vas pas relancer le débat ! s’écria Diane.

Mathias mordit dans son mini-marbré, un air goguenard sur ses traits.

— Y’a pas de débat sœurette, c’est le lait fraise qui gagne et tu le sais très bien.

— C’est pas possible d’entendre des absurdités pareilles ! s’emporta cette dernière. Le lait vanille, y’a que ça de vrai !

— Je crois que je préférais le gout chocolat… intervint timidement Adam.

Les deux se tournèrent de concert pour le regarder avec un air dégouté.

— Quel genre d’individus tu fréquentes Diane ?

— Non mais j’avoue que là il me fait honte.

Adam roula son emballage de gâteau en boule et le lança au visage de son amie. La récréation terminée, les trois occupants de la voiture se préparèrent à leur prochaine étape. Mathias alluma le contact, direction le manoir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Livia Tournois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0