CHAPITRE 10 : Replier une première fois en trois dans le sens de la longueur.
— Alors, ce carnet… murmura Morvan en s’asseyant, mains jointes, regard grave, comme s’ils s’apprêtaient à ouvrir l’Arche d’Alliance.
Morvan posa le fameux objet au centre du bureau. Le carnet de Véron. La seule pièce à conviction. L’ultime espoir d’éclaircir cette histoire de kouign-amann fatal.
— Tu veux l’ouvrir ou je m’y colle ? demanda Morvan.
— Je suis émotif. Vas-y.
Morvan l’ouvrit avec une délicatesse prudente, comme s’il craignait de faire surgir un éclat de lumière.
— Oh purée, c’est... dense, souffla-t-il.
Des organigrammes, des flèches, des noms de sociétés, des numéros de comptes noircissaient les pages. Des gribouillis maniaques. Du genre de ceux qu’on trouve sur les murs des tueurs dans les séries, cachés derrière le papier peint.
Ils s’y plongèrent avec l’application de deux comptables.
— Bon, on a quoi ici ? marmonna Morvan. Au centre du schéma, un projet immobilier à Ploudévennec “Ecol’hôtel”. Tout autour, des institutions financières nommées "Atlantis Offshore Capital", "Loutre Noire Holdings Corporated", “Banque Celtique”...
- J’ai entendu parler de ce projet dans la presse, répondit Jacky. Un hôtel écologique va être construit à la place du Super U 2000. Tous les employés seront réembauchés.
— Hum, dit Morvan, peu inspiré. Envoie tout ça à la brigade financière. On verra ce qu’ils en disent.
Jacky s’exécuta. Tandis qu’il mitraillait les pages du carnet avec son téléphone, Morvan inspectait la couverture, au cas où un compartiment secret ou une encre invisible lui aurait échappé.
Quand il eut terminé, les deux collègues reprirent leur lecture et tombèrent sur des croquis énigmatiques.
- C’est quoi, ça ? demanda Jacky en tournant le carnet dans tous les sens.
Morvan plissa les yeux.
- J’ai l’impression de reconnaître un homme nu. Mais ça pourrait autant être un phare ou un pingouin.
- Il dessinait vraiment très mal. On tient peut-être le mobile.
- On ne tue pas pour des dessins, même moches, Jacky.
- Détrompe-toi, François.
Morvan n'eut pas à réfléchir longtemps pour trouver des exemples et poursuivit sa lecture et s’arrêta net.
— Ah ! Là ! il parle d’un druide. Nom : Gwerzhoù.
— C’est marqué quoi à côté ? demanda Jacky en se penchant sur les petits caractères nerveux.
— "Implantation du projet immobilier sur site celte sacré. Vibrations négatives. Mémoire des pierres perturbée." Voilà voilà.
— J’appelle la DRAC, dit Jacky, j’ai quelques contacts là-bas. Je vais voir s’ils ont déjà recensé un site celte sacré dans les environs de Ploudévennec.
- Moi, je regarde si ce Gwerzhoù est connu de nos services.
Quelques clics plus tard, la réponse tomba. Gwerzhoù, alias Saturnin Riholet, 63 ans, écroué à Ploemeur depuis trois ans. Escroquerie aggravée, usurpation de diplôme, fausse qualité de druide et de proctologue.
— Poubelle, soupira Morvan.
Morvan reprit sa lecture. Une carte grossière de la région, bourrée de fautes : “Plouc-des-Vennec”, “Douarnéné”, “Caimpère”. L’adresse de la maire, entourée en rouge, était déplacée de cinq kilomètres vers la mer… Le gars ne savait ni écrire ni lire une carte.
Mais le pire était à venir. Une page entière dédiée à la maire :
“Anne le Quellec, né Michel Scouarnec. Breto-Maçonne. Implication dans le projet immobilier véreux.”
Morvan soupira. Il se rappela l’altercation, captée par la Laitière en vidéo. La raison de leurs échanges houleux semblait toute trouvée. Une rapide vérification dans les fichiers d’état civil, quelques archives numériques : acte de naissance, photos de classe, articles locaux… Tout confirmait qu’Anne le Quellec était bel et bien Anne, depuis toujours. Quant à la Breto-maçonnerie, il n’en avait encore jamais entendu parler.
Jacky revint quinze minutes plus tard avec une tasse de café et des nouvelles.
— La DRAC confirme : pas le moindre site sacré celte dans la zone. Ils ont même fouillé lors de la construction du Super U, en 1973. Le vestige le plus ancien qu’ils avaient trouvé à l’époque, c’est une boîte de pâté Hénaff rouillée.
— Et la brigade financière ?
Jacky consulta ses mails.
— Réponse immédiate. "Aucune irrégularité. Montages financiers conformes, business plan solide, audits validés, promoteur sans antécédents judiciaires. Les établissements bancaires mentionnés sont fictifs. Aucun compte actif correspondant aux références envoyées”. Fin de citation.
Un silence s’installa. Ce qu’ils pensaient être une mine d’or n’était qu’un ramassis de bêtises. Morvan ajouta, pensif :
— En somme, conclut Morvan, Véron était un mauvais journaliste, obsédé par les complots et mal renseigné.
Il referma le carnet. La couverture claqua comme un clou dans le cercueil de ses espoirs.
Morvan soupira.
— Mais, même si ce carnet n’a aucune valeur factuelle, il a pu faire peur. S’il avait menacé la maire avec ces “révélations”, même absurdes, ça pouvait lui donner des sueurs froides. Sa réputation était en jeu.
— Et voilà un mobile, acquiesça Jacky, peu convaincu par ses propres mots.
Ils se regardèrent un moment, Jacky se gratta son menton, Morvan tourna distraitement son stylo entre ses doigts.
— Tu sais quoi ? dit Morvan en se levant. On va aller lui parler, à la maire.
- Bah, on n’a rien d’autre, de toute façon, ronchonna Jacky.
- Exact, mon bon Jacky. C’est marée basse sur l’enquête, là.
- La maire finit toujours par remonter, sourit Jacky.
Annotations
Versions