Le portrait

6 minutes de lecture

— Vous n’avez pas trouvé plus lugubre comme endroit ? demanda un Adam apeuré.

Le manoir se dressait au milieu d’un grand parc, entouré d’un bois épais. La pleine lune n’aidait pas le lieu à paraître accueillant. Les herbes hautes montaient à hauteur des genoux, aucun jardinier ne mettait plus les pieds ici depuis des lustres.

— Je suis pour l’hypothèse de se barrer tout de suite, insista Adam.

— On jète un petit coup d’œil et on y va, le rassura Diane en se détachant.

— T’es pas folle ? On dirait un hôtel pour vampires le truc. Moi j’y fous pas les pieds, ça doit grouiller d’esprits.

— Bah reste dans la voiture.

Diane et Mathias sortirent. Le gendarme alluma la lampe frontale tenue par un élastique sur son front.

— Classe, ricana Diane. On dirait Papa.

— Au moins je vois où je marche.

Mathias reluqua le manoir aux volets blancs rouillés qui se détachait sous la lumière de la lune. La bâtisse n’apparaissait pas en bon état. Des plantes grimpantes mangeaient la façade par endroits. La pierre blanche délavée contrastait avec les tuiles en ardoise gris foncé. Jacques Reignac ne devait pas beaucoup entretenir l’endroit. Il fallait bien du courage pour dénicher le chemin en mauvais état qui menait au domaine. Ils avaient tourné en rond un certain temps, laissant à la nuit tout le temps nécessaire pour s’installer. Aucun grillage ni portail n’interdisait l’accès au lieu, nul panneau ne mentionnait la propriété. Un héritage laissé à l’abandon et attendant de tomber en ruine.

Mathias jeta un coup d’œil à sa sœur, qui scrutait le haut bâtiment, le visage fermé.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée que tu viennes avec moi. Tu ferais mieux de te mettre au chaud, je reviens vite.

— Maintenant que tu nous as trainés ici je veux voir l’antre des vampires de plus près.

Il n’essaya même pas de se perdre dans des palabres inutiles. Aucune chance de négocier avec Diane quand elle se mettait une idée en tête.

— Ça n’a pas l’air habité, on fait juste un petit repérage. Tu ne t’approches pas trop et si on entend quoique se soit on se tire, prévint-il.

— Qu’est-ce que tu penses trouver au juste ? demanda Diane en entamant la marche.

— Au point où j’en suis, un indice pourrait tomber du ciel, on ne sait jamais.

Il voulait surtout repérer l’endroit que convoitait la prétendue généalogiste. Si la propriété l’intéressait au point d’aller faire la causette chez madame Bellac, surement était-elle venue ici récemment.

— Attendez-moi ! appela la voix d’Adam.

Le jeune homme courut à leur hauteur, paniqué de rester seul dans la voiture.

— Pour la discrétion, on repassera ! lui reprocha aussitôt Diane.

Ils reprirent leur chemin vers le manoir.

— Ça va chercher dans les combien un machin pareil ? demanda Adam presque en chuchotant pour ne pas se faire houspiller de nouveau.

— Hummm… réfléchit Mathias. Je dirais entre les sept cent mille, un million d’euros. Mais c’est surtout l’entretien de ce genre de grande baraque qui est un gouffre financier. Depuis quelques années, ce sont les anglais qui rachètent toutes les propriétés de ce genre.

Ils s’arrêtèrent à distance raisonnable.

— Et maintenant ? demanda Diane.

Adam restait prudemment dans son ombre.

— Je voudrais vérifier qu’il n’y a pas de signe d’effraction. Je vais faire le tour, restez par là, ne vous faites pas remarquer.

Mathias s’éloigna, sa présence signalée par le halo de sa lampe frontale.

— On ne va pas rester planté là comme des radis, râla Diane.

— Qu’est-ce que tu as en tête ? En plus il caille.

Adam fut secoué d’un frisson. Déterminée à explorer les lieux, la jeune femme s’aventura plus près de la bâtisse.

— Non, non, non, non, non ! couina Adam en trottinant derrière elle. Franchement tu cherches les ennuis, déjà qu’on ne devrait pas être là.

— Mais tu m’agaces ! rétorqua-t-elle en se retenant de hausser le ton. Ça ne t’excites pas de participer à l’enquête ?

— Pas vraiment quand il faut visiter ce genre d’endroit.

Diane accrocha son bras à celui de son ami et le tira pour faire le tour de la maison. Les volets se présentaient tous fermés, aucun ne semblait avoir été forcé. Ils dégainèrent leurs téléphones pour se procurer un peu de lumière. Derrière le manoir, pas de trace de Mathias. À gauche, en partie masquée par les arbres, on distinguait une dépendance, certainement une grange. À droite, un auvent de pierres couvrait un tas de bûches à l’aspect douteux. Ils partirent dans cette direction.

— Le bois est pourri, constata Diane quand ils furent sous le auvent.

— Super, des moisissures et des toiles d’araignée, on a bien fait de venir.

Diane leva les yeux au ciel.

— T’en as pas marre de ronchonner, on en voit plein des lieux lugubres.

— Oui mais la journée Diane, quand on voit plus loin que le bout de nos baskets et qu’un loup-garou ne risque pas de sortir du bois pour nous croquer les miches.

Les épaules de la jeune femme se secouèrent sous ses éclats de rire.

— Chuuuuut ! vociféra Adam.

— Mais c’est toi qui me fais rire à être aussi flippé, un loup-garou, pourquoi pas un dragon tant que tu y es.

Elle consentit néanmoins à reprendre le chemin de la voiture. La propriété fichait les chocottes, elle devait bien l’avouer. Son excitation première retombait tandis que l’humidité se frayait un chemin sous ses vêtements. Ils se tracèrent de nouveau un chemin entre les herbes folles. Un bruit de course les fit se retourner. La silhouette de Mathias se dessina.

— Venez voir ! appela-t-il.

— Ça pue du c… entama Adam, mais Diane filait déjà.

Loin de se sentir rassuré, il les accompagna à la porte de la grange, entrouverte. Le frère et la sœur se glissèrent silencieusement à l’intérieur. La place ne manquait pas dans cette immense grange sentant la poussière à plein nez. Des poutres fatiguées soutenait la charpente, la toiture laissait voir le ciel par endroits. Mathias éclaira un espace au sol. On avait tracé un cercle avec du charbon, placé des bougies et brûlé de la sauge.

— Ah que voilà un beau cercle rituel, s’extasia Diane, intéressée par la découverte.

— Ne touche à rien, précisa son frère. J’ai pris des photos mais je veux faire venir une équipe scientifique sur les lieux.

— Pourquoi c’est resté en l’état ? C’est pas bien malin.

— Je pense que la personne revient régulièrement.

— Pardon ? intervint Adam, les yeux exorbités.

— Relax, y’a personne.

— Oui, ça c’est ce que dit le pote du héros débile dans les films avant de se prendre un couteau dans le dos.

— Oui bah justement, tu regardes beaucoup trop de films, détends-toi. En plus, Mathias est avec nous, il fera une clé de bras au méchant et direction la gendarmerie.

L’intéressé ne rebondit pas sur cette affirmation. Il prit conscience qu’il mettait ouvertement sa sœur et son ami en danger. L’excitation de la découverte l’avait emporté sur la raison. Il se sentit stupide.

— Allez, on sort.

— Attends, c’est quoi ça ?

Diane pointa un rectangle au centre du cercle, rappelant un cadre photo de dos. Mathias s’approcha. Avant qu’il ne put l’en empêcher, sa soeur tira sur son pull pour couvrir ses doigts et souleva l’objet. Le visage d’une jeune femme apparut à la lumière de la lampe du gendarme.

— On peut flipper maintenant ? demanda Adam, regardant de tous côtés.

— J’avoue que ça commence à être creepy. Qui est cette blonde ?

Avec moultes précautions, Diane regarda à nouveau.

— Heureusement que j’ai dit de ne toucher à rien…

Diane éluda la remarque.

— La photo date, ce n’est clairement pas le style de notre époque.

— Repose, je crois qu’il y a une inscription au dos du cadre, remarqua Adam.

Diane braqua la torche de son téléphone sur le rectangle marron.

— À la mémoire de Nicole Girard, lut-elle.

— Ça a été piqué sur une tombe ?

Adam devint livide.

— Faut croire, marmonna Mathias en s’accroupissant pour prendre de nouvelles photos.

— On peut partir maintenant s’il vous plait ?

Les deux autres acquiescèrent. Ils sortirent de la grange et mouillèrent leur bas de pantalon dans l’herbe grasse pour retrouver la voiture. Le cerveau de Diane fonctionnait à toute vitesse, tout ceci devenait effrayant. Elle tint le bras d’Adam jusqu’au véhicule. Celui-ci claqua la portière avec bonheur, rassuré de retrouver la banquette arrière et l’habitacle protecteur. Ils quittèrent le site sans prononcer un mot, chacun bien heureux de voir s’éloigner la lugubre façade de ce manoir de sorcière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Livia Tournois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0