CHAPITRE 7 : Fariner le plan de travail et le rouleau pour étaler la pâte et l'étaler le plus finement possible.

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Morvan se leva avant l’aube, confectionna deux bento bretons – makis de crêpes complètes roulées, quartiers de pommes teint-frais, palet breton , puis conduisit ses filles à l’école.

  • Alors, Papa, t’as arrêté de pleurer sur la moule ? lui demanda la cadette, de la banquette arrière.

Morvan sourit. Il repensa à la séance de cinéma de la veille. Il avait pleuré, devant “La moule qui soule”, un film d’animation japonais inventif, coloré et plein d’humour noir. Petite moule rêveuse, cargo, solitude, tempêtes, amitiés… puis cocotte marinière. Ses filles avaient ri, lui avait reniflé.

  • Tu sais, papa, elle n’est pas morte, elle a juste changé de forme, lui avait soufflé l’aînée en posant sa main sur son bras.
  • Je sais, avait répondu François.

Ce n’était pas tant la fin qui avait touché le gendarme au cœur de guimauve. Au contraire, ça lui avait donné faim. Non, ce qui l’avait ému, c’était ce que Françoise, sa femme, avait deviné  : la peur du jour où ses filles partiraient, le syndrome du nid vide, ou plutôt du rocher nu. Il ne pourrait pas toujours les protéger, il devrait les laisser prendre leur liberté. Un jour. Le plus tard possible.

Une fois déposés les enfants, et les bisous sur les joues, il fallait chercher Jacky.

À 8 h 45, il se gara devant la maison de repos des Poissons Volants. Jacky l’attendait déjà sur le trottoir : bonnet enfoncé, écharpe rouge, petit sac en papier sous le bras.

— Croissants et flan, annonça‑t‑il. Je les ai piqués au réfectoire. On va se régaler !

— Merci ! Alors, ta soirée ?

— Bah, la routine : soupe et pain, puis karaoké sans prompteur et un jeu où Gisèle nous demandait de trouver le dentier lumineux du capitaine Moustache tout en récitant du Molière en Allemand à cloche-pied. Gisèle n’a plus toute sa tête, mais on a joué le jeu pour lui faire plaisir. Au final, on a bien rigolé, sauf Gisèle qui s’est endormie la bouche ouverte.

Morvan rit . La journée commençait bien.

Au bureau, il inséra la clé USB de la Laitière dans son ordinateur. Trente‑six rushs HD. Il créa deux répertoires : MATIN (8 h‑12 h 30) et APRÈS‑MIDI (12 h 30‑17 h)

  • Tu prends lequel ? demanda Morvan
  • Je suis plus du matin, lança Jacky jovial.

— Ok, tu visionnes la matinée. À midi, on croise nos notes. Ah, j’y pense, garde un œil sur la continuité des images. Si la Laitière a coupé des passages, faut qu’on le repère.

— Tu crois qu’elle est suspecte ? demanda Jacky en plissant les yeux.

— On écarte aucune piste. La seule personne plus dangereuse qu’un influenceur en mal de notoriété, c’est un influenceur ultra connu.

— Bien vu.

— Mais d’abord, café. Pour avoir les idées claires. On bosse à la cool, mais avec sérieux.

— Tu préfères les flans ou les croissants ?

— Ah parce qu'il faut choisir ?

Les petits-déjeuners engloutis, ils plongèrent dans les vidéos, le casque vissé sur les oreilles.

Jacky avait chaussé ses petites lunettes. Demi-tasse de café tiède à portée de main, front plissé, il lança la vidéo tandis que Morvan, dans le bureau d’à-côté, lançait les séquences de l’après-midi.

Jacky – 10 h 00

Armelle avait placé une GoPro sur un trépied, dans l’angle d’un stand. Son objectif offrait une vue dégagée sur la scène, les stands de viennoiseries, et les flux de visiteurs qui envahissaient le champ du père Youenn comme une armée de criquets. Armelle Le Cléac’h commentait hors champ, voix pétillante :

« Bienvenue au royaume du beurre, là où le Gras est Roi et où la Cellulite est Reine ! Tenez, voici la star de la journée !

La Kouignette géante, au sourire figé, gigotait au milieu des enfants. Moulinets de bras en mousse, cœur avec les mains, moonwalk hasardeux sur l’herbe. Elle se laissait photographier, tripoter et même lécher par les petits et les grands.

Morvan - 12h30

La lumière était crue, la foule dense. La maire, hors champ, venait d’achever son discours. Elle traversait l’écran à grands pas, l’oreille collée au téléphone. Morvan zooma. La Laitière savait ce qu’elle filmait. Morvan activa la piste audio 2 sous VLC, augmenta de +8 dB pour capter la conversation.

— Ce connard arrête pas de me coller. Une merde sous ma semelle. Pourquoi diable ne faites vous rien ?

Pause. Recul. Lecture. Une voix dure, métallique. Si elle parlait de la victime, ça devenait sérieux. Il nota : 12 h 52. À confirmer avec Jacky.

Jacky – 10 h 34

Jacky, de son côté, éclatait de rire devant un pâtissier moustachu qui préparait son plan de travail avant le concours. Avec des gestes précis de maçon construisant un mur, il disposait une à une les plaques de beurre pour sa recette. Un autre pâtissier s’approcha pour lui proposer son aide, mais tout l’édifice s’effondra et les deux pâtissiers en vinrent aux mains, un troisième les sépara. “Saboteur ! Normand !”, hurla-t-il. “Entre ces deux-là, il y a de l’eau dans le gras”, commenta la Laitière, avant d’ajouter, espiègle : “Voilà ce qui se passe quand on met la main à la pâte !”

Jacky nota ça d’un trait vague. “Cauchemar en cuisine ?”

Morvan - 14 h 53

La Kouignette entamait une macarena fatiguée et semblait souffrir de la chaleur sous le soleil brûlant. Les enfants, eux, riaient toujours autant. La Laitière tenta d’interviewer la mascotte, sans succès. “Quelle prétentieuse !”, grommela-t-elle. Toujours aucune trace du journaliste.

Jacky – 11 h 58

Jacky sursauta sur son siège.La caméra balayait les stands quand Véron surgit. Il brandit un carnet face à une personne hors champ. Retour. Ralenti. Amélioration sonore. Voilà : “Je vais te faire tomber, toi et tes complices ! Là-dedans, c’est du TNT ! ” Véron partit d’un grand rire. Un homme le repoussa et l’écarta. Une minute plus tard, on entendait au loin le discours de la maire. Jacky nota l’heure : 11h58.

Morvan - 15 h 52

Morvan se reconnut brièvement à l’écran. La sensation le déstabilisa : revoir sa propre journée, à travers l’œil d’Armelle et le filtre acidulé de sa caméra, donnait à la réalité un goût de fiction. L’image zooma sur le visage de la Laitière, qui s’adressait à sa “commu” d’un ton enjôleur. “Le saviez-vous ? La consommation de kouign-Amann a un effet rétrécissant sur les vêtements !” Mais derrière son flot de paroles, un bruit parasite attira l’attention de Morvan. Il isola la bande-son, baissa le volume de la piste principale, amplifia les arrière-plans. Là, entre deux éclats de rire enregistrés, perçait une altercation. Une voix aiguë, nasillarde :

— Rends-moi mon carnet !

Celle de Véron, à n’en point douter. Puis une autre, plus grave, râpeuse, avec l’accent traînant du pays Bigouden :

— Plutôt crever ! Va au diable !

Suivirent des insultes, étouffées par l’agitation ambiante, et des bruits secs de bousculade.

Morvan repassa la séquence à plusieurs reprises. La voix grave, il la connaissait. Pas de doute, c’était celle de Robert, le vieux pâtissier qui lui racontait volontiers ses secrets de kouign à la sueur. Il nota l’heure : 15 h 45. On se rapprochait sérieusement de l’heure du crime.

Il poursuivit le visionnage, attentif. À 17 h 25, la caméra capta les cris, la panique, le mouvement de foule. Morvan avait déjà vécu cette scène, mais dans cette version, un détail surgit : au second plan, Robert, blouse tachée, s’épongeait le front avec un torchon. De la poche de sa veste dépassait ce qui ressemblait à… un carnet en cuir.

C’était suffisant. Et il était midi pile.

Morvan leva son casque et retrouva Jacky en train de siroter son café froid.

  • Débrief ?
  • Débrief. Raconte.

Ils comparèrent leurs notes, recoupèrent les heures. Deux altercations : une avec la maire, une autre avec Robert. Dans les deux cas, le carnet était au cœur des tensions.

Et à la fin, c’était Robert qui l’avait.

— Prochaine escale : la boulangerie de Robert. Interrogatoire tranquille. Pas d’accusation. Pas de précipitation. On soulève un coin du tapis, on regarde ce qui grouille. Et on récupère ce carnet !

Jacky montra le sachet vide du petit-déjeuner :

— On pourra en profiter pour reprendre des munitions. J’ai tout fini.

— Bien vu. Mais là, il est midi. Crêperie ? Je t’invite.

— Crêperie, approuva Jacky. Cette enquête me fait saliver.

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