CHAPITRE 3 : Petite pause avant de démarrer la recette
18 h 00 pile.
Morvan se recoiffa d’un revers de main, raie impeccable sur le côté, inspira l’odeur de rôti qui s’échappait du foyer, puis poussa la porte de la chaumière familiale.
Ses deux filles de dix et quatorze ans se jetèrent à son cou. Il les attrapa au vol comme deux sacs de farine hurlants et les fit tournoyer jusqu’à ce qu’elles crient grâce.
Sa femme, Françoise, referma son ordinateur portable, quitta son coin télétravail et s’approcha. Il l’embrassa doucement sur le front.
- Alors, comment s’est passée ta journée à “Beurre-land” ? demanda-t-elle. Il y avait les Gipsy Kouign ?
- Bah, la routine, éluda François en chassant une mouche invisible du plat de la main.
Françoise leva un sourcil. D’ordinaire, son mari riait de bon cœur à ses jeux de mots, même les plus médiocres. Quelque chose clochait.
Morvan détourna les yeux. Elle le connaissait par cœur. Il était un bien piètre menteur.
- Toi, tu ne me dis pas tout. Il s’est passé quoi ?
Le gendarme en civil soupira.
- Oh, j’ai pas trop envie de parler. Pas ce soir. Le boulot reste sur le palier.
- Ah ! Je vois… tu as lu le fameux article “Equilibre vie pro, vie perso, ne laissez pas votre travail migrer dans la sphère privée ”, dans Gendarmerie Magazine !
- Exactement. Pas question de ramener la crasse du terrain dans notre cocon.
- Allez, si je te le demande…
Elle papillonna des cils, mode charme maximum activé. Il hésita… mais sa fille aînée le prit de vitesse. Les yeux ronds, Chloé brandit son smartphone :
— Papa, Maman ! Il y a eu un meurtre la fête du Kouign !
Morvan s'avança vers elle. L’écran affichait une vidéo YouTube : un plan flou sur une scène de crime balisée, suivi du visage surexposé d’une Youtubeuse en cosplay de la Laitière.
— C’est incroyable ! Un meurtre, ici, à Ploudévennec ! J’en suis retournée comme une tarte tatin ! Et vous avez vu, le gendarme s’est barré en moins de deux ! Personne ne comprend rien ici, c’est la folie ! Si vous voulez plus d’infos, lâchez des pouces et abonnez-vous à ma chaîne “Humour, gras et pâté” !”
Morvan plissa les yeux. Sur l’écran, il reconnut sa propre silhouette qui s’éloignait et la foule qui s’écartait comme la Mer morte ouverte par le prophète.
— Tout de suite les grands mots. Les réseaux sociaux adorent le sensationnel. C’est beaucoup trop tôt pour parler de meurtre.
— Mais si c’en est un ? répliqua Françoise. On va parler de toi, mon lapin. Je suis pas sûre que ce soit très bon pour ta réputation.
— Bah… Elle doit avoir douze abonnés à tout casser. Ça ne va pas faire le buzz.
— Quatorze abonnés. Dont moi ! lança fièrement sa fille.
Morvan leva les mains.
— On va pas se casser le tronc. On verra ça lundi. D’ici là : repos, famille, récupération. C’est le week-end. On profite.
Il se tapa soudain le front du plat de la main.
— Nom d’un gilet pare-balles, j’suis impardonnable !
— Quoi encore ? s’inquiéta Françoise.
— Avec tout ce cirque… j’ai oublié de vous ramener des kouignettes.
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